Contexte historique

L'équipe des Pur Sang est composée de Marcelle Engelen, Alice et Marie-Louise Daul, Emmy Weisheimer, Lucienne Welschinger et Lucie Welker. Elles occupent toutes des fonctions importantes au sein du mouvement scout des Guides de France (GDF). Elles se connaissent donc parfaitement. Après la défaite de mai-juin 1940, l'entrée des Allemands le 19 juin 1940 dans Strasbourg et la mise en place de l'appareil administratif nazi, le mouvement des GDF est dissout. Néanmoins, certaines GDF comme Lucienne Welschinger ou Emmy Weisheimer se mettent très vite à l'oeuvre.

Dans un premier temps, le but est de soulager le quotidien des milliers de prisonniers de guerre (PG) français qui traversent chaque jour l'Alsace pour être transférés en Allemagne. De simples mots, mais également de l'eau, du ravitaillement et du courrier, les tâches diverses ne manquent pas. Ainsi tous les matins, à l'Orangerie (Strasbourg), Lucienne Welschinger apporte du ravitaillement aux PG qui partent travailler. A l'approche de l'hiver 1940-1941, c'est les vêtements chauds qui sont récoltés.

Très rapidement, certains PG manifestent le désir de s'évader. Dès le mois d'octobre 1940, Lucienne Welschinger aidée par Emmy Weisheimer organise le premier passage de PG polonais dans la vallée de la Bruche à Hersbach (Bas-Rhin). Néanmoins, devant l'afflux des PG évadés, il faut multiplier les différentes zones de passage. Face à l'augmentation de l'activité, Lucienne Welschinger prend la décision de contacter certaines membres des GDF pour former une organisation totalement clandestine: le groupe des Pur Sang. Composé de Marcelle Engelen, Alice et Marie-Louise Daul, Emmy Weisheimer et Lucie Welker, il a pour mission d'aider les PG à s'évader hors d'Alsace. En janvier 1941, une première réunion réunit les six membres afin de répartir les tâches.

Pour diminuer un maximum les risques, elles se relaient à l'église Saint-Jean à Strasbourg tous les soirs de 18 à 19 heures où le PG évadé doit s'agenouiller devant l'autel de la Vierge et par la suite, prononcer le mot de passe: Pierre. Les diverses tâches qui attendent les six membres du groupe des Pur Sang sont importantes et demande une solide organisation: hébergement, ravitaillement, habits, fausses pièces d'identité, convoyage et enfin passage de la frontière.

Chacune se spécialise dans un domaine notamment Emmy Weisheimer et ses parents dans l'hébergement et le ravitaillement. Dans ces deux derniers domaines, grâce aux relations d'André Welschinger, elles sont aidées par de nombreuses personnes: Ernest Burglin, Alice Fuchs, Mathieu Gander, Auguste Gauer, Julie Hans (employée chez André Welschinger) et Jean-Antoine Sardi. Beaucoup sont des commerçants et fournissent gratuitement des vivres. L'employé au service architecture et inspection des bâtiments publics, Albert Jundt, met à disposition des timbres officiels. Lucienne Welschinger récupère les fausses pièces d'identité par l'intermédiaire de Paul Widmann et du photographe Charles Latzarus. Ce dernier fournit les photos et Alice Daul (épouse Gillig) remplit les cartes. Elle prend soin de localiser les PG dans les régions francophones de l'Alsace, puis elle contrefait la signature. Elle redonne les cartes à l'agent de police Charles Jost, pour qu'il appose le cachet du commissariat de police. Elise Weisheimer, la sœur d'Emmy, ajuste les costumes à la taille des évadés ou les répare. Albert Ott et Edouard Keller convoient les évadés du domicile à la gare et leur fournissent les billets de train. 

La principale difficulté est de trouver des zones de passage. A Hégenheim (Haut-Rhin), Alice Daul et Lucie Welker sont envoyées en repérage. Elles parviennent à mettre en place un plan permettant aux PG de s'évader et de rejoindre la Suisse. Mais après six mois, le passage devient trop dangereux. Il faut alors trouver un autre lieu. Marie-Louise et Alice Daul explorent le site du col de la Schlucht dans la vallée de Munster (Haut-Rhin) où elles passent toutes les vacances avec un autre scout de Strasbourg, Robert Knittel. Le massif du Tanet semble propice, situé à 1 100 mètres d'altitude entre le col de la Schlucht et le lac Blanc. Les deux soeurs décident de choisir cet endroit. En effet, 25 douaniers allemands répartis en patrouilles de deux hommes quadrillent les 25 kilomètres de frontière. Lorsqu'on connaît les habitudes et les heures de passage, il est facile d'échapper à leur vigilance. Après un premier passage, elles remarquent que l'heure la plus propice est 12h30 car il s'agit de la relève des patrouilles. Elles disposent également de l'aide de Frédéric Baumgart, cultivateur à la ferme du Schupferen, qui offre une étape mais fait également fonction de passeur. Désormais, presque chaque dimanche, les membres du groupe des Pur Sang se relaient pour accompagner les PG évadés jusqu'à ce massif et les dirigent vers le pensionnat de Notre-Dame-de-Sion à Gérardmer (Vosges). De là, les fugitifs sont ensuite envoyés à Epinal (Vosges) puis à Lyon dans des wagons de marchandises plombés.

Au cours de l'année 1941, les membres du groupe des Pur Sang doivent faire face à un afflux massif de PG évadés. La tenancière d'un débit de tabac à Wissembourg (Bas-Rhin), Marie Gross, avec l'aide d'Anne-Marie Muller, envoie également des PG évadés à Strasbourg. La tâche s'annonce périlleuse surtout que l'hiver 1941-1942 interdit l'accès au massif du Tanet. Il faut trouver un autre lieu de passage qui ne se soit pas en altitude. En effet, le 31 janvier 1941, Marie-Louise et Alice Daul, en convoyant et en passant dix Alsaciens, tombent dans une tempête de neige et perdent ainsi tous leurs repères. Par chance, elles réussissent finalement à remplir leur mission. C'est à Landange (Moselle), par l'intermédiaire de l'instituteur André Krommenacker, que le nouveau lieu de passage est trouvé. Dans le même temps, en janvier 1942, Marcelle Engelen, menacée par son appel au Reichsarbeitsdienst, RAD ou service du travail, franchit la frontière en ce dernier lieu et se réfugie en zone non occupée. 

Devant le nombre croissant de PG évadés qui se présente, le groupe des Pur Sang doit résoudre des problèmes insolubles. Lucienne Welschinger prend alors la décision de se rendre à Vichy pour informer le gouvernement du maréchal Pétain. Accompagnée par Lucie Welker, elle contrôle l'état de la filière jusqu'à Lyon. Elle apporte un rapport sur la situation en Alsace écrit par Paul Widmann à l'aide de camp du Maréchal. Lors du trajet retour, Lucie Welker est arrêtée le 28 février 1942 en gare d'Avricourt (Meurthe-et-Moselle).