Joseph Lisart et ses employés devant son garage Citroën à Montélimar
Légende :
Résistant, Joseph Lisart sera pris et déporté.
Genre : Image
Type : Photo
Producteur : Inconnu
Source : © Collection Robert Serre, archives Pierre Lisart Droits réservés
Détails techniques :
Photographie argentique en noir et blanc.
Date document : Sans date
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Montélimar
Analyse média
Joseph Lisart et ses employés devant son garage Citroën à Montélimar. Lisart est le quatrième à partir de la gauche, en retrait.
Résistant de Montélimar : il mettait des véhicules à la disposition de la Résistance, cachait chez lui un poste de radio… Arrêté en septembre 1943 par la bande Delage-Dunker, du SIPO/SD de Marseille, il mourra du typhus en déportation le 1er juin 1944 dans le camp-mouroir de Bergen-Belsen.
Auteurs : Robert Serre
Contexte historique
Le 25 septembre 1943, arrive dans la Drôme une des missions interalliées, la mission "Brown-Azur" de l’OSS (Office of Strategic Service), qui vient sur le terrain vérifier l’état des maquis de la région, noter leurs besoins, transmettre leurs suggestions. La mission OSS-Brown comprend l’agent américain Frédéric Brown (« Fred »), et deux Français, Gaston Vincent (« Azur ») et le courrier Pierre (« Boston »). Ils sont poursuivis depuis Marseille par la Gestapo qui avait recueilli de précieux renseignements à la suite des aveux d’un radio de l’équipe. A Pierrelatte, des soldats allemands ayant voulu les arrêter, « Fred » les avait froidement mitraillés avec la Thompson qui ne le quittait jamais et ils avaient foncé sur Montélimar.
Peu après, ils sont hébergés par le comte d’Andigné à Condillac. Leur mission était de relier l’activité des groupes de Résistance à l’effort militaire des Alliés et de regrouper toutes les informations sur les mouvements de troupes ennemies. Circulant sans prudence, n'appliquant pas les règles élémentaires de sécurité, ces hommes ne tardent pas à se faire repérer et à compromettre les résistants du terrain.
Le 28 septembre, Pons, chef d’un groupe de résistants de la région de Crest, amène les trois hommes à Blacons chez l’industriel Latune, membre d’un réseau giraudiste, qui installe l’émetteur radio avec ses deux techniciens chez ses parents.
Prévenu du passage de voitures allemandes près de la maison Latune, Pons fait déménager les trois radios dans son château des Gardettes à Crest. Le même soir, il tenait une réunion des chefs de groupes près de la gare de cette ville. Béraud, parti aux nouvelles à Montélimar, accourt à Crest et interrompt la réunion : la présence de la mission Brown est signalée dans toute la région, plusieurs personnes ont déjà été arrêtées et les Allemands arrivent à Crest. À Montélimar, d’Andigné, Marius Spézini, gendarme en retraite, secrétaire de la section socialiste de Montélimar, qui avait très tôt noué des contacts débouchant sur un embryon de mouvement de résistance, le garagiste Joseph Lisart et Paul Latard venaient en effet d’être pris par une forte équipe du SIPO SD de Marseille avec Dunker en tête, et 5 millions de francs avaient été trouvés dans la maison du comte d’Andigné. Lisart était à table avec sa famille lorsque deux hommes en manteau de cuir de la Gestapo sonnent à sa porte. Il n’a pas le temps de fuir : il avait pourtant tout préparé chez lui et dans son garage pour partir au maquis. Les Allemands venus en force dans trois voitures, fouillent alors la maison, pillent ce qui les intéresse, saccagent le reste.
Pons file aux Gardettes prévenir Brown, « Azur » et Pierre. Ils passeront la nuit en veillant, l’arme à la main.
Le 29, Frédéric Brown a juste le temps d’embarquer le matériel et de s’enfuir de Blacons vers Crest. Quelques minutes après son départ, 62 agents de la Gestapo et soldats allemands investissent les lieux et arrêtent Jean Latune et ses deux fils. Toute la famille est soumise à un interrogatoire serré. Pons réussira à cacher les trois agents de la mission américaine dans la ferme de Marcel Nouvet à Chabrillan. De là, ils gagneront Saint-Martin-en-Vercors où Brown recevra par radio l’ordre de rentrer à Alger. Il y sera mis aux arrêts.
Mais cette affaire va conduire à d’autres arrestations. Celle d’André Issartial a lieu à Montélimar le 5 octobre. Le 12 octobre, le garagiste Albin Davin, 48 ans, chef des MUR, agent des Comités de réception des parachutages de la Drôme, et son adjoint René Chartron, 27 ans, sont arrêtés à Marsanne par la Gestapo de Marseille. Plus tard, Louis Gustave Marroux, cafetier, est saisi à son tour. À l’École Supérieure du boulevard Marre-Desmarais où ils cantonnaient, les gestapistes donnent aux détenus un aperçu de ce qui les attendait. Les hommes arrêtés sont ensuite conduits à Marseille, rue Paradis, où ils subissent la torture. Davin est assis sur un réchaud électrique et frappé à coups de cravache au visage. Mais lui qui passait pour un « je-m’en-foutiste » ne révèlera aucun des secrets qu’il détenait.
Dans une interview recueillie en 1984, à l’occasion de la célébration du quarantième anniversaire à L’Escoulin, Pierre de Saint-Prix, préfet de la Libération, à propos des interrogatoires, de la torture pour faire parler et de la peur, cite l’exemple d’Albin Davin :
« On ne sait pas qui parlera et qui ne parlera pas. Le cas de Davin, de Marsanne, était très curieux. Davin était chef MUR à ce moment-là. C’était un garagiste à cheveux blancs déjà, un noceur, un type qui adorait boire, les filles, tout ça, qui était je-m’en-foutiste, mais autant qu’on peut l’être. Alors, la Gestapo l’arrête : immédiatement, dans toute la région, on dit : « Oh ! Davin est arrêté, il faut tous se planquer parce qu’il va parler », étant donné qu’on le connaissait comme une chiffe. Adorable, mais se foutant de tout. Eh ben, il n’a rien dit ! Il est resté aux Beaumettes pendant trois ou quatre mois, on lui a brûlé les mains, les pieds et les couilles. Il n’avait plus de couilles, ni de mains, ni de pieds. On l’a transporté à Flossenburg. Ses camarades le faisaient manger parce qu’il n’avait plus de mains, il est mort trois mois après. Il n’a jamais rien dit. Et il connaissait tout le monde nommément. Il avait les listes de tous les camarades, ce qui n’est pas prudent, mais il les avait, étant chef MUR !».
Robert Vernin a narré ce moment agité de la vie de Spézini « à Marseille dans les geôles de la rue Paradis. C’est là que la Gestapo avait installé ses services régionaux de la torture. On la pratiquait d’une façon super-scientifique dans des chambres munies des appareils les plus modernes et les plus perfectionnés. Notre compatriote garde de son séjour […] de cruels souvenirs en son corps et en son âme. […] le visage martelé de coups de poing, il finit par laisser toutes ses dents au cours de l’aventure. Son séjour à Marseille dura environ deux mois pendant lesquels de temps en temps ses tortionnaires savaient le rappeler aux réalités de sa nouvelle existence […]. À mesure que les fouets labouraient son corps, que les coups et les privations brimaient sa chair, Spezini sentait s’affirmer sa personnalité de résistant : au lieu d’avoir tué sa volonté, ses bourreaux l’avaient fortifiée ».
Le rôle suspect de « Fred », Frédéric Brown, n’a jamais été vraiment éclairci. La mission Brown est pourchassée depuis Marseille par la Gestapo. Celle-ci arrive systématiquement dans tous les endroits où ont séjourné les trois hommes. Bien que ne découvrant nulle trace de leur passage, la police allemande arrête et déporte une dizaine de personnes les ayant hébergés ne fusse qu'une seule nuit. Il est certain que son bref séjour de septembre 1943 dans la Drôme a eu des conséquences terribles et a fait beaucoup de victimes : un radio et deux autres agents arrêtés à Marseille et, dans la Drôme, Davin, Lattard, Chartron, Lisard, Spézini, D'Andigné, Issartial, tous arrêtés et déportés, Roger Poyol tué chez lui.
Auteurs : Robert Serre
Sources : AN, F/1CIII/1152, rapport préfet du 03/11/1943. SHGN, rapport Cie Drôme R4. ADD, 97 J 27, 255 W 89. Gerland, La Résistance en Drôme Centrale. Pour l’Amour de la France. Robert Vernin, On se bat à Montélimar, Valence 1945. Henri Faure. Paul Pons, De la Résistance à la Libération. F. Calvi, OSS la guerre secrète en France, Hachette 1990. Burles, La Résistance et les maquis en Drôme-Sud. Laurent Douzou, Libération-sud. Témoignage du pasteur Roger Chapal, d’Aouste-Saillans, in colloque Églises et Chrétiens. Gilbert Sauvan, Contribution au Colloque de Montélimar, 2004. Interview de Pierre de Saint-Prix, préfet de la Libération, recueillie par Robert Serre en 1984. Fondation pour la mémoire de la déportation, le Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression et dans certains cas par mesure de persécution 1940-1945, Paris, éditions Tirésias, 2004. tome I, 1 446 pages, tome II, 1 406 pages, tome III, 1 406 pages, tome IV, 1 282 pages.