Plaque en hommage aux agents du réseau Prosper de Grignon
Légende :
Plaque apposée dans le hall du château de l'Institut national agronomique Paris-Grignon (Thiverval-Grignon) en hommage aux agents du réseau Prosper actifs au sein de l'Ecole.
Genre : Image
Type : Plaque commémorative
Producteur : Michel Chartier
Source : © Collection Michel Chartier Droits réservés
Détails techniques :
Photographie numérique en couleurs
Date document : Septembre 2014
Lieu : France - Ile-de-France - Yvelines - Grignon
Analyse média
La plaque de marbre porte la mention :
"A la mémoire de
Alfred Balachowsky, déporté à Dora et Buchenwald,
Robert Douilhet, déporté, morts le 5 mars 1944 à Buchenwald,
Désiré Maillard, dit Marius, déporté, mort en avril 1944 à Dora,
Eugène Vandervynckt, déporté, mort le 1er mai 1945 à Dachau
Résistants du réseau "Prosper" sur le site de Grignon
Ils se sont sacrifiés pour la cause de la France
sans que nulle loi humaine ne les y contraignit !"
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Contexte historique
Le réseau Prosper est fondé en octobre 1942 en zone occupée par le major Alfred Suttil. Il va devenir le plus grand réseau du SOE, à partir de mars 1943. Prosper met en place une centrale de renseignements à Paris et des réseaux dans toutes les régions de France. En décembre 1942, Prosper couvre plusieurs départements avec plusieurs sous-réseaux dans la région parisienne. En avril 1943, le réseau est infiltré par des agents de l'Abwehr. En juin 1943, il est entièrement démantelé et ses principaux dirigeants déportés en Allemagne et exécutés.
L'équipe dirigeante du réseau se composait d'un chef, "Prosper" (Alfred Suttil), d'un opérateur-radio, "Archambault" et d'une jeune femme, "Denise" (Andrée Borrel). Tous trois habitaient Paris, rue Pergolèse, mais se réfugiaient fréquemment à l'Ecole nationale d'agriculture de Grignon. Le secteur couvert par l'équipe de Prosper était divisé en un certain nombre de sections. Alfred Balachowski, membre de l'Institut Pasteur, professeur à l'Ecole, était responsable du secteur de Grignon et également du réseau Comète pour l'ouest de la région parisienne. Son supérieur dans l'organisation de la région parisienne était Armel Guerne.
Le 20 juin 1943, une nouvelle opératrice-radio rejoint le réseau en renfort. Il s'agit de Noor Inayat Khan, une jeune princesse hindoue, agent du SOE. Pour la section F du SOE, son nom de code est "Madeleine". Le lendemain de son arrivée à Paris, "Archambault" emmena Noor à Grignon, après que M. Balachowski a obtenu l'autorisation du directeur, M. Vanderwynckt. Le poste émetteur d'"Archambault" était dissimulé dans une serre de l'Ecole ; c'est de là que Noor établit la liaison avec Londres. En attendant l'arrivée de son propre poste émetteur, Noor émettait sur celui d'Archambault depuis la serre, avec la complicité du jardinier, Marius Maillard.
Le 21 juin 1943, le professeur Balachowski se rendit avec plusieurs personnes à la ferme du Roncey, commune de Bazemont, où avaient lieu les parachutages, afin d'y réceptionner sept containers contenant deux ou trois postes émetteurs pour Noor et sa valise personnelle. Deux élèves de l'école, Jean-Louis de Ganay et M. Velter participaient à la réception de ces parachutages. Les armes étaient stockées dans la ferme dont M. Abgrall était le gérant à Bazemont.
Le 26 juin 1943, plusieurs arrestations frappèrent le réseau : Prosper, Archambault et Denise furent arrêtés à Paris. A. Balachowski conseilla à Noor de quitter Grignon car une perquisition était imminente. Le 1er juillet 1943, une soixantaine de policiers allemands et français débarquèrent à l'Ecole et effectuèrent plusieurs perquisitions. Une lettre du directeur de l'Ecole de Grignon datée du 4 juillet 1943 relate les faits. En voici un extrait : "Ces policiers m'ont dit qu'ils enquêtaient à propos d'armes déposées par parachutes dans l'Ecole ou à ses abords, entreposées dans l'Ecole, et de personnages anglais qui seraient cachés dans l'Ecole. Il me fut reproché à moi-même d'avoir assisté à des descentes de parachutes et de connaître ces questions. Dans ma parfaite innocence, il me fut aisé d'affirmer que rien de tel n'existait. Une longue liste de noms me fut alors lue en me demandant si je les connaissais dans l'Ecole. Parmi ces noms, je n'ai pu reconnaître que celui du professeur Balachowsky et de deux élèves, De Ganay et Velter. Les autres noms, très nombreux, me sont totalement inconnus. (…) A la suite de ces interrogatoires, vers 21h, un officier en tenue, revêtu d'un pardessus, m'a fait appeler dans la cour de l'Ecole. Il avait fait rassembler tous les ouvriers travaillant dans les jardins, soit une dizaine d'hommes environ. Il me somma de lui dire tout ce que je savais sur les motifs de son enquête. Sur ma réponse que je n'avais rien d'autre à lui dire, et les élèves de 1ère année étant rentrés entre temps de l'excursion de botanique, il fit désigner les 6 élèves les plus âgés. Ces 6 élèves et les jardiniers furent mis dans l'autobus de l'Ecole. Les menottes leur furent apposées. Je fus alors amené dans un endroit boisé près de mon habitation et l'autobus m'y suivit. Alors commença un simulacre de fusillade, chacun, sous menace de mort, étant sommé de dire la vérité et pouvait racheter sa vie par des déclarations intéressantes. Je passai le premier et la vingtaine d'hommes désignés me succéda. Cette mise en scène donna lieu à des scènes très diverses qu'on peut imaginer : certaines franchement héroïques, d'autres pathétiques et quelques unes pénibles. Les déclarations recueillies sous cette menace ont été sans intérêt pour les policiers car lorsqu'ils eurent terminé, vers 1h du matin, les deux policiers qui m'avaient interrogé me ramenèrent dans mon cabinet et me dirent que l'enquête était terminée. (…) Le lendemain, j'ai appris, par sa femme, l'arrestation de M. Balachowsky, demeurant à Viroflay, Directeur de laboratoire au Centre national de recherche agronomique de Versailles et professeur d'entomologie à Grignon." (ADY, 1 W 161).
M. Balachowski fut donc arrêté le 2 juillet 1943 à son domicile de Viroflay. Le mercredi 4 juillet, ce fut le tour de M. Douillet, ingénieur agricole et gendre du directeur de l'Ecole et de Désiré Maillard, dit Marius, jardinier. Enfin, le samedi 10 juillet, M. Vanderwynckt fut arrêté à son tour. "Avant de partir, il déclara à sa femme : "J'ai fait quelque chose de mal, je l'ai fait pour mon pays ; sois courageuse, soigne nos petits enfants" " (ADY, 1 W 161). M. de Ganay ne résidait pas dans l'Ecole mais dans le village de Grignon; il a donc échappé aux arrestations, de même pour M. Velter. En tout cas, la police connaissait leur identité à tous les deux et ils étaient recherchés. L'opération menée le 10 juillet à Grignon permit la découverte de huit parachutes et d'un poste émetteur de TSF.
Une note des Renseignements généraux de Versailles, établie le 15 février 1944 fait un récapitulatif très intéressant de cette affaire. En fait, il semblerait que ce soit la découverte d'armes à l'étang de Saint-Hubert qui ait entraîné la découverte d'armes à Bazemont. Les armes découvertes au Perray appartenaient vraisemblablement au mouvement Vengeance, qui était en contact avec Londres par l'intermédiaire de Robert Benoist, ancien coureur automobile, et membre du SOE. Benoist faisait partie du sous-réseau Chesnut en liaison étroite avec le réseau Prosper, ce qui expliquerait comment la police allemande a pu retrouver la piste d'autres lieux de parachutage destinés au même réseau. Le 1er juillet 1943, les policiers allemands effectuent une perquisition à la ferme du Roncey à Bazemont, qui amène la découverte "d'un important matériel, explosifs, armes de guerre, documents et papiers" (ADY, 1 W 161, note des RG), à savoir"40 caisses de dynamite, 14 tonneaux contenant des mitraillettes anglaises, 20 parachutes et des vêtements d'aviateurs" (AN, F60 1526). M. Abgrall, cultivateur, Toulis Jean, son employé, et le propriétaire de la ferme M. Parent sont arrêtés.
La découverte des armes à Bazemont entraîne une nouvelle perquisition, à l'Ecole de Grignon cette fois-ci, dont nous connaissons le dénouement. La note des RG du 15 février 1944 explique qu'il y a une infiltration du service d'espionnage allemand au sein du groupe de Grignon, ce qui est fort possible puisque le réseau Prosper était infiltré par des agents de l'Abwehr depuis le mois de mai 1943 : "Il semble bien que l'affaire de Bazemont ait une corrélation avec celle de Plaisir-Grignon. Les autorités allemandes l'auraient d'ailleurs appelée "la grande affaire de Bazemont et de Plaisir". Il semble que sa découverte est l'œuvre du service d'espionnage allemand, et en particulier un officier prénommé "Gilbert" se disant capitaine de l'armée anglaise mais en réalité, officier de l'armée allemande, hébergé quelque temps à l'école d'agriculture et en relations directes avec M. Van Der Wynck et M. Balachowsky. Ce même personnage aurait également été en relation avec M. Abgrall, cultivateur de la ferme du "Roncey" commune de Bazemont. Mme Abgrall l'aurait reconnu au moment de l'arrestation de son mari. Toutes les personnes arrêtées ont été détenues pendant un certain temps à la prison de Fresnes, puis transférées au camp de Compiègne et à la date du 15 janvier 1944, déportées en Allemagne, sans plus d'indications, car jusqu'ici elles n'ont pas encore donné de leurs nouvelles. Seul M. Parent, propriétaire de la ferme du "Roncey" a été libéré de Fresnes le 6 octobre 1943. Dans ces affaires, aucun jugement ne serait intervenu, et les personnes arrêtées puis relâchées ensuite, ainsi que les proches parents laissés en liberté, n'ont jamais été interrogés par écrit." (ADY, 1 W 161, Note des RG).
Noor entra en contact avec Buckmaster qui lui demanda de revenir à Londres car elle courait un grand danger. Celle-ci refusa car son rôle était trop important : elle était la seule opératrice-radio encore en place dans la région parisienne et ne voulait pas que le contact soit rompu entre la Résistance et Londres. Mais Noor fut dénoncée à la Gestapo et arrêtée le 13 octobre 1943. Elle fut déportée à Karlsruhe le 27 novembre 1943 puis à Pforzheim où on l'enferma dans une cellule isolée. Le 12 septembre 1944, elle fut emmenée à Dachau et fusillée peu après son arrivée.
Robert Douilhet est décédé en déportation d'une affection des voies respiratoires et Eugène Vandervynckt aurait été tué par une brute chargée de surveiller les déportés. Marius Maillard est mort au travail dans des travaux de défense souterraine. Jean-Louis de Ganay, quant à lui, a pu gagner Londres et a été parachuté en Seine-et-Marne en mars 1944 pour devenir l'adjoint de Pierre Mulsant, chef du réseau Guérin Minister.
Fabrice Bourrée, "Le réseau Prosper et l'Ecole nationale d'agriculture de Grignon" in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004.
Sources et bibliographie :
Archives nationales, 72 AJ 1911 (archives Yvette Gouineau), F60 1526 (Rapport n° 3412 établi par le chef d'escadron Sérignan à Paris le 6 juillet 1943).
Archives départementales des Yvelines, 1 W 161 (Lettre du directeur de l'Ecole Nationale d'Agriculture à M. Le Directeur de l'Enseignement et des recherches agronomiques au Ministère de l'Agriculture et à M. L'Intendant de Police à la Préfecture de Versailles, Grignon, 4 juillet 1943 ; Lettre du Maire de Thiverval à M. le préfet de Seine-et-Oise, 12 juillet 1943 ; Note des R.G., 15 février 1944).
Bibliothèque de l'Institut national d'agronomie de Plaisir-Grignon.
Archives famille Wandervynckt.
Entretien de l'auteur avec Jean-Louis de Ganay, 12 janvier 1998.
Jean Overton Fuller, Madeleine, l'histoire de Noor Inayat Khan.
EH Cookridge, Mettez l'Europe à feu. Organisation et action du SOE en Europe occidentale (1940-1945), Paris, Fayard, 1968.