Charles Tillon
Légende :
Charles Tillon, commandant en chef de l'OS-FTP (1941-1944)
Genre : Image
Type : Portrait
Source : © Musée de la Résistance nationale, Champigny-sur-Marne Droits réservés
Détails techniques :
Photographie analogique en noir et blanc
Lieu : France
Contexte historique
Charles Tillon naît le 3 juillet 1897 dans une famille très modeste de Rennes. Après le certificat d'études, il effectue son apprentissage dans la métallurgie, puis entre comme ajusteur à l'Arsenal de Rennes, en 1914. Deux ans plus tard, bien que réformé en raison de son asthme, il s'engage pour cinq ans dans la Marine et embarque sur le croiseur Guichen. Après l'Armistice, le navire est chargé de convoyer des troupes à Odessa pour lutter contre les Bolcheviks. L'équipage, las de la guerre, apprend le déclenchement de mutineries sur d'autres unités françaises. Charles Tillon, sympathisant de la Révolution d'octobre, fait alors circuler une pétition réclamant le retour en France. Elle recueille 237 signatures sur 277. Face au refus d'un commandant lié à l'Action française, les marins se mettent en grève. La révolte est bientôt matée et les principaux meneurs traduits en justice. En novembre 1919, Charles Tillon est condamné à cinq ans de travaux forcés. Il est d'abord interné en France puis au Maroc. Grâce à l'intervention de son avocat, il est libéré à la fin de l'année 1920, mais il lui faut plusieurs mois d'hospitalisation et de convalescence pour se remettre de son incarcération.
Il s'engage alors dans le combat politique et syndical. Animateur d'un comité de soutien aux mutins de la Mer Noire, il adhère au Parti communiste à l'été 1921. Très impliqué dans les luttes sociales, il accède, dès 1923, à la direction de l'Union départementale CGTU d'Ille-et-Vilaine. En 1928, il entre au secrétariat de l'Union régionale de la CGTU. Deux ans plus tard, il dirige la Fédération nationale de la céramique et des produits chimiques. Il rencontre ainsi une jeune porcelainière de Limoges, Marie-Louise Camaillat, qui devient sa compagne. En 1931, il intègre le bureau confédéral de la CGTU qui lui confie la direction nationale du mouvement des chômeurs, puis de la Fédération des ports et docks, en 1934. Il y fait la connaissance de Pierre Villon. Son ascension politique suit une courbe parallèle. En 1925, il devient conseiller municipal de Douarnenez. En 1929, il est nommé secrétaire régional du parti et, deux ans après, entre au comité central. En 1935, il se présente avec succès aux élections cantonales à Aubervilliers. L'année suivante, il prend la tête de la région Paris-Nord du parti et parvient à faire reculer Jacques Doriot. Lui-même est élu député d'Aubervilliers, tandis que Fernand Grenier met en échec le chef du PPF aux élections législatives partielles de 1937.
En avril 1939, envoyé en Espagne pour superviser l'évacuation des Républicains, Charles Tillon est fait prisonnier par les troupes franquistes. Il est relâché quelques jours plus tard. Après l'interdiction des organisations communistes par le décret du 26 septembre 1939, Benoît Frachon demande à Charles Tillon d'entrer dans la clandestinité et de prendre la direction du parti dans le Sud-Ouest de la France. Conduit par Claudine Chomat, Charles Tillon s'installe avec sa femme dans le Bordelais, sous la fausse identité de "Pierre Bernard". Avec l'aide de militants locaux comme Victor Covelet, Henri Souques, Paulette Lacabe ou Charles Lahousse, il met sur pied un appareil qui diffuse les numéros clandestins de L'Humanité. Le 9 juin 1940, poussé par l'avancée allemande, le gouvernement se réfugie dans la capitale girondine. Charles Tillon s'insurge contre le défaitisme ambiant. Le 11, il rédige un appel au Peuple de France : " [...] Pour sauver notre pays des désastres préparés par les deux cents familles, sois uni contre le fascisme et la réaction ". Trois jours plus tard, il écrit au président de la Chambre des députés, Edouard Herriot, pour l'exhorter à refuser toute capitulation. Après le discours de Pétain du 17 juin, il lance un appel aux Travailleurs où il dénonce " les gouvernants bourgeois qui [ont] livré à Hitler et à Mussolini l'Espagne, l'Autriche, la Tchécoslovaquie " et qui maintenant " livrent la France ". Il préconise la formation d'un " gouvernement populaire, s'appuyant sur les masses, libérant les travailleurs, établissant la légalité du parti communiste, luttant contre le fascisme et les 200 familles, s'entendant avec l'URSS pour une paix équitable, luttant pour l'indépendance nationale et prenant des mesures contre les organisations fascistes ". Ce discours reprend presque textuellement des extraits du numéro 56 de L'Humanité (17 juin 1940), mais il s'en démarque par ses intonations explicitement anti-fascistes. Le 18 juillet, Charles Tillon lance un nouveau manifeste de 20 pages intitulé L'ordre nouveau du gouvernement de la 5ème colonne, c'est le fascisme hitlérien ! où il approfondit les thèmes évoqués dans son ‘appel du 17 juin'. La victoire nazie y est expliquée comme le fruit de la trahison volontaire de la bourgeoisie française. En conséquence, la lutte pour l'indépendance est indissociable du combat contre les 200 familles. Ronéoté à 300 exemplaires par Louis Liard et Paulette Lacabe, le document est envoyé aux responsables départementaux. Il aurait fourni la matière à plusieurs tracts locaux. Si Charles Tillon ignore tout des négociations menées, à Paris, par Jacques Duclos et Maurice Tréand pour la reparution légale de la presse communiste, il est cependant déjà en contact avec la direction du PCF en zone Sud.
En effet, le 21 juin 1940, Claudine Chomat et Danielle Casanova sont venues lui annoncer qu'il était désigné pour succéder à Benoît Frachon à la tête du parti en zone Sud "en cas de problème". En octobre suivant, Benoît Frachon, de retour dans la capitale, lui demande d'intégrer le secrétariat national du PCF. Charles Tillon accepte. Remplacé dans le Sud-Ouest par son beauf-frère, Georges Beyer, il s'installe, en décembre, dans un pavillon de Palaiseau avec sa femme (" Colette "), avant d'emménager à Limours, l'année suivante, sous le nom de "M. Rocheteau". Durant les premiers mois, Charles Tillon n'a, selon ses dires, que peu d'occupation. Ses contacts avec Jacques Duclos et Benoît Frachon s'effectuent par l'intermédiaire d'Arthur Dallidet qui lui transmet "tous les rapports venant des régions". Ce n'est qu'à partir du printemps 1941 qu'ont lieu les premières réunions plénières du secrétariat. Selon Charles Tillon, on y évoque notamment la création d'une organisation armée et d'un service de renseignement.
Cependant, les groupes de combats du PCF, l'Organisation spéciale (OS), ne connaissent un véritable essor qu'après l'attaque de l'URSS par la Wehrmacht, le 22 juin suivant, et c'est Charles Tillon qui est chargé de développer ces formations. Il est secondé, à partir de juillet, par Eugène Hénaff, qui supervise, en particulier, l'activité des groupes des Jeunesses communistes (JC) et de la Main d'oeuvre immigrée (MOI). Le PCF espère alors une victoire rapide de l'Armée rouge et une mobilisation massive des Français contre l'occupant, mais les troupes soviétiques reculent. Les Français désapprouvent d'autant plus les premières actions contre les troupes allemandes qu'elles suscitent un durcissement de la répression. Le secrétariat du parti est donc amené à repenser l'organisation de la lutte armée, jusque là très empirique. A l'automne 1941, il décide la fusion des groupes de l'OS, des JC et de la MOI dans une organisation unique, cloisonnée et hiérarchisée, qui conserve d'abord le nom d'OS, avant d'adopter celui de Francs-Tireurs et partisans (FTP). Charles Tillon est désigné pour construire et diriger la nouvelle structure. Il crée pour cela, vers octobre 1941, une direction centrale, le Comité militaire national (CMN), en s'appuyant sur des syndicalistes éprouvés, comme Eugène Hénaff, des anciens volontaires de la guerre d'Espagne, comme Jules Dumont ou Georges Vallet, bientôt remplacé par Albert Ouzoulias, auxquels viendront s'ajouter des proches, comme son beau-frère, Georges Beyer, ou le Breton Pierre Le Queinec. Au sein du CMN, Charles Tillon jouit du titre incontesté de commandant en chef. Il est le seul à avoir la liaison directe avec Jacques Duclos et Benoît Frachon. Il rédige la plupart des directives internes du CMN et, sous diverses signatures ( France d'Abord, Comité militaire national, Haut Commandement des FTP ou Blaise Juillet), la majorité des éditoriaux du journal des FTP, France d'Abord. A destination des militants communistes, il publie régulièrement des articles dans La Vie du Parti et les Cahiers du Communisme qui expliquent la stratégie de son organisation. Leur ton vigoureux, parfois-même cinglant, témoigne autant du caractère de leur auteur, que des tensions qui traversent pendant plusieurs mois le PCF quant à la question de la lutte armée. Ainsi cet extrait d'un article de La Vie du Parti de juillet 1942, publié dans le numéro 170 de L'Humanité clandestine : "Si tous les dirigeants du Parti avaient compris la nécessité impérieuse pour le Parti de participer activement à la formation et au recrutement des groupes de Francs-Tireurs et partisans, de plus grands résultats auraient été obtenus. Et les militants qui se comportent ainsi montrent qu'ils sont bornés dans leur horizon puisqu'ils ne voient pas que le but à atteindre pour libérer le pays, c'est le soulèvement armé de tout le peuple contre l'envahisseur et puisqu'ils ne comprennent pas qu'un tel soulèvement ne peut être que le résultat d'un travail préparatoire et d'actions préalables exécutées par des groupes de Francs-Tireurs et partisans qui sont l'avant-garde du peuple en arme". Ces différents écrits définissent à la fois la stratégie, la tactique et l'identité des FTP. Ils véhiculent aussi les objectifs du PCF : rassembler le peuple français et le préparer à l'insurrection pour la libération nationale. Cette logique unificatrice, qui s'inscrit dans le prolongement des initiatives entamées dès l'été 1940 par les Comités populaires et poursuivies par la création du Front national en mai 1941, amène le secrétariat national à rechercher, auprès de la France libre, une légitimation de l'action des FTP. Ainsi, c'est par le biais de l'état-major des FTP, confié à Marcel Prenant et piloté par Charles Tillon, que s'effectuent, au printemps 1942, les premiers contacts entre communistes et agents du général de Gaulle. Ceux-ci débouchent d'abord sur une coopération militaire (été 1942), puis sur le ralliement du PCF à la France combattante (janvier 1943). Ils constituent un pas décisif dans le processus d'unification de la Résistance au cours duquel les FTP doivent sacrifier leur statut initial de mouvement de Résistance. En effet, dans la deuxième moitié du mois de mars 1943, les envoyés de Londres (Brossolette et Passy) et les mandataires des FTP (André Mercier et Georges Beaufils) s'accordent à confier au FN, réorganisé par Pierre Villon, la représentation civile des FTP au Comité de coordination des mouvements de la zone Nord. Cette délégation de pouvoir ne confine pourtant pas Charles Tillon dans un rôle strictement militaire.
A l'été 1943, il revient au CMN, et non au comité directeur du FN, de penser la mutation des FTP et de l'Armée secrète en une véritable "armée de la libération nationale", puisant ses effectifs dans la masse croissante des réfractaires, et de militer à partir d'août 1943 pour la création d'un état-major national de cette nouvelle armée, baptisée FFI à partir de novembre suivant. Ces objectifs - unification et centralisation - se heurtent aux pratiques londoniennes de balkanisation des forces armées de la Résistance intérieure, mais aussi aux conceptions de la Délégation générale du CFLN, soucieuse de s'en réserver le contrôle. Face à ce double obstacle, le CMN n'a bientôt d'autre choix que d'en référer à Pierre Villon, membre du bureau politique du CNR, désormais seul habilité à négocier la coordination militaire centrale. C'est à ce moment que se fixe la définition des FTP, "branche armée du FN". Toutefois, aux yeux de Jacques Duclos, Charles Tillon reste une référence incontournable : " Au sujet des discussions qui ont lieu relativement aux problèmes des FFI, je te joins une lettre de Japy [Charles Tillon] qui souligne, avec raison, que nous devons nous en tenir fermement à la position qui consiste à obtenir effectivement que le CNR joue le rôle d'organisme dirigeant de la Résistance - c'est bien que dans le BP [Bureau politique du CNR] cette position ait été approuvée, mais il faut toujours se méfier des décisions qui ne s'appliquent pas car il y a des gens qui ont intérêt à ce que les FFI ne soient pas placées sous l'autorité du CNR mais continuent à être sous l'autorité du BCRA [...] " (Lettre de Jacques Duclos à Pierre Villon, 23 janvier 1944, Archives Duclos, D123, n°10108, Musée de l'Histoire vivante de Montreuil). Ainsi, pour le commandant en chef des FTP, à travers la question de la dévolution des FFI, c'est la capacité du CNR à jouer un véritable rôle dirigeant qui est en jeu. Ses recommandations guident le compromis négocié finalement par Pierre Villon : un état-major FFI contrôlé par le CNR via un Comité d'action (COMAC) où les FTP sont à nouveau représentés par le FN. L'étude du rôle du CMN des FTP et de son commandant en chef au cours de l'été 1944 reste à écrire. Nous n'en poserons ici que les principaux repères.
Après le 6 juin 1944, Charles Tillon installe le quartier général des FTP dans une ancienne ferme de Denisy, près de la Forêt de Dourdan (Seine-et-Oise). Grâce à Albert Ouzoulias qui a su préserver l'appareil de liaison avec la province, il peut diriger l'action générale des FTP, notamment dans les régions du Débarquement. Ses éditoriaux de France d'Abord et ses directives internes, en opposition aux consignes diffusées le 10 juin, depuis Londres, par le général Koenig, tournent autour de deux idées forces ; intensifier les actions et accélérer la levée en masse, mais observer les règles de la guérilla en évitant tout combat frontal avec l'ennemi. Le 24 juillet, il rapproche le CMN de Paris pour établir une liaison plus rapide avec l'état-major régional FFI. Le 8 août, il place les FTP d'Ile-de-France, dirigés par Albert Ouzoulias, sous le commandement de Rol-Tanguy. Deux jours plus tard, il appelle, à travers l'Ordre du Jour n°3 du CMN, les Parisiens à l'insurrection. Le 15 août, il déplace le CMN avenue de Saint-Mandé où il reste jusqu'à la fin de l'insurrection.
Son commandement s'achève en septembre 1944, avec la dissolution des FTP dans les FFI. Le même mois, à la demande du général de Gaulle, Charles Tillon succède à Fernand Grenier au poste de ministre de l'Air. Il dirige ensuite les ministères-clés de l'Armement, puis de la Reconstruction jusqu'au début de la guerre froide, en 1947. Par ailleurs, il est maire d'Aubervilliers de 1944 à 1952, député de la circonscription, de 1946 à 1956, et membre du bureau politique du PCF à partir de 1945. Ses fonctions ministérielles l'ont certainement empêché de participer et de peser pleinement dans l'élaboration de la stratégie du PCF au sortir de la guerre. A partir de 1947-1948, il joue à nouveau un rôle déterminant. Il est un des principaux artisans de la création du Mouvement des Combattants de la paix et de la liberté, qui devient, en 1949, le Mouvement des Partisans de la paix. Successeur d'Albert Ouzoulias à la tête de l'Association des anciens FTP, créée dès octobre 1944, il oeuvre pour l'élargissement de l'organisation. Cette initiative donne naissance, en 1952, à l'Association nationale des anciens combattants de la Résistance française (ANACR) que Charles Tillon préside jusqu'en 1954, malgré son éviction de la direction du PCF deux ans plus tôt. Réhabilité après le rapport Khrouchtchev de 1956, il refuse cependant toute responsabilité au sein du parti. En 1962, il publie un livre important sur les FTP, réponse à l'historiographie gaulliste de la Résistance. Ce travail d'histoire et de mémoire se prolonge après son exclusion du PCF, en 1970, par l'écriture de plusieurs de plusieurs ouvrages autobiographiques, d'un livre sur son ancêtre, le " père Gérard ", seul député paysan aux Etats généraux de 1789, et par la fondation de l'Amicale des Anciens FTP. A sa mort, le 18 janvier 1993, cinq jours après sa promotion au grade de commandeur de la Légion d'honneur, le gouvernement lui fait rendre les honneurs militaires pour le rôle considérable qu'il a joué dans la Résistance.
Axel Porin in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004