Appel à se recueillir contre l'occupation le jour de l'an, 28 décembre 1940
Légende :
Ce tract découvert à Rambouillet (Seine-et-Oise, Yvelines) le 28 décembre 1940 reproduit le premier appel à la Résistance civile lancé par le général de Gaulle à l'occasion du jour de l'An 1941.
Genre : Image
Type : Tract
Source : © Archives départementales des Yvelines 1W165 Droits réservés
Détails techniques :
Tract dactylographié
Date document : Décembre 1940
Lieu : France - Ile-de-France - Yvelines - Rambouillet
Contexte historique
Radio de la liberté, de la vérité et de l'espoir pour de nombreux compatriotes, la BBC était incontestablement devenue une arme redoutable dans le déroulement du conflit mondial. En tant qu'instrument de la guerre des mots, elle se voulait la voix du refus et de la vérité, rôle qu'elle remplissait quotidiennement grâce à ses informations, ses commentaires, ses causeries, ses slogans et ritournelles humoristiques. Mais à partir de 1941, au-delà du rôle psychologique, elle allait devenir un instrument d'action.
Le jour de l'An 1941 fut choisi par le général de Gaulle pour engager le premier appel à la Résistance civile. Ce jour-là, les Français furent conviés à faire le vide dans les rues de France pendant une heure, de 14 heures à 15 heures en France non occupée et de 15 heures à 16 heures en France occupée. La rue ne devait être laissée qu'à l'occupant qui, par ce geste symbolique, devait comprendre qu'il ne serait jamais, dans le coeur des Français, qu'un ennemi. Cette première consigne de manifestation collective fut donnée par la voix de Maurice Schumann. Le 23 décembre 1940, dans l'émission Honneur et Patrie, il lança un premier appel aux Français. Puis du 23 décembre 1940 au 1er janvier 1941, dans l'ensemble des programmes français de la BBC, d'autres intervenants saisirent le micro pour promouvoir l'idée du Général et assurer la plus grande adhésion possible des Français.
Pour cette première expérience, de Gaulle, prudent, avait décidé d'appeler les Français à manifester leur solidarité par une protestation muette, un recueillement silencieux de tous les foyers de France, Le 28 décembre, il se rendit à la BBC pour expliquer au peuple de France que "l'ennemi était l'ennemi", et fustiger la politique de collaboration du gouvernement de Pétain : "Traiter avec les ennemis, accepter leur contrôle, collaborer avec eux, c'est au sens propre du terme, trahir la Patrie". Il en profita pour justifier sa position sur la guerre mondiale en expliquant que tous les Alliés de la France, Polonais, Tchécoslovaques, Hollandais, Belges, Norvégiens, Luxembourgeois et Grecs, avaient compris que l'on ne pouvait traiter avec l'ennemi. Il renouvela son appel lancé à tous ceux susceptibles de le rejoindre en leur certifiant qu'ils le trouveraient à leurs côtés, sans exclusive et sans ambition, et rappela l'heure d'espérance. Le soir même, son message fut rediffusé à 22h00 et à 22h45.
Inlassablement, on martelait l'appel. Cette heure de silence devait être l'occasion pour la nation de s'unir et de prendre part au combat sous forme d'une résistance passive, unanime, "majestueuse et digne"...
"L'heure d'espérance" devait constituer un test sur l'interaction entre les deux parties, les Alliés et les Français. Ce premier appel s'appuya non seulement sur des voix multiples, mais aussi sur une propagande massive, diffusée en quelques jours, usant de l'art de la répétition et du martèlement, et se servant d'un message simple à mettre en oeuvre : faire le vide dans les rues de France à une heure précise. Il ne restait plus qu'à attendre le verdict des auditeurs.
Du côté allemand, les autorités pensèrent un temps parvenir à briser l'appel par une vente autorisée, sans ticket, de pommes de terre et de sucre, et autres denrées rares, mais la manoeuvre ne remporta pas de succès apparent.
Par sa forme, ce premier appel à la résistance civile n'est pas facile à analyser. Si des Français répondirent avec conviction à l'appel du jour de l'An, d'autres ne mirent pas autant de coeur à suivre le mot d'ordre du général de Gaulle... Le mauvais temps qui régnait sur la France put aussi inciter bien des citoyens à rester chez eux, au chaud et à l'abri. "Certes, personne dans les rues jusque vers 3 heures. Mais la neige ne suffirait-elle pas à retenir les gens chez eux ?", se demanda le Cardinal Baudrillard, le 1er janvier, à Paris. La neige n'empêcha pas Micheline Bood de sortir son chien le matin, "d'écrire ‘Vive de Gaulle' dans la neige, avenue de Marigny, en promenant Darak" et de ne "pas sortir entre 3 et 4 heures, comme l'avaient demandé les Anglais".
A l'inverse, le témoignage de Blanche Auroy, gaulliste de coeur et résidant à Paris, vient tempérer quelque peu l'enthousiasme du départ. Pour elle, l'heure d'espérance ne fit sûrement pas l'unanimité. Avec sa sœur, elles avaient projeté de se rendre au théâtre Montparnasse pour y voir jouer les Caprices de Marianne monté par Baty : "C'est sous une véritable tourmente de neige que nous nous sommes mises en route, courant pour arriver avant trois heures, heure à laquelle la radio anglaise nous avaient demandé de manifester contre l'Allemagne en ne nous montrant pas dans les rues. D'ailleurs je crois que la manifestation n'a pas été très éclatante. Malgré le mauvais temps et la majorité de l'oppression, on circulait dans les rues aux abords de Montparnasse (visites traditionnelles du jour de l'An sans doute)."
On pouvait lire en effet dans le rapport hebdomadaire des Renseignements généraux : "Ce jour-là, le mauvais temps qui n'a cessé de régner durant tout l'après-midi, a considérablement réduit la circulation dans la Capitale. Le nombre de promeneurs, très limité jusqu'à 15 heures, est resté sensiblement équivalent de 15 à 16 heures, tant sur les Grands Boulevards que sur l'avenue des Champs Elysées et au Quartier Latin ; les spectacles et les cafés ont été dans l'ensemble, assez fréquentés. A partir de 17 heures, en raison de la sortie des établissements de spectacles et d'une accalmie dans la chute de neige, la circulation s'est accrue légèrement" (Archives de la PP).
Le rapport des RG fit tout de même état de deux arrestations liées à la volonté de parisiens de répercuter le mot d'ordre : le 31 décembre, une jeune institutrice fut "appréhendée sur le pont Saint-Michel, alors qu'elle collait un papillon invitant les Français à rester chez eux le 1er janvier de 15 à 16 heures. Elle était en possession d'autres papillons et de colle". A son domicile, la police retrouva des rouleaux de pâte à polycopier, des tracts de propagande gaulliste et divers noms. Le 1er janvier, un homme qui invitait, de sa fenêtre, les gens à rentrer chez eux, fut conduit au commissariat de police de son quartier (XVIe arrondissement).
Il reste difficile de mesurer le succès de l'écho de l'appel du 1er janvier 1941, le mauvais temps et le rituel du Nouvel An passé en famille venant compliquer cette évaluation. Quoi qu'il en soit, ce premier appel à la résistance civile conféra au Général une autorité supplémentaire et confirma sa légitimité à s'exprimer au nom des Français.
Notice extraite du DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004
Auteur : Aurélie Luneau
Sources et bibliographie :
Archives de la PP, rapports des RG (semaine du 31 décembre 1940 au 6 janvier 1941).
Bibliothèque nationale de France, Rés. G. 1476. I
IHTP, Arc 044, Blanche Auroy, Journal d'une institutrice pendant la guerre, septembre 1940-février 1942.
Alfred Baudrillard, Les carnets du Cardinal, Paris, Le Cerf, 1998.
Micheline Bood, Les années doubles, Paris, Robert Laffont, 1974