Voir le verso

Billet clandestin

Légende :

Premier billet clandestin sorti de la centrale après les événements de février 1944.

Genre : Image

Type : Billet clandestin

Source : © Archives FNDIRP Droits réservés

Détails techniques :

Message manuscrit recto-verso. Dimensions : 13,5 x 10,8 cm. Papier assez fin. Encre bleue.

Date document : Sans date

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

Ce message manuscrit, émanant de la direction du Collectif des détenus et probablement plus spécifiquement de Victor Michaut, est destiné au GMR résistant Pierre Déchet, alias « Denis », responsable de la garde extérieure de la centrale et membre du Front national. Après avoir dressé un rapide bilan des évènements du 19 février et surtout cherché à rétablir la vérité sur les faits et sur les accusations portées à l’encontre des insurgés (notamment sur les morts et blessés côté vichyste), le rédacteur du message montre sa volonté de poursuivre la lutte (« nous sommes une fois de plus battus mais non vaincus »). Enfin, se projetant dans un avenir qui lui semble proche, il demande au GMR Déchet de lui fournir des renseignements sur l’état d’esprit des GMR après ces évènements et sur les mesures de sécurité mises en place ou renforcées. Il lui demande également de dresser la liste nominative des responsables de l’échec de la tentative d’évasion collective et de l’exécution de ses douze camarades.

D'après les informations figurant dans les messages clandestins présentés dans l'album joint à cette notice, il ressort qu'un nouveau plan prévoit l'action coordonnée des prisonniers et des maquis pour une libération collective des détenus le jour du débarquement.  Ces messages sont datés des 1er, 3, 5, 22 et 30 avril 1944,  12, 19 et 21 mai 1944. 


Retranscription :

« Cher ami
D’abord quelques explications en ce qui concerne notre action du 19 février 1944. Nous nous excusons de n’avoir pu te prévenir à l’avance car les événements se sont précipités et nous avons considéré que nous devions nous servir de la dernière chance qui s’offrait à nous pour tenter la sortie, la situation de nos camarades à l’extérieur, de plus, le renforcement journalier de la garde, rendaient impossible une action coordonnée avec l’extérieur.
Deux mots sur notre plan. Après nous êtres emparés du Directeur et de sa suite, nous comptions nous emparer, sans bruit, de l’administration, et faire prisonnier le capitaine des GM, neutraliser le téléphone et ensuite te faire appeler, comptant par la suite, après avoir fait convoquer les cadres, habiller nos copains en GM, nous emparer de la caserne, et ainsi de suite, évacuer nos copains en se servant de vos camions. Ce plan était hardi, certes, mais il était réalisable ; la 1ère partie a d’ailleurs réussi pleinement, et il a fallu l’imprudence d’un de nos camarades pour que l’alerte soit donnée et que notre plan échoue.
Nous devons toutefois te signaler, et contrairement à ce qui a été dit :
1er. Ce n’est pas nous qui avons tiré les premiers, à cet effet nous avions pris des dispositions pour interdire à nos copains de se servir de leurs armes autrement que pour répondre au feu. C’est le GM qui accompagnait le capitaine ou le capitaine lui-même qui a ouvert le feu, blessant notre camarade Bernard à la jambe.
2e. Ce n’est pas nous qui avons tué le commis greffier mais ceux qui se trouvaient au bureau du secrétaire du Directeur au bout du couloir, bureau qui relie par le bureau du Directeur, le téléphone.
3e. Nous ignorons si notre feu est responsable de la mort des GM, mais ce que nous savons c’est que toute la nuit les GM se sont tirés dessus mutuellement dans le couloir des bureaux, le feu partait du bureau du capitaine d’une part et d’autre part à l’autre extrémité du couloir du bureau du secrétaire du directeur les salves répondaient aux salves.
4e. Nous n’avons pas ouvert le feu les premiers sur les miradors. Nous avons tiré après avoir demandé aux gendarmes de ne point nous attaquer, et après avoir reçu de nombreuses grenades.
A noter l’attitude du gendarme, mirador 4 qui nous a promis de ne pas ouvrir le feu et qui nous a accueilli à la grenade sitôt que nous nous sommes avancés.
D’ailleurs mieux que personne tu es placé pour savoir combien on nous a salis et insultés ; la presse nous a dénoncées comme un ramassis d’individus étrangers alors que sur 1400 détenus il y en a au moins 1300 bien Français, et tous détenus pour n’avoir pas voulu s’incliner devant l’oppression allemande.
On a menti en disant que nous avions attaqué sauvagement le personnel de surveillance à l’arme blanche, il est faux que nous ayons tué un surveillant, le seul qui est mort a été abattu dans le couloir des bureaux par les GM. Seuls ont été brutalisés ceux qui ont opposé de la résistance, les autres ont été bien traités, et pendant la nuit nous leur avons donné des couvertures et de la nourriture. Par contre, dans les jours qui ont suivi nous avons été pillés, volés, les GMR se sont emparés de tous nos vivres, saccageant toutes nos affaires. Tout ce qui a pu être fait de blâmable, pendant la nuit du 19, est l’œuvre des droits communs qui, sans se contenter de piller la cuisine, ont dévalisé tout ce qu’ils ont pu chez nous.
D’ailleurs la mort héroïque de nos 12 camarades a fait table rase de toutes les calomnies. Ceux qui ont pu assister à leur exécution ont été bouleversés par leur tranquille courage, et la voix de notre cher camarade Auzias (que tu avais vu une fois à l’infirmerie) retentit encore dans la Centrale. La Marseillaise qu’ils ont chanté devant les fusils retentira elle aussi dans les oreilles des Français et sera un continuel stimulant pour la lutte qui amènera avec la vengeance, la libération de notre cher pays pour lequel savent vivre, lutter, et, quant il le faut, mourir, ses meilleurs fils. La dernière Marseillaise résonnera implacablement aussi dans les oreilles des criminels, des boches français, elle résonnera jusqu’à l’heure du châtiment qui s’avère très proche.
Et au jour de leur mort, ce 23 février, tous les Patriotes d’Eysses, tous leurs frères aux cœurs meurtris, ont fait le serment et ont juré, comme on le dit dans La Marseillaise : « d’avoir le sublime orgueil de les venger ou de les suivre ».
La lutte n’est pas finie, le drame de ces derniers jours n’est qu’un épisode de la bataille, de la dure bataille, dans laquelle les Français doivent bander toutes leurs forces, toute leur énergie, dans la lutte à mort qui nous oppose à la sanglante crapule hitlérienne et à leurs bourreaux de Vichy à la tête desquels se place le sinistre Darnand, le Waffen SS, celui qui a « juré fidélité à Hitler et à la Grande Allemagne », le fratricide, celui où s’assouvie la brute de Bersteingarden avec le sang de ses frères.
Quant à nous, nous sommes une fois de plus battus mais non vaincus, tant qu’il restera un seul d’entre nous, il restera un soldat, un Patriote, un Français, et qui sera toujours heureux de donner jusqu’à la dernière goutte de son sang pour la France.
Mon cher Denis, excuse-nous de te dire tout cela, mais nous savons que tu nous comprends, nous savons aussi que tu as souffert autant que nous pendant ces dures journées et que ton cœur battait au même rythme que le notre. Nous savons que, comme nous, loin de t’avoir abattu ces jours passés ont, au contraire, décuplé ta volonté et ta combativité. Nous en sommes heureux car nous en avons bien besoin pour les jours qui vont suivre.
A la suite de ces évènements, nous pensons qu’à présent, les possibilités de sortie pour nous, sont pour le moment à peu près nulles et qu’il faudra des évènements très importants, comme le débarquement ou l’insurrection nationale, pour pouvoir atteindre notre objectif.
Néanmoins, comme cela n’est pas vraisemblablement éloigné, il faut nous préparer pour éviter, lors du repli éventuel des forces nazies, l’anéantissement de nos camarades. Pour cela nous te demandons de nous communiquer les renseignements suivants :
1e. Etat d’esprit des GM à la suite des évènements ;
2e. Mesures de sécurité et de renforcement de la garde.
En outre, nous te serions reconnaissants si tu pouvais te procurer la liste des noms de ceux qui ont composé le peloton d’exécution ; ainsi que tous les renseignements pouvant nous servir à établir les responsabilités et les participations à l’assassinat de nos copains. Il faudrait aussi nous communiquer les noms des gendarmes qui étaient aux miradors 4-5-6 et 7.
Très cher Denis, nous comptons sur toi et sur ton dévouement pour notre cause qui rendra à notre Patrie le bonheur, la paix et la liberté.
Vive la France. »


Auteur : Fabrice Bourrée

Contexte historique

Le 19 février 1944, Eysses est le théâtre d'une ambitieuse tentative d'évasion collective (de mille deux cents détenus politiques). Ce jour-là, alors qu'un inspecteur général effectuait une visite dans la centrale,  les détenus saisissent l'occasion pour le prendre en otage, ainsi que le directeur milicien de l'établissement, Joseph Schivo, et quelques membres du personnel, au moment où ceux-ci pénétraient dans le chauffoir du préau 1. Le plan, préparé depuis plusieurs semaines par l'état-major clandestin des détenus, consistait à s'emparer des gardiens et à se rendre maitre de la centrale en silence. Entre 14h, heure de la capture de l'inspecteur et du directeur au préau 1, et 17h, les détenus progressent, en silence, jusqu'au bâtiment administratif, capturant et ligotant les surveillants au fur et à mesure de leur avancée.

  Cependant, l'alerte est donnée vers 17 heures par une corvée de droits communs de retour dans la détention. Alerté par des coups de feu, la garde extérieure met alors en batterie des armes automatiques aux fenêtres des bâtiments d'entrée donnant sur la cour d'honneur et commence à ouvrir le feu sur les locaux de détention. Les groupes de choc, formés en particulier d'Espagnols bénéficiant de l'expérience du combat à la faveur de la guerre civile, après avoir sommé en vain les GMR des tourelles de les laisser sortir, tentent, à plusieurs reprises, de franchir les murs de l'enceinte extérieure en attaquant le mirador nord-est à la grenade. Certains détenus atteignent les toits, tirent à coups de mitraillette sur les gardes, pendant que d'autres, protégés par des matelas, tentent de monter à l'échelle jusqu'au mirador de la porte Est. Toutes ces tentatives sont repoussées. Du coté des détenus il y a un mort - Louis Aulagne - deux blessés graves et trois blessés légers. On compte un tué et un blessé parmi le personnel pénitentiaire et seize blessés parmi les forces de l'ordre.   Vers 21 heures, les troupes d'occupation venues d'Agen encerclent la centrale, munies de pièces d'artillerie. Vers minuit, l'état-major des détenus, installé dans le poste de garde du bâtiment administratif, tente de parlementer plusieurs fois par téléphone avec la préfecture, demandant au préfet de les laisser sortir, en arguant de la qualité des otages qu'ils détiennent. C'est Auzias qui dirige ces négociations avec la préfecture afin d'obtenir une reddition acceptable. On libère alors le directeur Schivo qui confirme le traitement correct dont il a été l'objet et relaie la demande des détenus auprès des autorités. Il est ici intéressant de signaler que tous les témoins insistent sur l'attitude particulièrement veule du milicien qui, craignant pour sa vie, tentera de se justifier par toutes sortes d'attitudes mensongères, tout en faisant état de sa qualité d'officier français. Vers trois heures, le commandant des troupes allemandes lance un ultimatum donnant aux révoltés un quart d'heure pour se rendre sans condition, faute de quoi la centrale sera bombardée. Les détenus demandent alors, par l'intermédiaire du directeur, un délai d'une heure pour regagner leurs dortoirs et déposer les armes (temps également nécessaire pour faire disparaître un certain nombre de papiers compromettants), celui-ci ayant donné sa promesse d'officier qu'il n'y aurait pas de représailles. Ce délai est refusé. Conscient que la poursuite des combats se solderait par un échec,  les détenus libèrent les otages, abandonnent leurs armes (onze mitraillettes et huit grenades) et regagnent leurs dortoirs : il est environ quatre heures du matin.     


D'après l'ouvrage de Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy. L'exemple des centrales d'Eysses et de Rennes, L'Harmattan, 2007.