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La résistance sociale et politique bundiste en zone Sud

Légende :

Tract du Bund clandestin en France publié en zone Sud à l’occasion du 44e anniversaire de la fondation du Bund, octobre 1941.

Genre : Image

Type : Tract

Source : © YIVO, RG1400 B 3 F 17 Droits réservés

Date document : Octobre 1941

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Analyse média

Traduit par Erez Levy (Centre Medem-Arbeter Ring) => Voir la traduction en PDF ou dans l'onglet "médias liés"


Contexte historique

Suite à l’entrée des troupes allemandes dans Paris le 14 juin 1940, nombre de bundistes prennent part à l’Exode. Divers groupes se forment dans les semaines suivantes dans les villes de Toulouse (Nathan Frenkel, Raphaël Riba, Gdalia Zoberman, Pinkhes Szmajer, Moshe Cisinsky, Dina Baruch), de Grenoble (Abraham Aronowicz), de Lyon (Yosl Stark, Israël Gertler, Simon Borenstein, Leizer Honigman) et leurs environs (Israël Steingart à St-Didier-au-Mont-d’Or) ainsi que, en plus faible nombre ou de façon plus temporaire, à Pau (Mendel Gliksman), Limoges, Nice (David Berkhauer) et, Marseille et Agen (Fajwel Schrager). Un petit groupe constitué entre autres d’Alexander Mints, Avrom Gordon et quelques bundistes venus de Belgique se retrouve également à partir de l’été 1940 dans une ferme-école de l’ORT (Organisation Reconstruction Travail, organisation juive d’éducation et de formation professionnelle fondée à Saint Pétersbourg en 1880) située au domaine dit La Roche à Penne d’Agenais dans les environs de la ville d’Agen (Lot-et-Garonne).

Suite à la rafle parisienne du "billet vert" de mai 1941, de nouveaux membres parisiens du Bund rejoignent ces groupes dans le Sud. Bien que dite "libre", la zone non occupée, dirigée par le régime de Vichy, comprend plusieurs camps d’internement où sont enfermés des camarades. Elle devient également, à la suite de la rafle du Vel’ d’Hiv qui se déroule en région parisienne en juillet 1942, le théâtre d’arrestations et de traques menant à la déportation et à l’assassinat, ceci avant même son occupation par les Allemands à partir de novembre 1942 (occupée par les Allemands et les Italiens à partir de novembre 1942 puis par les seuls Allemands suite à l’armistice italien de septembre 1943).

L’arrestation de bundistes lors d’une rafle dans la région d’Agen en août 1942 provoque le départ des derniers membres du groupe de la ferme-école de l’ORT vers d’autres régions françaises dont l’agglomération lyonnaise et ses environs, jusqu’à Saint-Didier-au-Mont-d’Or, où se regroupent désormais la majorité des résistants bundistes (notamment les nouveaux venus Alexander Mints, Fajwel Schrager, Elie Czarnobroda, Avrom Bialon et Avrom Zysman et Léon Holand). Les jeunes du Tsukunft (mouvement de jeunesse du Bund), volontairement appelés par leurs aînés à venir y rassembler leurs forces, complètent les rangs du Bund dans la région. A partir du début de l’année 1943, la ville de Lyon succède alors définitivement à Toulouse comme centre de direction de la résistance bundiste. Quant à Grenoble, elle n’en reste pas moins un second centre de résistance socialiste juive avant que son occupation par les Allemands en septembre 1943 ne la prive de ce rôle.

Au sein de plusieurs branches d’un Comité de coordination, les bundistes mènent, dans le même esprit que le Comité Amelot à Paris, une œuvre sociale clandestine conjointe avec d’autres organisations du monde juif immigré est-européen : aide alimentaire, vestimentaire, médicale et juridique, fabrique de faux papiers, réseaux de sauvetage d’adultes et d’enfants. L’aide est apportée dans les villes comme dans les campagnes ainsi que dans les camps d’internement, tel celui de Gurs dans les Basses-Pyrénées (actuellement Pyrénées-Atlantique), dont les internés bundistes reçoivent une assistance par l’intermédiaire de leurs camarades basés à Pau.

Un des principaux centres de cette activité sociale en zone Sud, le local de la Fédération des sociétés juives de France de la rue Sainte-Catherine dans le 1er arrondissement de Lyon, est le théâtre d’une rafle le 9 février 1943, au cours de laquelle 80 personnes sont arrêtées, dont les bundistes Riwka Jelem, Yosl Stark, Yosl Peskine, Leizer Honikman (déporté sous le nom de Saul Friedlander) et Joseph Goldberg. Seul rescapé bundiste de la rafle de la rue Sainte-Catherine, Fajwel Schrager poursuit la direction de l’activité clandestine depuis la région lyonnaise. Bien que dispersés à travers la France et en particulier sa zone Sud, les bundistes maintiennent le contact via des agents de liaison (il s’agit souvent de jeunes femmes, moins susceptibles d‘être arrêtées que des hommes, telle Nicole Mandelmileck, alors âgée de 16 ans) et lors de quelques réunions de coordination de la résistance qui incluent également les camarades demeurés dans la capitale.

La publication de tracts et journaux clandestins, dont une dizaine a été retrouvée par les historiens, débute à la fin de l’année 1941 et se poursuit jusqu’en juillet 1944. Ces pages, qui sont majoritairement rédigées en yiddish et donc adressées à la population juive immigrée, diffusent des informations sur les persécutions et les assassinats de Juifs en France mais aussi en Europe de l’Est (au sujet desquels les bundistes sont parmi les résistants français les mieux informés), dénoncent la politique collaborationniste française ainsi que, jusqu’en juin 1941, celle de l’Union soviétique (et dans une moindre mesure des sionistes), appellent à la résistance sociale et politique et proclament des mots d’ordre socialistes. Le bundiste Henry Steingart, âgé de 27 ans en 1942 et interviewé par l’American Jewish Committee à New York en 1975, se souvient en ces termes de l’impression de ces publications clandestines :
"On a décidé de faire un journal. On avait déjà publié des journaux en yiddish auparavant avec une machine à écrire, là on pouvait faire bien plus de copies. Donc on a publié Unzer Shtime. À Paris, le Bund le publiait aussi avant et pendant la guerre. Le journal faisait huit pages dactylographiées. On le donnait d’abord à nos membres qui le déposaient ensuite à d’autres personnes dans leurs boîtes aux lettres ou sous les portes [d’appartements habités par des Juifs], ainsi il passait de mains en mains, quasiment 500 personnes le lisaient avec seulement 50 exemplaires édités. Même les non-bundistes le lisaient puis le passaient à d’autres. Cela faisait sensation, une organisation qui faisait du travail illégal, épatant. À présent que nous avions cette machine, aucun problème pour en faire des centaines. Toujours avec le même système, les distribuer sous les portes et dans les boîtes aux lettres mais en privilégiant les boîtes aux lettres, c’était moins risqué de l’avoir sous son manteau et de le déposer plutôt que de courir le risque de croiser le destinataire devant sa porte. […] Quelques-uns avaient gardé leur vrai nom sur les boîtes aux lettres ainsi nous savions. Ultérieurement, nous avons publié aussi un journal pour les jeunes appelé Le Réveil des jeunes en français, The Youth Awakener, nous l’avons publié en français. Celui-ci nous le mettions indifféremment dans les boîtes aux lettres des Juifs et non-Juifs."

Les publications clandestines des socialistes français sont également lues et diffusées par les membres du Bund (qui soutiennent par ailleurs la résistance de leurs camarades non juifs). Si les jeunes excellent dans ce travail de colportage, les liens d’ordre politique avec d’autres organisations de la résistance juive (dont le Comité de coordination puis le Conseil général de défense à Lyon, prélude au Conseil représentatif des Israélites de France - CRIF – à la fondation duquel Schrager participe en janvier 1944) et avec les socialistes français sont placés à la charge d’hommes qui ont déjà mené avant-guerre des responsabilités au Bund français, en particulier de Fajwel Schrager.

A partir des rafles de l’été 1942, qui touchent désormais l’ensemble de la population juive, le sauvetage des enfants devient une priorité. Essentielle aux yeux de l’ensemble du mouvement, cette action est à nouveau coordonnée par des femmes, souvent jeunes voire adolescentes, non juives ou juives parlant un français sans accent étranger, telles Gaby Mendelmileck, Rachel Mints, Rachel Bialon, Rachel Halter, Odette Schwarzstein et Cécile Steingart. Dans l’objectif de les protéger des rafles, ces femmes mandatées par le Comité Amelot mènent des petits parisiens à la campagne, où ils sont cachés dans des foyers non juifs tout en étant suivis régulièrement par des contacts qui versent les sommes aux familles d’accueil. Selon l’historien Henri Minczeles, il est estimé qu’environ 400 enfants ont été sauvés par les réseaux de résistance bundiste. Des réseaux de passage de la frontière franco-suisse se mettent également en place. Environ deux cents personnes proches du Bund (hommes, femmes et enfants) - soit environ 20% des bundistes en France – se réfugient ainsi en Suisse, où ils reçoivent une aide par l’intermédiaire de Nathan Frenkel, lui-même arrivé de Toulouse. Ces activités sociales de la résistance sociale sont en grande partie financées par le Jewish Labor Committee, une organisation socialiste juive basée aux Etats-Unis dont le contact bundiste à Genève, Liebmann Hersh, aide au refuge en Suisse et transfère des sommes d’argent aux socialistes juifs mais aussi aux résistants du Comité d’action socialiste.


Auteur : Constance Pâris de Bollardière

Sources et bibliographie (sélection) :
Catherine Collomp, Résister au nazisme. Le Jewish Labor Committee, New York, 1934-1945, Paris, Editions du CNRS, 2016.
Nicole Mandolinier, Maurice Rothnemer et Raoul Rouan, "Les jeunesses du BUND dans la résistance", Combat pour la diaspora, 23-24, 1977, p. 25-34.
Henri Minczeles, "La résistance du Bund en France pendant l’Occupation", Le Monde juif. Revue d’Histoire de la Shoah, 154 (1) 1995, p. 138-153
Henri Minczeles, "Témoignage : l’aventure du Réveil des jeunes", Archives Juives. Revue d’histoire des Juifs de France, 28 (1), 1995, p. 60-67.
Pinkhes Mints [Aleksander], In di yorn fun yidishn umkum un vidershtand in Frankraykh: perzenlekhe zikhroynes [Dans les années de résistance en France : souvenirs personnels], Buenos Aires, Yidbukh, 1956.
Constance Pâris de Bollardière, "Fajwel Schrager (né Ostrynski), bundiste, directeur de l'ORT-France et du bureau parisien de l'Union mondiale-ORT" (Krynki (Empire russe), 2 mai 1907 - Paris, 13 juin 1979), Archives Juives. Revue d’histoire des Juifs de France, 48 (1), 2015, p. 136-140.
Renée Poznanski, Propagandes et persécutions. La Résistance et le "problème juif", 1940- 1944, Paris, Fayard, 2008.
Renée Poznanski, Les Juifs en France pendant la Seconde Guerre mondiale, Paris, Hachette Littératures, 1997 [1994].
Fajwel Schrager, Un militant juif, trad. du yiddish [Oyfn rand fun tsvey tkufes (zikhroynes)] par Henry Bulawko, Paris, Les Editions Polyglottes, 1979.
Interview de Cécile Steingart par Marsha Rozenblit le 6 novembre 1975, William E. Wiener Oral History Library of The American Jewish Committee, Holocaust Survivors Project, New York Public Library.
Interview de Henry Steingart par Marsha Rozenblit le 30novembre 1975, William E. Wiener Oral History Library of The American Jewish Committee, Holocaust Survivors Project, New York Public Library.