Destruction des fichiers de l'UGIF par des groupes de combat juifs à Marseille
Légende :
Notre Voix, journal de la section juive de la MOI annonce dans son numéro 66 (1er janvier 1944) en pages 2 et 3 l'action de groupes de combat juifs marseillais contre l'UGIF
Type : Presse clandestine
Source : © Extrait de "La presse antiraciste sous l'occupation hitlérienne" Droits réservés
Détails techniques :
Extrait de La presse antiraciste sous l'occupation hitlérienne, Paris, Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide (UJRE), 1950
Date document : 1er janvier 1944
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
A la suite du pacte germano-soviétique, toutes les organisations liées au parti communiste sont interdites. Notre Voix, organe de la section juive de la MOI (Main d'oeuvre immigrée) paraît clandestinement depuis août 1940 et vise un plus large public que sa version en yiddish Unzer Wort.
Dans son numéro du 1er janvier 1944, Notre Voix, consacre un article à l'action réalisée pour un des groupes de combat de l'UJRE (Union des Juifs pour la Résistance et l'Entraide) contre le siège de l'UGIF (Union générale des Israélites de France) pour la zone sud, situé rue Sylvabelle à Marseille.
Au printemps 1943, l'UJRE rassemble toutes les organisations communistes juives. Nat Taich avec Albert Lévine et Roger Godchot, crée à la même époque une section de l'UJRE à Marseille et un premier groupe de combat. Dés sa création par le gouvernement de Vichy (loi du 29 novembre 1941), l'UGIF est dénoncée par la presse communiste. Notre Voix en reprend les thèmes habituels : l'UGIF ne protège aucunement les Juifs mais collabore avec le gouvernement de Vichy et les autorités allemandes. Elle contribue objectivement par ses divers fichiers à l'arrestation, la déportation, donc l'extermination des Juifs de France. Aussi l'action du groupe marseillais est-elle montrée en exemple.
Les témoignages de Nat Taich qui dirige l'opération et Joseph Fainzang qui y participe permettent de connaître le déroulé de l'action. L'attaque a lieu à 10 heures du matin. Joseph Fainzang se souvient en 1996 : « ...on est venu et on a tout cassé. Je ne m'attendais pas à ce que ce soit si facile. Il y avait juste un gardien que l'on a mis de côté et qui s'est tenu tranquille. Dans le bureau, il y avait une cheminée avec un poêle qu'on allumé et toutes les fiches [ 700 à 800 d'après Nat Taich], les unes après les autres sont passées dedans. » Tous les registres permettant d'identifier des Juifs sont détruits. Le matériel de bureau est emporté. Aucun des participant n'est arrêté.
La conclusion de l'article, tout en saluant l'héroïsme des combattants juifs, accable l'UGIF, accusée de livrer sciemment les Juifs à la Gestapo. L'article est fidèle à la ligne éditoriale de Notre Voix : le salut des populations juives est dans la résistance et le combat, dénonciation sans concession de l'UGIF assimilée à un auxiliaire de la Gestapo, célébration des combattants juifs. Cette action fut également saluée par Droit et Liberté, bulletin mensuel de l'UJRE, dans son numéro du 1er février 1945.
Auteur : Sylvie Orsoni
Sources et bibliographie :
La presse antiraciste sous l'occupation hitlérienne, Paris, Union des Juifs pour la Résistance et l'Entr'aide (UJRE), 1950.
"Un coup de main contre l'UGIF", Droit et Liberté, 1er février 1945.
Grégoire Georges-Picot, L'innocence et la ruse. Des étrangers dans la Résistance en Provence, Paris, éditions Tirésias, 2011.
Robert Mencherini, Résistance et Occupation (1940-1944), Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3, Paris, Syllepse, 2011.
Christian Oppetit (dir.), Marseille, Vichy et les nazis, le temps des rafles la déportation des juifs, Marseille, Amicale des déportés d'Auschwitz et de Haute-Silésie, 1993, p. 41-43.
Maurice Rajsfus, Des Juifs dans la collaboration, l'UGIF 1941-1944, Paris, éditions e.d.i. Études et documentation internationales, 1980
Contexte historique
La loi du 29 novembre 1941 supprime toutes les organisations juives et crée l'Union générale des Israélites de France (UGIF), seule habilitée à distribuer des secours aux Juifs qui doivent s'enregistrer comme tels auprès de ses différents services, d'où la constitution de fichiers. L'UGIF est soumise au Commissariat Général aux questions juives et aux autorités allemandes. La direction de l'UGIF pour la zone Sud se trouve 101 rue Sylvabelle à Marseille. L'UGIF dispose d'autres locaux dans la ville. A partir du 1er mars 1943, Raymond Raoul Lambert, ancien secrétaire général du Comité d'aide aux réfugiés (CAR) devient le président général de l'UGIF. Les déportations commencent dans la région marseillaise en août 1942. Elles frappent les Juifs étrangers. Entre août et septembre 1942, 1 500 personnes déjà internées ou raflées sont regroupées au camp des Milles près d'Aix-en-Provence et dirigées sur Drancy puis Auschwitz. Les carnets de Raymond Raoul Lambert montrent l'ambiguïté des responsables de l'UGIF : "vendredi 7 août : mes équipes sociales font un travail de galérien, mille fiches sur les individus menacés de déportation... samedi 8 août : on remet les fiches à la Préfecture. Elles sauveront certaines familles. Je demande qu'on nous laisse les enfants. A 18H30, j'apprends que nous en sauvons 66".
Du 22 au 27 janvier 1943 , parallèlement à l'évacuation et la destruction des quartiers nord du Vieux Port, les Juifs étrangers et français sont raflés dans toute la ville. 804 sont dirigés vers Sobibor où ils sont exterminés. Le 6 mai 1943, 60 personnes venues chercher des allocations sont arrêtées par les Allemands dans les locaux de l'UGIF, 58 rue de la Joliette. Le 18 octobre 1943, l'UGIF remet aux autorités allemandes la liste des pensionnaires hébergés à Marseille au château de la Verdière sans qu'il soit possible de se faire des illusions sur le sens de cette demande. Gaston Kahn qui a succédé à Raymond Raoul Lambert arrêté et transféré à Drancy avec sa famille en septembre, refuse de disperser les enfants comme le demande la directrice de la Verdière Alice Salomon. Le 20 octobre, les neuf mères et les trente enfants hébergés au château de la Verdière sont arrêtés et déportés avec Alice Salomon. Les locaux de l'UGIF deviennent des souricières. Le 15 décembre 1943 le siège central de l'UGIF est transféré à Lyon après l'arrestation de deux employés membres d'un réseau clandestin. Les autorités allemandes et la police française disposent d'autres fichiers et les rafles se poursuivent. Le dernier transfert de Juifs de la région de Marseille a lieu le 27 juillet 1944.
Auteur : Sylvie Orsoni
Sources et bibliographie :
Grégoire Georges-Picot, L'innocence et la ruse. Des étrangers dans la Résistance en Provence, Paris, éditions Tirésias, 2011.
Robert Mencherini, Résistance et Occupation (1940-1944), Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3, Paris, Syllepse, 2011.
Christian Oppetit (dir.), Marseille, Vichy et les nazis, le temps des rafles la déportation des juifs, Marseille, Amicale des déportés d'Auschwitz et de Haute-Silésie, 1993, p. 41-43.
Maurice Rajsfus, Des Juifs dans la collaboration, l'UGIF 1941-1944, éditions e.d.i. Études et documentation internationales, Paris, 1980.