Libre France (L'Arc), n°1

Légende :

Premier numéro du journal clandestin Libre France qui deviendra L'Arc à partir du numéro 8. Cette feuille est entièrement rédigée par Jules Corréard, ex-polytechnicien et ex-professeur à l'Ecole des sciences politiques, inspecteur des Finances honoraire. Ce premier numéro paraît en septembre ou octobre 1940.

Type : Journal clandestin

Source : © Bibliothèque nationale de France. Gallica.bnf.fr Droits réservés

Détails techniques :

Journal dactylographié

Date document : sans date [1940]

Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris

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Contexte historique

Passé les premiers émois provoqués par la défaite et l'Occupation de la France, des Français décident d'utiliser les moyens à leur disposition pour faire part de leur volonté de résister au sort qui leur est fait. Dès la fin de l'été 1940 commence à se mettre en place une activité souterraine tâtonnante pour lutter contre l'ennemi. On ne sait pas encore, à cette époque, si le gouvernement de Vichy, avec Pétain à sa tête, est digne de confiance pour regagner l'indépendance de la France.
L'un des modes d'expression privilégié est alors la propagande écrite afin d'alerter les Français sur la réalité de leur situation. Dès le mois de septembre 1940, paraissent en région parisienne les premiers journaux clandestins (Quand même, la Vérité française) et c'est en octobre que circule le premier numéro d'Arc sous le nom de Libre France (les six numéros suivant ne portent pas de titre et ce n'est qu'à partir du numéro 8 qu'il prendra le nom définitif d'Arc).

Cette feuille est entièrement rédigée par Jules Corréard, ex-polytechnicien et ex-professeur à l'Ecole des sciences politiques, inspecteur des Finances honoraire, conseiller près le gouvernement général de l'Algérie entre 1932 et 1938. Il avait été officier d'artillerie pendant la guerre 1914-1918. Il écrivit sous le pseudonyme de "Probus" plusieurs ouvrages dont La plus grande France et Nos petits hommes d'Etat, en 1925, dans lequel il préconisait une réforme de la Constitution et de l'administration. Il avait également créé une Association nationale pour l'organisation de la démocratie à laquelle avaient adhéré de nombreux parlementaires. Pendant la guerre 1939-1940, il publie un bulletin hebdomadaire, France et Monde, où il entendait maintenir "l'esprit de Clemenceau". Ce bulletin cesse de paraître à l'arrivée des Allemands à Paris.

Bien qu'il rédige seul les différents articles d'Arc, il reste fidèle à l'esprit de la Grande Guerre en réunissant autour de lui chaque semaine, au 27 de la rue Tronchet (8e arrondissement), un comité de lecture formant une sorte d'Union sacrée par la diversité des familles spirituelles auxquelles ses membres appartiennent. On y voit ainsi Gaston Tessier, secrétaire général de la CFTC ; le pasteur Freddy Durrleman, issu de la droite protestante et fondateur d'une organisation religieuse et sociale, La Cause, et le colonel Adrien Roux, animé d'une pensée positiviste. Ce sont tous des amis intimes de Corréard qui lui apportent des conseils et informations pour le journal. Une fois les articles rédigés et contrôlés, c'est la secrétaire de Corréard, Mme Gabrielle Coquard, qui se charge de ronéotyper entre 150 et 300 exemplaires avec sa propre machine qu'elle met à la disposition du journal. Elle dispose pour cela d'un stock de papier important - qui s'avérera suffisant - étant donné les précédentes activités littéraires de son patron. Le pasteur Durrleman emporte ensuite les stencils et procède à un nouveau tirage assisté de sa secrétaire, Mme Hettel. Il leur faut ensuite distribuer le journal. Plusieurs canaux sont alors utilisés. D'une part, un certain nombre d'exemplaires sont expédiés à d'anciens abonnés de France et Monde, mais aussi à des personnes influentes et jugées sympathisantes. D'autre part, une diffusion plus aléatoire est assurée par des femmes proches de l'auteur comme Mme Coquard, les enfants de celui-ci et certaines de leurs amies, comme Monique Normandin. Bien que n'ayant aucune expérience de la clandestinité et de ses règles de sécurité, un certain cloisonnement existe, ainsi la plupart des diffuseurs ne se connaissent pas et ignorent qui est l'auteur d'Arc.

Tout se passe sans aucun problème jusqu'en janvier 1941. L'attention des Allemands se pose alors sur le pasteur Durrleman qui vient de prononcer une allocution sur la tombe d'un officier britannique. Rapidement, il subit une perquisition au cours de laquelle les stencils du journal sont découverts. Le pasteur et sa secrétaire sont arrêtés. Aussitôt prévenu par la femme de Durrleman, Jules Corréard quitte Paris et rejoint la zone libre avant de gagner l'Afrique du Nord. Avant de partir, il avait pris soin de confier à Mme Durrleman une lettre dans laquelle il affirmait être l'auteur des articles. Le pasteur ne l'utilisa pas. Il fut donc le seul membre de l'équipe avec sa secrétaire à être condamné à dix-huit mois de prison, Mme Hettel écopant pour sa part de six mois. Cet événement marque ainsi la fin d'Arc après vingt numéros et près de quatre mois de parution régulière.

La fugacité de cet organe ne lui enlève pas pour autant son exemplarité dans le cheminement adopté par les premiers résistants. En effet, nombre de mouvements se sont constitués autour d'un journal (Résistance, Libération, etc.), leur démarche première étant d'alerter d'abord l'opinion sur la réalité de l'Occupation, ce n'est qu'ensuite qu'apparaît la nécessité de s'organiser en mouvement. L'équipe d'Arc n'échappe pas à cette règle. L'activité toute entière d'Arc est donc orientée vers une action psychologique sur l'opinion publique. Les informations proviennent de plusieurs sources : d'abord, Mme Coquard recueille et note les renseignements apportés par la radio britannique, on tient compte aussi de ce qu'on apprend par le bouche à oreille, enfin on décrypte la presse parisienne et allemande. Ce premier travail accompli, les articles de Corréard sont soumis aux trois autres membres formant le comité de lecture. Ceux-ci apportent leurs propres renseignements et donnent leurs avis sur le contenu. Dans les premiers temps, il s'agit d'éclairer l'opinion encore troublée par la fulgurance de la défaite, la propagande allemande et les ambiguïtés du gouvernement de Vichy. Il faut sauver l'honneur de la France en refusant l'Occupation et toute forme de collaboration : l'ennemi demeure l'Allemagne et toutes les difficultés du moment leur incombent, quant aux collaborateurs, ce sont des traîtres. La presse parisienne à la solde de l'ennemi ne doit pas être lue. Le seul but que poursuit Hitler est l'anéantissement de la France et pour s'en convaincre il suffit de lire Mein Kampf. L'objectif est donc de chasser l'occupant pour retrouver l'indépendance du pays. Pour cela, il est important de réaliser l'Union sacrée en acceptant même les communistes pourtant vilipendés par les dirigeants d'Arc avant-guerre mais dont la vitalité de la propagande impressionne. L'important est d'œuvrer dans le sens de la libération tout en sachant que la victoire ne peut venir que de l'Angleterre, de l'Amérique ou même de la Russie. Pour l'heure, il faut se tenir prêt pour le jour J. Il faut résister de façon simple et intelligente et laisser l'héroïsme pour le moment venu. On ne croit pas en l'efficacité d'un soulèvement populaire, il faut plutôt compter sur l'action de minorités agissantes dont la masse facilitera l'action par une aide matérielle, la propagande ou le silence.

Ainsi à partir du numéro 13, apparaît pour Jules Corréard et ses amis la nécessité de constituer une de ces minorités en fondant un mouvement dont les membres seront appelés les Archers. Cependant, on n'aura le temps que de dessiner les contours d'une telle organisation. Chaque membre doit constituer un groupe de trois à cinq personnes, celui-ci sera désigné par un totem dont les membres recevront un numéro. Seul le chef de groupe peut appartenir à plusieurs groupes. Les noms et adresses des recrues ne doivent pas être écrits. Ainsi la volonté de cloisonnement pour protéger le mouvement se fait-elle déjà jour malgré la méconnaissance des règles de la clandestinité. Les membres de cette minorité sont les seuls à recevoir avec le journal des pages numérotées 0 qui leur sont spécialement destinées.

Le cheminement de ces résistants se peaufine peu à peu, en fonction de l'évolution des événements. Ainsi, au début apparaît nettement une méfiance tant à l'égard de Vichy que de De Gaulle. On croit encore que Pétain peut représenter le salut à condition que celui-ci rejoigne l'Afrique du Nord et prenne la tête de la France libre. Seulement, le jeu de Vichy leur apparaît de plus en plus clairement, surtout après l'entrevue de Montoire. Au moment où cesse la parution d'Arc, la déception provoquée par Pétain est devenue suffisamment forte pour que tous les espoirs se portent vers De Gaulle. Dans le dernier numéro, ils se déclarent prêts à suivre celui ou celle qui travaillera dans le but de la libération de la patrie et appellent à suivre les consignes de De Gaulle pour le 1er janvier 1941. Le ralliement à la France libre est donc ainsi entériné.

Un dernier aspect les distingue des autres mouvements en cours d'organisation en cette fin d'année 1940. Lors des réunions organisées rue Tronchet, on s'intéresse déjà au destin de la France libérée. On y critique ainsi sévèrement la IIIe République, son lot de corruption et la faiblesse des hommes d'Etat. Seule l'œuvre coloniale est appréciée. La rénovation de la France n'est encore présentée que schématiquement : des transformations doivent voir le jour mais dans un climat de liberté et d'humanité. On propose une nouvelle organisation sociale dans laquelle on écarte l'argent roi. On s'intéresse aussi au sort des traîtres qui seront exclus de tout projet engageant la communauté. Il y a donc, à la fois, une volonté de réformes profondes et d'épuration qui apparaissent de bonne heure et qui seront deux des aspirations permanentes de toute la Résistance. Cette précocité n'est pourtant pas étonnante au regard des activités de Corréard avant-guerre. Celui-ci a, en effet, toujours œuvré dans le sens des réformes tant administratives que militaires de la France. N'a-t-il pas rédigé, en 1936, un ouvrage intitulé La réforme de l'administration ou milité, en 1939, en faveur d'une pétition préconisant une réforme civile et militaire ? D'ailleurs, après l'arrestation du pasteur Durrleman, Jules Corréard rejoint Alger et n'y reste pas inactif puisqu'il fonde, après le 8 novembre 1942, le Centre d'action intellectuelle française au sein duquel il s'applique " à établir une doctrine internationale, politique, sociale, économique, financière ". Un projet de Constitution est même élaboré par lui et présenté par son ami Gaston Tessier à l'Assemblée consultative.

Corréard et son équipe ont donc mis en place un journal et dessiné les contours d'un mouvement dont la portée est, certes, limitée tant dans le temps que dans le nombre de personnes touchées, mais toutefois éclairant dans le cheminement adopté par ces premiers résistants auxquels l'évolution de l'Occupation apporte de nouvelles nécessités dans la manière d'agir. Ces intellectuels manquent cependant de clairvoyance sur l'action de résistance, ils n'ont jamais songé à la formation de la masse à la lutte ouverte au sein de maquis sous forme de guérilla. Leur originalité tient au fait qu'il s'agit d'intellectuels depuis longtemps intéressés à la réforme de l'Etat d'où leur précocité à réfléchir au devenir de la France une fois libérée et d'apporter des idées qui peu à peu seront reprises par la Résistance. 


Notice extraite du DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004

Auteur : Monique Gimenez

Sources et bibliographie : 
Mémorial de la Shoah, archives de la LICA
IHTP : 72 AJ 35, témoignages de Mme Harcha, née Normandin, le 19/12/1957 ; de Mme Coquard, le 13/11/1957 ; de Jules Corréard, le 25/10/1945 
Revue historique de la Deuxième Guerre mondiale, 1958, n° 30.