Enlèvement de la statue de « l’Insurgé » à Crest
Légende :
La statue de bronze gît à terre, elle va être chargée sur un camion.
Genre : Image
Type : Photo
Producteur : Inconnu
Source : © Collection AERD Libre de droits
Détails techniques :
Photographie argentique noir et blanc.
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Crest
Analyse média
Plus que la récupération de quelques quintaux de bronze, c’est un symbole républicain de lutte pour la liberté que les autorités vichystes font enlever à Crest le 20 janvier 1942.
Les employés de l’entreprise mandatée par le Groupe d’importation et de récupération des métaux non ferreux, agissant sous les ordres du gouvernement de Vichy, ont déboulonné la statue et l’ont posée sur le sol. Ils s’apprêtent à la charger sur un véhicule qui la transportera vers une fonderie. Quelques curieux observent la scène.
Cette statue, érigée en mémoire des milliers d’insurgés drômois soulevés contre le coup d’État napoléonien de 1851, souvent victimes d’un répression injuste mais féroce, est si chargée de sens que, même après son enlèvement, les initiateurs de la Résistance y organisent un rassemblement clandestin et y déposent une gerbe.
Auteur : Robert Serre
Contexte historique
La ville de Crest, au cœur de l’insurrection de décembre 1851 contre le coup d’État de Louis-Napoléon Bonaparte, point de ralliement de trois vagues insurrectionnelles et lieu de combats meurtriers, symbole de la répression des semaines suivantes avec sa « tour » moyenâgeuse débordante de prisonniers attendant un pseudo-jugement, était aussi un haut lieu du souvenir par le monument « à l’Insurgé » élevé en 1910, sur les lieux mêmes du principal affrontement, à l’initiative d’un cercle républicain et financé par souscription. Un monument qui, selon le conseil municipal unanime, « rappellera à l’avenir la mémoire des hommes de cœur qui se sont soulevés pour défendre le droit violé par l’homme néfaste qui devait conduire plus tard la France au démembrement de la Patrie et à la perte de deux provinces ». L’œuvre du sculpteur Maurice Bouval est « une statue en bronze, un jeune homme qui représente la résistance, adossé à un pylône de pierre au sommet duquel claironne fièrement un coq en bronze doré. »
La Seconde Guerre mondiale verra la disparition de la statue. Le mardi 20 janvier 1942, quelques hommes requis par les autorités soumises à l’occupant, peut-être plus soucieuses d’éliminer un symbole trop parlant que de récupérer 600 kg de bronze, déboulonnent « l’Insurgé » de son socle et l’emportent dans une camionnette venue de Romans. Les hommes chargés de ce travail appartenaient à la maison Champagne de Bourg-lès-Valence, mandatée par les établissements Jullien et Girard, de Grenoble, agissant pour le GIRM (Groupe d’importation et de récupération des métaux non ferreux). Mais, même amputé, l’édifice garde toute sa symbolique pour ceux qui, dans les années noires, luttent clandestinement contre l’oppresseur nazi. Narguant l’ennemi, le 14 juillet 1942, M. Hérold, bijoutier, et M. Schlokow, un réfugié lorrain habitant Aouste, à la tête d’un groupe de résistants où figurent entre autres Pons et sa femme, se proclamant héritiers des résistants de 1851 et, se reconnaissant dans ce symbole, déposent une gerbe de roses rouges au pied du monument et observent une minute de silence. Les gendarmes, discrètement installés à l’arrière, se mettent au garde-à-vous et saluent.
Après plusieurs tentatives avortées, grâce au travail inlassable du président du comité, Albert Fié, l’attachement des Crestois et de leurs voisins aux valeurs fondamentales de démocratie, de liberté et de progrès social permet le rétablissement, en 1991, de ce témoignage unique. de multiples initiatives et surtout les souscriptions de collectivités et de particuliers de Crest et de sa région ont permis le financement d’une nouvelle statue, un peu plus petite, mais réplique aussi fidèle que possible de l’originale. Œuvre du sculpteur romanais Philippe Jamet-Fournier, elle a été réalisée par la fonderie Barthélemy, de Crest. Une cérémonie d’inauguration plus modeste que la première se déroule le 8 décembre 1991. Dans la foule, on remarque de nombreux résistants de la Seconde Guerre mondiale, se souvenant qu’eux-mêmes, sans uniforme, avaient pris les armes pour la défense des mêmes valeurs. Dans son discours, le président Fié rappelle qu’en 1942, même privé de la statue et ne comportant plus qu’un socle vide, « l’Insurgé ajoute à sa coloration républicaine un caractère national de résistance. […] par l’insolence de sa révolte [il] redevient séditieux et prétexte à manifestations enrubannées de bleuets, de lys et de coquelicots ». Aujourd’hui encore, au milieu du rond-point de la place de la Liberté, bravant du regard la tour dans laquelle tant de protestants et d’embastillés de l’Ancien régime précédèrent les prisonniers de 1851, le nouvel « Insurgé » de bronze marque que tout au long de notre histoire, il y a eu des résistants à l’oppression, des défenseurs des valeurs de liberté et de démocratie, et qu’ils ont fini par triompher.
Auteurs : Robert Serre
Sources : Le Crestois, n° 2181 du 24 janvier 1942. AC Crest, pièces non classées. Cdt Pons, De la Résistance à la Libération, autoédition, 1962. Service Historique de la Gendarmerie Nationale, Drôme, rapport R4 n° 85/4, n° 30/4 du 14 juillet 1942 cité dans la thèse de Doctorat de Patrick Martin, La Résistance dans le département de la Drôme, 1940-1944, soutenue à la Sorbonne le 29 novembre 2001. Robert Serre, 1851, dix mille Drômois se révoltent, Peuple Libre & Notre temps.