Discours du général de Gaulle le 25 août 1944

Légende :

Intégralité du discours prononcé par le général de Gaulle à l'Hôtel de Ville de Paris le 25 août 1944

Genre : Son

Type : Discours

Source : © Youtube Libre de droits

Détails techniques :

Durée : 4 minutes 52 s

Date document : 25 août 1944

Lieu : France - Ile-de-France - Paris

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Contexte historique

Le 25 août 1944, à  19h00, le général de Gaulle se rend à pied à l'Hôtel de Ville, où la foule n'a cessé de grandir. Là, il est reçu solennellement par Georges Bidault, président du CNR qui évoque dans son allocution la mémoire de son fondateur Jean Moulin, et par Georges Marrane qui représente le Comité parisien de Libération. C'est en réponse à cet accueil chaleureux que de Gaulle prononce son discours devenu célèbre, dont il dit dans ses Mémoires qu'il fut "improvisé".
Improvisé, peut-être. Mais aussi mûrement réfléchi, conforme à son double projet d'unité nationale et d'autorité de l'Etat, le tout atteignant une hauteur rhétorique impressionnante.

Le discours débute de manière émotive : "Pourquoi voulez-vous que nous dissimulions l'émotion qui nous étreint tous, hommes et femmes, qui sommes ici, chez nous, dans Paris debout pour se libérer et qui a su le faire de ses mains.  Non! nous ne dissimulerons pas cette émotion profonde et sacrée.  Il y a là des minutes qui dépassent chacune de nos pauvres vies." Puis, le ton monte encore, dans une série d'exclamations quasi-poétiques où les noms de Paris et de la France sont scandés comme une incantation : "Paris ! Paris outragé ! Paris brisé ! Paris martyrisé ! mais Paris libéré ! libéré par lui-même, libéré par son peuple avec le concours des armées de la France, avec l'appui et le concours de la France tout entière, de la France qui se bat, de la seule France, de la vraie France, de la France éternelle." Ce discours a été filmé, et lorsqu'on voit les gestes et les expressions de visage qui accompagnent ces phrases, on dirait un grand acteur dramatique sur scène. Mais notons que, à part leur force poétique, ces phrases véhiculent aussi un message politique puissant : la libération de Paris est l'œuvre du peuple unanime, non seulement de la ville mais du pays entier. Qui plus est, cette œuvre est exclusivement française - pas un mot sur le rôle des Alliés, du débarquement du 6 juin, du  général Eisenhower. Pas un mot non plus sur les mouvements de la Résistance, puisque selon ces phrases la France entière a résisté à l'ennemi.

L'historien Henry Rousso, dans son livre important Le syndrome de Vichy, a fait remarquer que par ces quelques phrases "le général de Gaulle a posé d'emblée la première pierre du mythe fondateur de l'après-Vichy. Fort de sa légitimité, il va inlassablement chercher à écrire et réécrire l'histoire des années de guerre."  Le "mythe fondateur" qu'on a appelé le résistancialisme a persisté jusqu'à après la mort de Charles de Gaulle ; il a fallu attendre le début des années 1970 pour qu'une vision plus équilibrée des années d'Occupation commence à s'élaborer.

Dans le dernier paragraphe de ce discours, dont la longueur entière ne dépasse pas quarante lignes imprimées, de Gaulle se tourne vers les devoirs qui restent à accomplir, puisque la guerre n'est pas encore finie (la guerre  en Europe ne prend fin qu'en mai 1945).  Et il fait enfin allusion aux grands absents des paragraphes antérieurs,"nos chers et admirables alliés" et "nos braves et chères forces de l'intérieur". Mais il est clair que selon lui ces deux entités ne sont que des adjuvants, qu'ils ne mènent pas l'action mais y "concourent" seulement.  D'ailleurs, les "braves et chères forces de l'intérieur vont s'armer d'armes modernes", ce qui est une façon de dire qu'ils seront intégrés à l'armée régulière. Ce sera un moyen d'assurer qu'ils ne nuisent pas à l'autorité de l'Etat. De même, De Gaulle fera tout pour effectivement dissoudre le Conseil national de la Résistance en l'intégrant dans l'Assemblée consultative du nouveau gouvernement. A côté du mythe de la nation entière unie dans sa Résistance contre l'ennemi, il y a cet autre mythe d'une Résistance unie derrière le chef de la France Libre. Là aussi, il a fallu attendre beaucoup d'années pour qu'une appréciation  plus exacte des enjeux et des conflits à l'intérieur même de la Résistance commence à se manifester.

Mais si on peut juger aujourd'hui dans une perspective critique la rhétorique du général de Gaulle le jour de la libération de Paris, il est aussi utile de rappeler que par sa stratégie politique il a réussi à donner aux Français une image positive d'eux-mêmes, après quatre années d'humiliation, et à raccommoder, ne fût-ce qu'imparfaitement, les âpres divisions franco-françaises qui avaient dominé le pays pendant l'Occupation allemande.


Susan Rubin Suleiman in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004