Hommage patriotique au cimetière Sainte-Catherine
Légende :
Extrait du 33 tours « Eysses de la Résistance à la Déportation ».
Genre : Son
Type : Disque
Source : © Association nationale pour la mémoire des résistants et patriotes emprisonnés à Eysses Droits réservés
Détails techniques :
Durée de l’extrait : 00 :01 :31s. Emplacement : face B 00 :11 :45s. Durée totale du 33 tours : face A : 00 :12 :40s - face B : 00 :15 :56s.
Date document : 1962
Analyse média
Ce disque 33 tours a été réalisé à partir de la bande enregistrée, mise gracieusement à disposition de l’Amicale des anciens d’Eysses, après avoir été diffusée par Europe 1 dans l’émission « La Marche du Siècle ». Les textes sont de Claude Dufresne et le récitant est Julien Bertheau. Les témoignages ont été recueillis à l’occasion d’une cérémonie sur les lieux par Jean-Pierre Chapel.
Lorsqu'on enterre les fusillés au cimetière Sainte Catherine d'Eysses, à quelques dizaines de mètres de la centrale, celui-ci est bouclé car la police craint une manifestation de solidarité avec les victimes. Grâce à la complicité du concierge, M. Pujol, une partie de la population villeneuvoise manifeste quotidiennement sa solidarité avec les emprisonnés en fleurissant les tombes malgré l'interdiction. Une banderole portant la mention « Morts pour la France » y est apposée, malgré la surveillance du cimetière. Ces gestes, à la signification clairement politique, transcendent l'adieu individuel. Ces démonstrations de contestation publique par le deuil sont réprimées à partir de 1942, car selon les rapports de police, les funérailles donnaient l'occasion de manifester de façon trop voyante des sentiments gaullistes, anglophiles et germanophobes.
Retranscription :
Des mesures sont prises par les autorités pour empêcher toute manifestation patriotique. Il est notamment interdit de fleurir les tombes des fusillés dans le cimetière Sainte-Catherine. Cependant certains Villeneuvois braveront cette interdiction comme Marcelle Cavaillé. Elle apporte ici son témoignage : « Sitôt qu’on a su qu’ils étaient enterrés, on a décidé avec madame Boisserie qui était chez moi (la femme d’un camarade qui était à Eysses aussi) de faire une gerbe. Je suis descendue en ville et j’ai acheté du ruban tricolore. On a fait une petite gerbe avec de l’osier, du petit osier qu’on a tourné de ruban tricolore. Pour l’emporter je l’ai mis dans un carton d’une robe de tailleuse et je suis partie au cimetière avec mon carton. J’ai mis les fleurs mais hélas elles ne sont pas restées longtemps ; Toutes les semaines, tous les dimanches, j’achetais des fleurs pour les y apporter, c’était mon devoir de le faire. C’était quelque chose pour moi de sacré de dire « mon dieu, je ne sais pas si le mien reviendra et si quelqu’un pouvait fleurir sa tombe comme moi je fleuris les autres ». Et je jure que tant que je vivrai les tombes seront toujours fleuries. »
Auteur : Fabrice Bourrée
Sources : Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L'exemple des centrales d'Eysses et de Rennes, L'Harmattan, 2007.
Contexte historique
Le 19 février 1944, Eysses est le théâtre d'une
ambitieuse tentative d'évasion collective. Après plusieurs heures de combat et
face aux menaces des autorités allemandes de bombarder la centrale,
l'état-major du bataillon d'Eysses décide de déposer les armes le 20 février à
5 heures.
Se trouvant à Vichy,
Joseph Darnand, Secrétaire général au maintien de
l'ordre, est
avertis dans la nuit de cette situation exceptionnelle. Il se rend d'urgence à Eysses, où il arrive dans
l'après-midi du 20 février. Il dirige alors en personne la répression, donnant l'ordre de renforcer la garde extérieure et
d'introduire des forces de police dans la centrale, ce
afin d'organiser une fouille générale des locaux et des détenus. Il repart pour
Vichy le lundi 21 février dans la matinée, après avoir exigé « cinquante
têtes ». L'enquête menée par les brigades mobiles de Limoges et de
Toulouse permet de désigner les prétendus meneurs de
la mutinerie. Les détenus sont tous rassemblés dans les préaux, ceux qui sont
désignés sont mis à l'écart et conduits au quartier cellulaire.
Seize personnes sont
immédiatement mises en cause - « comme meneurs actifs et armés de la
mutinerie » :
Auzias Henri, avec neuf témoins à charge,
dont trois l'ayant vu porteur d'un revolver, les autres « donner des
ordres et parlementer au téléphone »
Stern Joseph, vu armé d'une mitraillette
par quatre surveillants
Bernard François, mis en cause,
en tant que « chef à qui les autres détenus demandaient des
instructions » par le directeur et son garde du corps, et en tant que
blessé
Chauvet Jean et Brun Roger mis
en cause par le premier surveillant Dupin, qui affirme les avoir vus participer
à la mutinerie avec une arme
Sero Jaime, Marqui Alexandre,
Sarvisse Félicien et Serveto Bertran, tous les quatre blessés, le dernier par
une grenade. Parmi eux, seul Serveto reconnaît avoir transporté des matelas
pour attaquer le mirador, les autres nient toute participation active.
Vigne Jean, Guiral Louis et
Pelouze Gabriel, tous trois mis en cause par le détenu L., Vigne et
Pelouze : pour avoir commandé l'attaque du mirador, le dernier donnant des
ordres et
Guiral pour avoir défoncé le plafond de la lingerie et jeté des grenades sur le
mirador
Canet jean, légèrement blessé
au bras
Fieschi Pascal, accusé par le
surveillant-chef d'avoir agressé le directeur
Brinetti Henri, accusé par le
surveillant-chef d'être l'agresseur de l'inspecteur et, par un surveillant, de
l'avoir menacé d'un revolver.
Seuls deux des principaux
responsables, Auzias et Bernard, sont donc mis en cause. Le seul détenu
« dénonciateur », est un blessé : L. Lucien, qui, sans doute dans
l'espoir de voir sa vie épargnée, se déclare immédiatement disposé à raconter tout ce qu'il
sait sur les événements du 19 février. Parmi les mille deux cents détenus
interrogés, c'est le seul qui parlera, et ses déclarations seront lourdes de conséquences...
Le mercredi 23 février, à
quatre heures du matin, la cour martiale se réunit pour l'examen de quatorze
procès-verbaux, parmi les seize initialement choisis. Deux détenus échappent
donc de justesse à la cour martiale : le dénonciateur en contrepartie de
ses révélations et Brinetti, mis hors de cause par l'inspecteur qui ne
reconnaît pas en lui l'homme désigné comme son agresseur. Notons que Pascal
Fieschi, accusé d'avoir capturé le directeur, est lui amené à comparaître
car il a été formellement reconnu par ce dernier comme étant son assaillant. Les
témoignages recueillis auprès du personnel sont donc déterminants.
Les procès-verbaux sont remis à
la cour martiale qui délibère à huis clos. Douze détenus sur quatorze sont
condamnés à mort, les deux autres, Fieschi et Canet devant être présentés
devant le procureur de la République afin
d'être poursuivis par la section spéciale
de la cour d'appel. A dix heures, le président de la cour martiale, assisté de
deux juges, a déjà lu la sentence aux condamnés, qui sont passés par les armes
à onze heures. Six heures au plus se sont donc écoulées entre la remise des
procès-verbaux à la cour martiale (une quarantaine avec ceux des accusateurs)
et l'exécution de la sentence, sans aucune défense ni plaidoirie.
Outre les deux
« rescapés » de la cour martiale, Canet et Fieschi, dix-neuf autres
dossiers doivent être soumis à la section spéciale. Les détenus visés sont
tous suspectés, soit d'avoir participé activement à la mutinerie (sept
détenus), soit d'avoir joué un rôle dans l'organisation clandestine des
prisonniers (douze détenus). Au total, vingt et un dossiers sont renvoyés
devant la section spéciale d'Agen ; ces
hommes sont envoyés au quartier cellulaire
avec une trentaine d'autres détenus contre lesquels aucune charge particulière
n'est retenue, mais qui ont été mis de côté lors de la sélection du 20 février,
soit en raison de leur insubordination, soit après avoir été désignés par le personnel. Le quartier
cellulaire devient alors pour les détenus et la Résistance extérieure le
« quartier des otages ». Trente six détenus du quartier cellulaire
seront transférés vers la prison de Blois le 18 mai avant de rejoindre
Compiègne pour être déportés. Les autres sont livrés aux autorités allemandes
le 30 mai 1944.
D'après l'ouvrage de Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L'exemple des centrales d'Eysses et de Rennes, L'Harmattan, 2007.