Formulaire de déclaration de sinistre
Légende :
Pour obtenir des réparations, Gaston Bertrand précise dans quelles conditions sa maison a été détruite.
Genre : Image
Type : Formulaire
Source : © Archives famille Bertrand Droits réservés
Détails techniques :
Formulaire administratif de déclaration de sinistre sur papier de format 27 x 21 cm.
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Marignac-en-Diois
Analyse média
Le formulaire, créé par le ministère de la Reconstruction et de l'Urbanisme, est destiné aux propriétaires d'exploitations agricoles qui ont subi des dommages liés à la guerre. Après avoir établi l'état civil du sinistré, la nature de l'exploitation, il est demandé de préciser date et circonstances des sinistres. Le verso du formulaire réclame toutes précisions sur les bâtiments, cheptel, récoltes et matériel détruits. Ces renseignements, très précis, permettent de dresser un bilan des dommages, de déterminer les besoins, de fixer le montant des avances et de limiter les fraudes et remboursements indus.
Auteurs : René Bertrand, Alain Coustaury
Sources : Archives famille Bertrand.
Contexte historique
Au lendemain de la guerre, la reconstruction entraîne la mise en place de toute une administration vouée à l'estimation des dégâts causés par les opérations militaires. Un ministère de la reconstruction et de l'urbanisme est créé. On peut remarquer que le terme d'urbanisme est joint à celui de reconstruction. Cela sous-entend que l'on ne va pas seulement reconstruire mais que l'on va profiter de cette occasion pour introduire les normes modernes de l'urbanisme. C'est un souci que l'on aperçoit souvent quand on fait l'histoire de la reconstruction après 1945. Cette volonté de profiter de la reconstruction pour développer un urbanisme moderne s'inscrit parfaitement dans le programme de la Résistance. Malheureusement, comme dans de nombreux domaines, les désirs des rénovateurs se heurteront aux réalités financières et politiques du moment. La reconstruction se fera plus lentement que prévu. L'exemple de l'histoire de la famille Bertrand, père, mère et huit enfants, en est un exemple. Marignac-en-Diois où réside la famille est une commune incluse dans la périmètre du Vercors qui a subi des destructions importantes à la suite des événements de juillet 1944.
Le 27 juillet 1944, la ferme de Gaston Bertrand est incendiée par l'armée allemande pour avoir servi de lieu d'hébergement aux résistants appelés "maquisards "localement et "terroristes" par l'ennemi.
Le 28 décembre 1944, alors que la Drôme est libérée depuis le 1er septembre, Gaston Bertrand reçoit une réponse à une demande de subvention pour la reconstruction de sa maison. Si elle est réalisée, 80 à 90 % du coût seront pris en compte par l'État ce qui est important. Si la maison n'était pas reconstruite, l'aide ne serait que de 30 %. Cette différence traduit la volonté de reconstruire selon les nouvelles normes d'urbanisme. La volonté d'amélioration de l'habitat est bien signifiée dans un document du Comité aide et reconstruction du Vercors datant du 8 janvier 1945 : « Ainsi, par une juste compensation des souffrances subies, [ils] profiteraient d'une expérience peut-être unique dans tout le pays. À la place de ruines, naîtront des maisons, quartiers ou villages plus beaux sans que les communes doivent en supporter les frais ».
Dans le cas présent, cette idée a été appliquée à la lettre car il y a eu effectivement une belle bâtisse construite en lieu et place d'une ferme : ainsi Gaston Bertrand va devoir demander des aménagements plus fonctionnels dont le coût sera réclamé à sa veuve 20 ans plus tard !
Quant au cheptel et au matériel agricole, Gaston Bertrand doit s'adresser à une autre administration ce qui peut être une source de lourdeur dans la distribution des aides.
Afin de compenser la perte de son activité agricole par manque de matériel et de cheptel, Gaston Bertrand avait fait une demande d'emploi de cantonnier. Il devait en bénéficier lors d'une vacance de poste dans la Drôme. Ce poste de cantonnier se libérera quelque temps après à Marignac. Mais c'est une autre personne du village, non sinistrée, qui obtint le poste !
La famille Bertrand a tout perdu dans l'incendie de sa maison. Le 11 mai 1945, un document lui propose d'acheter à un bon prix du mobilier. « Ces mobiliers sont en chêne ciré. Ils sont d'une grande solidité et fort beaux. Il sera certainement impossible de satisfaire, dès maintenant, toutes les demandes » Toujours le souci de qualité mais le risque de pénurie est toujours présent. Le mobilier est exposé dans un grand magasin de Valence-sur-Rhône, Les Dames de France, actuel centre commercial, rue Victor Hugo.
Le cheval est toujours, en 1945, l'animal de trait largement employé dans les exploitations agricoles françaises. La motorisation de l'agriculture française se fera essentiellement dans les années 1950 et 1960. Gaston Bertrand a perdu le sien lors de l'incendie de l'écurie. Le remplacement et le renouvellement des chevaux de trait sont difficiles car le cheptel a été largement réquisitionné par l'armée allemande, bien moins motorisée qu'on ne le dit habituellement. Nombre de bêtes ont été tuées lors de la retraite de la Wehrmacht. Un cheval a quand même été donné à Gaston Bertrand mais il a été enlevé à un agriculteur, non sinistré, de Marignac. On imagine facilement les tensions que peuvent créer de telles situations.
Petit à petit la situation matérielle s'améliore. En octobre 1945, est proposée, aux sinistrés du Vercors, une longue liste d'objets nécessaires à la vie quotidienne. Ils sont destinés aux deux catégories de sinistrés, les sinistrés totaux et les sinistrés partiels. Cette distinction doit être source de difficultés car il paraît difficile de faire la différence entre les deux catégories. On imagine les possibilités de tricheries et par suite de rancunes tenaces entre les différents bénéficiaires. Le courrier daté du 15 octobre 1945 fait état des cartes de rationnement. La guerre est finie mais la pénurie est toujours là. Le rationnement de certaines denrées ou matériels durera jusque dans les années cinquante. Il entraînait l'obligation de s'inscrire chez un fournisseur. Le document daté du 27 octobre 1945 a été établi lors du changement d'adresse de la famille Bertrand qui va habiter au Versoud dans l'Isère. Les catégories de chaque membre sont bien précisées. Pour déménager, Gaston Bertrand demande une aide qui lui est refusée par courrier du 26 février 1946. La raison invoquée est, qu'étant sinistré total, il n'a rien à déménager. La logique de cette explication est implacable. Mais elle ne tient pas compte du fait que le sinistre ayant eu lieu en juillet 1944, la famille Bertrand s'est, tant bien que mal rééquipée et possède mobilier et objets qu'il faut déménager.
La note du 6 mars 1946 confirme que, malgré les efforts, la pénurie en « mobiliers de réinstallation » perdure.
La situation ne s'améliore que très lentement puisque ce n'est que le 10 avril 1946 que Gaston Bertrand doit remplir une déclaration de sinistre pour les dommages agricoles subis en juillet 1944. L'administration lui fait comprendre par une lettre du 14 mai 1946 qu'il n'est pas le plus à plaindre car le Vercors a bénéficié d'une aide bien supérieure à celle reçue par d'autres régions. Ce courrier constate la dissolution du centre de Valence du Comité Aide et Reconstruction du Vercors. On peut noter que déjà, à cette époque, le Vercors tient une place importante dans l'esprit et la mémoire du personnel politique français. Quant aux articles que la famille Bertrand peut récupérer, ils mettent en valeur l'aide des États-Unis et également un changement dans les trousseaux. Couvre-pieds américains et sacs de couchage remplacent draps de coton ou de lin !
Toutes les démarches qui précèdent ne sont pas gratuites. Gaston Bertrand doit payer pour établir dossiers et réclamations comme en témoigne la note d'honoraire du 8 juin 1946.
L'équipement de la cuisine s'améliore par la réception d'une batterie de 13 pièces en novembre 1946. Mais, la famille n'a pas encore reçu une aide financière. En janvier 1947, l'expertise des dommages n'est pas totalement réalisée. Dans le même temps, les contrôles pour éviter les fraudes sont effectués. Le 21 janvier 1947, Gaston Bertrand doit fournir le bon d'un matelas.
Toutes les difficultés rencontrées pour obtenir de l'État des avances sur les indemnités prévues ont amené Gaston Bertrand à faire appel à la Fédération nationale des anciens combattants et des victimes des deux guerres. Celle-ci, dans sa réponse, montre bien les limites de son action qui ne peut être qu'un service de renseignements sur la législation. En effet, aucun statut particulier n'a été mis en place pour les sinistrés.
Gaston Bertrand décède en 1947. Sa veuve, Lucie, venue s'installer à Die, a reçu en 1957 pour indemnité d'éviction la somme de 213 803 francs (2 138,03 nouveaux francs ou 326 €) sous forme de titres nominatifs à émettre et payables annuellement sur vingt ans (100 nouveaux francs/an !).
Pour un complément d'une autre indemnité, Lucie Bertrand a reçu le 26 février 1957 un courrier précisant qu'elle en percevra le montant en 1958. Le 24 octobre 1958 un nouveau courrier l'informe qu'elle ne percevra pas cette somme à la date fixée car « à la suite de récentes compressions budgétaires, l'ordre de priorité a du être modifié. Seuls pouvaient être réglés en 1958 les sinistrés nés en 1906 et antérieurement… ». Lucie Bertrand, née en 1910, devra encore patienter.
L'ensemble des documents classés chronologiquement et conservés par les enfants Bertrand permet d'appréhender et de suivre les obstacles rencontrés par une famille d'agriculteurs sinistrée à la suite de la destruction de leur maison et de leur outil de travail par les Allemands.
On peut imaginer le désarroi et le sentiment d'injustice de toutes ces familles sinistrées confrontées à la lourdeur, la lenteur et l'impuissance de l'Administration de l'époque.
On saisit bien aussi toutes les difficultés de la reconstruction de la France après 1945. La volonté de rénover, d'améliorer les conditions matérielles, officiellement affichée, s'est heurtée à de dures réalités.
Auteurs : René Bertrand, Alain Coustaury
Sources : Archives famille Bertrand.