Sépulture de l'abbé Gallard, Lans-en-Vercors (Isère)
Genre : Image
Type : Sépulture
Producteur : Julien Guillon
Source : © Coll. Julien Guillon Libre de droits
Détails techniques :
Photographie numérique
Date document : 2017
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Isère - Lans-en-Vercors
Analyse média
L’abbé Gallard a été le curé de Lans-en-Vercors pendant 44 années, de 1937 à 1981. Inhumé dans le cimetière communal, l’épitaphe qui figure sur sa tombe, les rares sources archivistiques (privées et publiques) et bibliographiques collectées par bribes, ont conduit à présenter le rôle qu’il a exercé lors de la Seconde Guerre mondiale à Lans-en-Vercors notamment à partir de 1942 où il s’impliqua dans le sauvetage d’enfants de confession juive.
« Il avait la foi et le coeur d’un apôtre.
L’amour du Vercors »
Julien Guillon
Contexte historique
Jean M.[1], alors âgé d’une dizaine d’années fut d’abord mis en sûreté à la « Pension des Oiseaux », par sa famille, à Lans-en-Vercors, après un long périple périlleux en France. L’institution, gérée par des religieuses, qui fermaient les yeux, par conviction, sur les origines des pensionnaires garantissait alors une forme de rempart aux persécutions et à l’entreprise génocidaire de l’Allemagne nazie et du gouvernement de Vichy.
Les enfants assistaient aux messes données par l’abbé Gallard et effectuaient leur catéchèse comme les autres enfants du village. Après avoir contracté une maladie, Jean M. fut consulté par le médecin du village qui découvrit les origines juives du jeune garçon. L’abbé Gallard, alerté, en fit un parfait catholique en l’intégrant aux enfants de choeur de la paroisse pour éviter d’éveiller les soupçons, voire l’arrestation et la déportation en cas de rafle : « [...] quelle cachette ! Dieu les bénisse[2] ». Les enfants du village, eux-mêmes enfants de coeur, avaient bien remarqué l’augmentation exponentielle des effectifs[3]. Cependant deux facteurs ont présidé à la préservation des nouvelles ouailles. La tradition d’accueil d’enfants au sein du massif engendrait une forme de normalité à cet afflux. Puis la période trouble de la guerre, au cours de laquelle les populations villageoises du Vercors étaient mises à contribution dès 1942-1943 pour assurer la logistique des camps du maquis avait eut comme effet, même auprès des plus jeunes, d’engendrer cette culture du silence. Il n’était pas rare d’envoyer des enfants à la lisière d’un bois avec un panier de ravitaillement à l’intention du maquis. Les consignes fermes de discrétion de la part de leurs familles et de l’abbé lui-même, venaient chapoter cet état d’esprit.
Pendant la Seconde Guerre mondiale, Pierre B., sa soeur et ses parents habitent à Valence. Cette famille de confession juive, dès les premières mesures antisémites du gouvernement de Vichy, prenait des dispositions pour protéger les enfants. Le père, ami de l’abbé Gallard, se laissait persuader par ce dernier de baptiser ses enfants, ce qui fut effectué en l’église de Lans-en-Vercors le 15 août 1942 car « Avec un certificat de baptême nous serions protégés[4] ». Le lendemain, c’est l’abbé Gallard qui emmenait le frère et la soeur dans sa propre voiture à Grenoble pour obtenir leur confirmation auprès de l’évêque : « L’abbé Gallard a ensuite remis un certificat de baptême à mon père. C’est un merveilleux faux car il était daté de 1938 pour que la conversion, soit moins suspecte aux yeux des Allemands[5] ». C’est grâce à l’engagement de l’abbé Gallard que de nombreux enfants furent mis à l’abri des affres de la guerre, mais ce ne furent pas ses seules actions.
Lors des occupations successives du village par les Allemands, de juin à août 1944, le maire, Léon Blanc-Gonnet et le secrétaire de Mairie s’interposèrent systématiquement entre la population et les troupes allemandes : par exemple, le 16 juillet le maire, a fait face à la menace d’incendie du village -1 mois plus tôt Saint-Nizier-du-Moucherotte fut détruit à 90 %[6]. Lors des rafles orchestrées dans le village, les édiles sont aux avant-postes.
A partir 6 juin 1944, date du débarquement de Normandie, de nombreux volontaires affluent dans le Vercors. Le 9 juin 1944 les compagnies civiles sont mobilisées et le massif est verrouillé. L’occupant allemand s’inquiète de la concentration des maquisards dans le Vercors. Pour assurer la sécurité de ses voies de communications menacées par les forces du massif, bien renseigné, même s’il surévalue probablement les moyens de la Résistance, il attaque le Vercors. Il lance le 13 juin une offensive contre Saint-Nizier-du-Moucherotte, porte du Vercors, qui est repoussée par les résistants. Mais le 15, il parvient à forcer le verrou. Les résistants se replient et laissent ouverte la plaine de Villard-de-Lans pour créer une autre ligne de défense. Au total, les combats coûtent la vie à 21 maquisards dont un combattant qui réside à Lans-en-Vercors, né le 3 septembre 1923 à Villard-de-Lans : Léon Rognin[7], combattant volontaire FFI tué au combat le 13 ou le 14 juin 1944, Mort Pour la France[8]. Elève-ingénieur domicilié à Lans, probablement chez sa mère dont les parents sont : Léon Eugène Pierre Rognin et Louise Marguerite Léa Ravix.
Lors de l’occupation de Lans-en-Vercors, à partir du 20 juin[9], les patrouilles allemandes s’engagent jusque dans les nombreux hameaux. Ils cherchent alors à terroriser la population civile, largement compromise à leurs yeux, ce qui est le cas et cherchent les hommes, les « Terroristen ». A Bouilly, des fermes sont incendiées, notamment celles d’Eugène Billet et de Louis Revollet[10]. A défaut d’y trouver des hommes, ils martyrisent les femmes présentes (épouses, tantes, jeunes filles) et ils « [...] défoncent à coups de crosse les rares objets de valeur que [mes] parents possédaient dans le vaisselier offert à leur mariage[11] ».
Le 30 juillet 1944, une patrouille intercepte à proximité du hameau des Blancs « [...] quatre jeunes du maquis qui tentaient de regagner Grenoble[12] », probablement issus de la Compagnie Chabal/6ème BCA reconstitué.
Malgré l’intervention « [...] pressante de M. le curé de Lans, ces jeunes sont fusillés à 17 heures soit près du hameau des Vernes[13] ». Pierre B., note à ce sujet : « [...] allant chercher avec d’autres copains et quelques bonnes soeurs des myrtilles et noisettes, quand dans ce petit chemin longeant la route de Grenoble sur notre gauche nous fumes surpris par une série de détonations.. Quatre maquisards venaient d’être fusillés. Terribles souvenirs[14] ». L’abbé Gallard assista impuissant à l’assassinat : « Un peloton leur envoya une salve de balles de mitraillettes. Tous tombèrent et l’officier allemand les acheva à coup de revolver un à un[15] ». Avant ce nouveau crime de guerre, l’abbé avait pu recueillir leurs confessions. Bravant les ordres pressants de l’officier allemand, il parvint à obtenir que les quatre hommes puissent « [...] écrire une lettre d’adieu à leurs parents. En partant, celles-ci furent prises par les sentinelles [...] et mises à la poste, non timbrées, le lendemain matin. Les familles furent ainsi averties du décès[16] ».
Jean M. note en conclusion de son témoignage que « Si une grande partie de ma famille a péri dans les camps nazis, nous retrouvâmes notre père et la famille s’est agrandie d’une petite soeur ». Jean M., par la suite fit une belle carrière aux USA. A l’heure ou j’écris ces lignes, il est un arrière-grand-père comblé, tout comme Pierre B. ; tous deux préservés de la barbarie à Lans-en-Vercors. A la mi-août 1944 les allemands quittent le Vercors ; début septembre, l’abbé Gallard fut nommé correspondant local de la Croix-rouge eu égard à ses actions lors de ces mois terribles. Par ailleurs son attitude lui a valu un diplôme de reconnaissance de l’Association Nationale des Pionniers et Combattants du Vercors, signé par Eugène Chavant, chef civil du Vercors, Président de l’Association de 1944 à 1969.
[1] Le nom de famille n’est pas mentionné, volontairement. Témoignage inédit de Jean M., tapuscrit, 3 pages, avril 2016.
[2] Témoignage inédit de Jean M., tapuscrit, 3 pages, avril 2016.
[3] Témoignages recueillis par l’auteur en mai et juin 2018 auprès d’anciens du village qui ont bien connu l’abbé Gallard. Nous préservons dans cette étude leur anonymat car je ne leur avait pas spécifié que cette étude serait diffusée.
[4] BOT (P.), La bataille du Vercors, Editions Peuple Libre, Valence, 2010, 86 pages.
[5] BOT (P.), La bataille du Vercors, Editions Peuple Libre, Valence, 2010, 86 pages.
[6] NASH PETER (H.)., « Le massif du Vercors en 1945. Etude sur les dévastations causées par l'Armée allemande dans une région alpine de la France et de leurs effets sur les traits géographiques ». In : Revue de géographie alpine, 1946, Tome 34, N°1, pp. 87-100.
[7] A ce stade de l’étude nous n’avons pas recueilli plus d’informations relatives à cet habitant de Lans. Archives inédites de Pierre Tanant, « Enquête réalisée dans le Vercors par Mlle Colette et Françoise Crépin-Leblond », septembre 1944, page 9. Voir aussi : SHD Vincennes, GR16P517672.
[8] SHD Caen, AC21P132853
[9] Archives inédites de Pierre Tanant, « Enquête réalisée dans le Vercors par Mlle Colette et Françoise Crépin-Leblond », septembre 1944, page 9.
[10] Archives inédites de Pierre Tanant, « Enquête réalisée dans le Vercors par Mlle Colette et Françoise Crépin-Leblond », page 11.
[11] Témoignage recueilli par l’auteur en mars 2017i auprès d’une « ancienne » du village.
[12] Mairie de Lans-en-Vercors, « Rapport sur les événements qui se sont déroulés sur le territoire de la Commune du 1er juin 1944 au 1er septembre 1944 », non daté, non signé, 4 pages.
[13] Mairie de Lans-en-Vercors, « Rapport sur les événements qui se sont déroulés sur le territoire de la Commune du 1er juin 1944 au 1er septembre 1944 », non daté, non signé, 4 pages.
[14] Témoignage inédit de Jean M., tapuscrit, 3 pages, avril 2016.
[15] Témoignage de l’abbé Gallard. Archives inédites de Pierre Tanant, « Enquête réalisée dans le Vercors par Mlle Colette et Françoise Crépin-Leblond », septembre 1944, page 10.
[16] Archives inédites de Pierre Tanant, « Enquête réalisée dans le Vercors par Mlle Colette et Françoise Crépin-Leblond », septembre 1944, page 10.
Auteur : Julien Guillon
- Témoignage inédit de Jean M., tapuscrit, 3 pages, avril 2016.
- Inventaire des noms de personnes citées dans le bulletin « Le Pionnier du Vercors », nouvelle série, établi par Jean JULLIEN.
- Archives inédites de Pierre Tanant, « Enquête réalisée dans le Vercors par Mlle Colette et Françoise Crépin-Leblond », septembre 1944, 59 pages.
- Mairie de Lans-en-Vercors, « Rapport sur les événements qui se sont déroulés sur le territoire de la Commune du 1er juin 1944 au 1er septembre 1944 », non daté, non signé, 4 pages.
Source en ligne : http://museedelaresistanceenligne.org/musee/doc/pdf/212.pdf
Bibliographie sommaire :
-BOT (P.), La bataille du Vercors, Editions Peuple Libre, Valence, 2010, 86 pages.
-DALLOZ (P.), Vérités sur le drame du Vercors, Paris, Fernand Lanore, 1978, 352 pages.
-DEREYMEZ (J.-W.) (sous la direction de.), Etre jeune en Isère. 1939-1945, collection « Mémoires du XXème siècle », L’Harmattan, Paris, 2001, 200 pages.
-DREYFUS (P.), Histoire de la Résistance en Vercors, Arthaud, Paris, 1980, 290 pages.
-PICIRELLA (La) (J.), Témoignages sur le Vercors : Drôme-Isère, Chez l’auteur, Imprimerie Rivet, Lyon, 1973, 400 pages.
-VERGNON (G.), Le Vercors, Histoire et mémoire d’un maquis, Collection « patrimoine », Les éditions de l’Atelier, Paris, 2002, 256 pages.