La reddition des insurgés
Légende :
Extrait du 33 tours « Eysses de la Résistance à la Déportation ».
Genre : Son
Type : Disque
Source : © Association nationale pour la mémoire des résistants et patriotes emprisonnés à Eysses Droits réservés
Détails techniques :
Durée de l’extrait : 00 :03 :27s. Emplacement : face B 00 :05 :56s. Durée totale du 33 tours : face A : 00 :12 :40s - face B : 00 :15 :56s.
Date document : 1962
Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot
Analyse média
Ce disque 33 tours a été réalisé à partir de la bande enregistrée, mise gracieusement à disposition de l’Amicale des anciens d’Eysses, après avoir été diffusée par Europe 1 dans l’émission « La Marche du Siècle ». Les textes sont de Claude Dufresne et le récitant est Julien Bertheau. Les témoignages ont été recueillis à l’occasion d’une cérémonie sur les lieux par Jean-Pierre Chapel.
Prête à entamer des pourparlers, la direction du Collectif décide d'appeler la sous-préfecture. C'est alors qu'elle apprend que les troupes allemandes prennent position avec leur artillerie sur les collines dominant la centrale. Le responsable des GMR lance alors un ultimatum aux détenus, leur demandant de rendre les armes. Dans le cas contraire, les Allemands bombarderont les parties de la prison détenues par les insurgés. Le directeur Schivo est amené auprès des responsables du collectif. Après l'avoir accusé d'être un traître à la Patrie, ils l'informent de leur volonté de ne pas prolonger le combat à condition qu'aucune représailles ne soit exercé contre eux. Schivo appelle alors le capitaine des GMR au téléphone et lui demande de faire cesser le feu. C'est ainsi que s'achève la bataille.
Avant de tomber aux mains de l'adversaire, les armes sont rendues inutilisables. Henri Neveu enfoui quelques grenades dans le jardin de l'infirmerie. Ce stock sera malheureusement découvert au cours de la fouille par les policiers et c'est ce qui servira de prétexte pour rompre les engagements pris par Schivo. Une heure après l'échange de conversations téléphoniques, les hommes ont regagné leurs préaux.
Pierre Doize témoigne : « Nous savions qu’un certain nombre d’entre nous allions être probablement fusillés mais enfin ce qui nous importait c’était la vie de nos 1200 camarades. Avant de nous rendre, nous prîmes la précaution de rendre inutilisables tout notre matériel. Les mitraillettes nous les tordions sauf deux qui furent cachés par le Dr Weil dans la cour de l’infirmerie où elles furent trouvées grâce à des détecteurs quelques jours après ».
Auteur : Fabrice Bourrée
Sources : Amicale des anciens d’Eysses, Eysses contre Vichy 1940-…, Tiresias, 1992.
Contexte historique
Le 19 février 1944, Eysses est le théâtre d'une
ambitieuse tentative d'évasion collective (de mille deux cents détenus
politiques). Ce jour-là, alors qu'un inspecteur général effectuait une visite
dans la centrale, les détenus saisissent
l'occasion pour le prendre en otage, ainsi que le directeur milicien de
l'établissement, Joseph Schivo, et quelques membres du personnel, au moment où
ceux-ci pénétraient dans le chauffoir du préau 1. Le plan, préparé depuis
plusieurs semaines par l'état-major clandestin des détenus, consistait à
s'emparer des gardiens et à se rendre maitre de la centrale en silence. Entre
14h, heure de la capture de l'inspecteur et du directeur au préau 1, et 17h,
les détenus progressent, en silence, jusqu'au bâtiment administratif, capturant
et ligotant les surveillants au fur et à mesure de leur avancée.
Cependant, l'alerte est donnée vers 17 heures par
une corvée de droits communs de retour dans la détention. Alerté par des coups
de feu, la garde extérieure met alors en batterie des armes automatiques aux
fenêtres des bâtiments d'entrée donnant sur la cour d'honneur et commence à
ouvrir le feu sur les locaux de détention. Les groupes de choc, formés en
particulier d'Espagnols bénéficiant de l'expérience du combat à la faveur de la
guerre civile, après avoir sommé en vain les GMR des tourelles de les laisser
sortir, tentent, à plusieurs reprises, de franchir les murs de l'enceinte
extérieure en attaquant le mirador nord-est à la grenade. Certains détenus atteignent
les toits, tirent à coups de mitraillette sur les gardes, pendant que d'autres,
protégés par des matelas, tentent de monter à l'échelle jusqu'au mirador de la
porte Est. Toutes ces tentatives sont repoussées. Du coté des détenus il y a un
mort - Louis Aulagne - deux blessés graves et trois blessés légers. On compte
un tué et un blessé parmi le personnel pénitentiaire et seize blessés parmi les
forces de l'ordre.
Vers 21 heures, les troupes d'occupation venues
d'Agen encerclent la centrale, munies de pièces d'artillerie. Vers minuit,
l'état-major des détenus, installé dans le poste de garde du bâtiment
administratif, tente de parlementer plusieurs fois par téléphone avec la
préfecture, demandant au préfet de les laisser sortir, en arguant de la
qualité des otages qu'ils détiennent. C'est Auzias qui dirige ces négociations
avec la préfecture afin d'obtenir une reddition acceptable. On libère alors le
directeur Schivo qui confirme le traitement correct dont il a été l'objet et
relaie la demande des détenus auprès des autorités. Il est ici intéressant de
signaler que tous les témoins insistent sur l'attitude particulièrement veule
du milicien qui, craignant pour sa vie, tentera de se justifier par toutes
sortes d'attitudes mensongères, tout en faisant état de sa qualité d'officier
français. Vers trois heures, le commandant des troupes allemandes lance un
ultimatum donnant aux révoltés un quart d'heure pour se rendre sans condition,
faute de quoi la centrale sera bombardée. Les détenus demandent alors, par l'intermédiaire
du directeur, un délai d'une heure pour regagner leurs dortoirs et déposer les
armes (temps également nécessaire pour faire disparaître un certain nombre de
papiers compromettants), celui-ci ayant donné sa promesse d'officier qu'il n'y
aurait pas de représailles. Ce délai est refusé. Conscient que la poursuite des
combats se solderait par un échec, les détenus libèrent les otages, abandonnent
leurs armes (onze mitraillettes et huit grenades) et regagnent leurs
dortoirs : il est environ quatre heures du matin.
D'après l'ouvrage de Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L'exemple des centrales d'Eysses et de Rennes, L'Harmattan, 2007.