Eger, Egra, Cheb, anciens STO
Légende :
Sur une tombe du cimetière de Saint-Sorlin-en-Valloire (Drôme) a été déposée cette plaque commémorative des anciens – STO notamment – du camp de travail d’EGER (Tchécoslovaquie), probablement en 1976
Genre : Image
Producteur : Claude et MIchel Seyve
Source :
Détails techniques :
Plaque en marbre, 30 cm sur 22 cm
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Saint-Sorlin-en-Valloire
Analyse média
Cette plaque souvenir a été déposée sur un caveau du cimetière de Saint-Sorlin-en-Valloire.
L’inscription, en lettres noires sur marbre blanc, est extrêmement sobre et mentionne seulement : LES ANCIENS D’EGER.
Elle évoque le souvenir de jeunes gens envoyés dans le camp de travail d’EGER, dans la Tchécoslovaquie de l’époque occupée par les forces allemandes. Ces hommes étaient astreints au Service du Travail Obligatoire (STO) pour le compte du vainqueur de 1940.
C’est sans doute en 1976, lors du décès de l’un d’eux, originaire de Saint-Sorlin, que la plaque mémoire a été installée, probablement par ses anciens camarades de camp encore vivants, sur le caveau qui a reçu sa dépouille.
La sœur du défunt rend compte par ailleurs de ses propres souvenirs, concernant en particulier le STO dont a été victime son frère.
Auteurs : Claude Seyve, Michel Seyve
Sources : Holocaust Museum (USA), Expansion allemande avant la guerre, Eger
Contexte historique
La plaque souvenir Les Anciens d’Eger symbolise la forte et émouvante solidarité à l’égard d’un de leurs anciens camarades – probablement lors de son décès, des jeunes hommes rassemblés de 1943 à 1945 par les Allemands dans le camp de travail de la ville d’Eger.
Les requis pour le STO étaient alors une main d’œuvre corvéable à merci : à proximité d’une usine d’aviation, ils travaillaient à une production de guerre pour les occupants.
La sœur cadette de l’un d’eux, plus jeune, fortement impressionnée par le drame qu’avait vécu son frère, a témoigné de ses souffrances et de celles de la famille. Elle souhaite conserver l’anonymat, le sujet demeurant encore à vif. L'anonymat est ici compréhensif et même nécessaire pour permettre le témoignage : l'histoire locale de la Résistance étant riche et complexe, il n'est pas surprenant qu'il subsiste encore quelques tensions lorsque le sujet est abordé. L’auteur a fait précéder son témoignage d’un rappel historique provenant de l’ouvrage POUR L’AMOUR DE LA FRANCE précisant en substance : le 16 février 1943, le STO (Service du Travail Obligatoire). est mis en place par le gouvernement de Vichy ; c’est aussi la période des Chantiers de la jeunesse instaurés par le maréchal Pétain. Pour la Drôme, leur siège est au Muy avant d’être transféré à Manosque.
Voici le témoignage circonstancié concernant le vécu douloureux de son aîné durant les années 1943 – 1945, et, singulièrement, la réalité du Service du Travail Obligatoire telle que l’on peut l’imaginer à partir des récits d’un homme qui l’a endurée.
« Mon frère né, en 1922 (nous avions 16 ans de différence), est donc aux Chantiers de jeunesse à Manosque. Il est affecté dans une ferme où il s’occupe, avec d’autres camarades, d’un très gros troupeau de moutons. La vie n’est pas difficile ; il règne même un esprit patriotique.
Mais, en juin 43, lorsqu’ils apprennent que la classe 42 est réquisitionnée pour le STO et qu’ils doivent rejoindre l’Allemagne, un lourd dilemme se pose à eux : partir ; ils n’en ont pas envie. Rentrer en clandestinité ; mais comment ?...D’autre part, bien vite Laval [à la tête du gouvernement Pétain depuis 1942] menace les dissidents et leurs familles de vives représailles : fusillade de la famille, destruction des habitations, etc.…
Malgré cela, mes parents, qui écoutent la radio, ont vite trouvé une solution pour que leur fils ne parte pas pour travailler pour les Nazis. Ils savent que des amis du Grand-Serre peuvent le cacher. Ils habitent, dans les bois, près du maquis Bozambo. On leur octroie une journée pour venir dire au revoir à leur famille. Lorsque mon frère arrive, mes parents lui proposent la solution trouvée. Mais, impossible de le raisonner, tant il a peur pour les siens (il n’avait que vingt ans, un âge bien vulnérable).
Il part et, après avoir voyagé des jours dans des wagons à bestiaux, il se retrouve avec beaucoup de jeunes de la région à Eger, en Tchécoslovaquie. Ils sont destinés à travailler dans une usine d’aviation. Le camp était tout proche. Là commence le calvaire : barbelés, baraques à punaises, manque de nourriture, surveillance de la gestapo, des journées de 10 à 12 heures de travail souvent sans manger. Voilà comment leur jeunesse s’écoule sous le ciel des Sudètes.
Au début, les familles recevaient et pouvaient faire passer des nouvelles ; mais bien vite, plus rien.
Enfant de cinq ans, je voyais pleurer mes parents et grands parents chaque jour. Ils pensaient qu’ils ne reverraient pas leur fils, qu’il était décédé.
Le jour des Rameaux 1945, ayant une faim atroce, mon frère décide, avec un copain, d’aller chaparder des pommes de terre dans un champ tout proche. C’est alors que l’aviation américaine bombarde l’usine et 75 de leurs camarades restés au camp trouvent la mort.
Après avoir enterré leurs copains, déportés* et prisonniers confondus, sous la pluie et dans la boue et recouvert les corps de simples branchages puis de terre, mon frère et son ami décident de prendre la fuite.
Après avoir marché pendant plusieurs jours, ils arrivent dans une ferme où travaille un prisonnier français rencontré par hasard ; il les aide à se cacher et à se nourrir en attendant l’arrivée des troupes américaines.
Mon frère rentre en juin 1945, exténué physiquement et moralement. Plus jamais nous ne retrouverons le même garçon ; plus taciturne, de santé fragile. Il décèdera à 54 ans d’une maladie dégénérative appelée maladie de Charcot ; les docteurs ont toujours pensé qu’elle était le résultat du manque de nourriture à vingt ans. Voilà ce qu’a été le STO. Tous ne sont pas partis de leur plein gré, mais bien contraints et forcés".
× Précisons que Eger, nom allemand, Cheb, Egra, en Tchèque, est une ville de Tchécoslovaquie située à 40 km au sud ouest de Karlovy Vary (ancien nom allemand : Karlsbad). Les accords de Munich, des 29-30 septembre 1938, ont permis à Hitler d’occuper les Sudètes, espace à majorité germanophone de Tchécoslovaquie. Un document photographique de l’époque montre un défilé allemand à Eger, le 3 octobre 1938. Cela expliquerait qu’il n’est pas surprenant que le camp de travail dont il est question ici ait été établi par les Allemands sur le territoire de cette ville et à proximité d’une usine de production d’équipements pour l’aviation militaire, réunissant ainsi des conditions inhumaines de vie et de travail pour les prisonniers. Remarquons en outre que des photographies aériennes récentes montrent l’existence d’un aérodrome, les traces d’anciennes pistes ainsi que celles d’aires de dispersion dans les champs environnants. Autant de faits qui confirment l’implantation d’une structure de production militaire allemande relativement importante à Eger pendant la Seconde Guerre mondiale (et l’ampleur du « bombardement américain » évoqué dans le témoignage). En conséquence, apparaît, avec plus d’évidence encore, la nécessité pour l’occupant d’installer une réserve de main d’œuvre proche de l’usine, c’est-à-dire le camp qui a enfermé Les Anciens d’Eger. Apportons une dernière précision sur la nature du camp et des prisonniers qui y étaient gardés. Le camp d’Eger était vraisemblablement un camp de travail dans lequel étaient détenus des jeunes requis pour le STO, un certain nombre étant « de la région », c'est-à-dire de « la Drôme », ainsi qu’il est précisé dans le témoignage. *Le camp d'Eger n'étant pas recensé par la Croix Rouge internationale comme camp de "déportés", nous proposons de désigner les hommes ou femmes qui y ont été enfermés par les termes "détenus", "prisonniers", "requis au STO" ou encore simplement "Anciens d'Eger".
Auteurs : Claude Seyve, Michel Seyve
Sources : Témoignage de la sœur d’un jeune homme requis pour le STO en 1943 ; Holocaust Museum (USA), Expansion allemande avant la guerre, Eger ; Dictionnaire historique de la Résistance, Service du travail obligatoire (résistance au), p. 695 ; observations à partir de vues aériennes actuelles, Alain Coustaury ; Notion de « déporté », Robert Serre