La mission Savannah
Légende :
Courrier du 15 mars 1941 par lequel le capitaine Bergé, commandant la 1ère compagnie d'infanterie de l'Air, informe le général de Gaulle du départ de son détachement "chargé de mission spéciale" et en donne la composition.
En album joint : rapport du capitaine Bergé du 9 avril 1941.
Genre : Image
Type : Lettre
Source : © SHD GR 28P3/20 Droits réservés
Détails techniques :
Document manuscrit
Date document : 15 mars 1941
Lieu : Angleterre
Contexte historique
La mission « Savanna », parfois orthographiée « Savannah », fut la première mission Action parachutée en France occupée dans la nuit du 15 au 16 mars 1941 et mise en place par le 2ème Bureau (futur B.C.R.A, Bureau central de Renseignements et d’Action) de la France Libre lequel était dirigé par le capitaine du Génie André Dewavrin alias Passy. Cette mission avait été demandée par le S.O.E britannique (Special Operations Executive, service secret en charge de la guerre subversive) dans le but de neutraliser les pilotes d’une escadrille de bombardiers de la Luftwaffe (aviation allemande) dont les raids présentaient une grande menace sur les villes anglaises.
Depuis la signature de l’Armistice entre la France du régime de Vichy et l’Allemagne nazie le 22 juin 1940, la Grande-Bretagne est désormais seule face à l’appétit expansionniste d’Hitler. A l’été 1940, ce dernier lance son offensive aérienne contre l’Angleterre qui vise dans un premier temps, les aérodromes de la R.A.F (Royal Air Force, armée de l’air britannique) qu’il souhaite anéantir avant de se rabattre sur les villes anglaises qui subissent un déluge de feu et d’acier. Cette migration tactique dans le choix des cibles permet aux chasseurs britanniques appuyés par les radars de la RAF, d’opposer une résistance tenace aux attaques successives de la Luftwaffe. Le projet de débarquement sur les côtes anglaises (opération Seelöwe) qui se dessinait au sein de l’état-major d’Hitler est ajourné face à l’opiniâtreté britannique, puis finalement abandonné en décembre 1940. Cependant, Hitler qui entend maintenir une pression constante sur l’Angleterre, prolonge la campagne de raids aériens sur les villes anglaises, le Blitz, dont le but est de susciter la lassitude des populations pouvant conduire à d’éventuelles négociations d’armistice avec l’Angleterre. Pour appliquer le Blitz, l’état-major de la Luftwaffe privilégie dès lors, des bombardements nocturnes afin d’éviter une riposte des chasseurs anglais qui à cette époque, ne peuvent pas voler de nuit.
Conscients de l’impact que peuvent provoquer ces bombardements, autant sur le plan militaire, civil et psychologique, le Gouvernement du Premier ministre Winston Churchill et l’état-major britannique décident de concentrer leurs efforts contre les campagnes nocturnes de la Luftwaffe en projetant de mener des attaques sur ses bases arrières. Ainsi, les observations de terrain menées par la RAF, indiquent que l’une des escadrilles de bombardiers allemands a la particularité de servir de « pathfinders » (« éclaireurs ») dont la mission est le marquage des cibles au moyen de bombes incendiaires permettant d’orienter les escadrilles conventionnelles vers les cibles à atteindre. En s’appuyant sur les renseignements glanés en France occupée par des agents de terrain, l’Air Ministry (Ministère de l’Air britannique) est en mesure d’identifier l’escadrille allemande comme étant la Kampfgeschwader 100 stationnée sur l’aérodrome de Meucon situé au nord de Vannes dans le Morbihan. En outre, les informations rapportées précisent que l’état-major de la Luftwaffe semble apporter une forte considération à ses jeunes pilotes qui constituaient l’élite des raids nocturnes et qui devaient au préalable effectuer deux ans de formation avant de pouvoir intégrer l’escadrille.
Fin 1940, l’Air Ministry presse les services secrets britanniques de trouver une solution efficace qui permettrait de mettre hors d’état de nuire l’escadrille Kampfgeschwader 100. L’état-major britannique suggère au SOE de diriger une opération de sabotage en territoire ennemi susceptible de neutraliser la capacité opérationnelle des bombardiers allemands. Or, à cette période de la guerre, le SOE ne disposant pas d’effectifs pour mener à bien à cette mission, il se tourne alors vers les services de la France Libre représentés par le colonel Passy. Le plan du SOE soumis à Passy consiste à parachuter à proximité de la cible une équipe de saboteurs dont l’objectif est d’attaquer sur le trajet, au moyen d’explosifs disposés sur la route, l’autocar qui conduit les aviateurs à leur aérodrome. Passy qui accepte, doit néanmoins en référer à son supérieur, le général De Gaulle qui lui formule un accord de principe. Après quelques mésententes entre la France Libre et les représentants britanniques quant aux modalités techniques d’acheminement de l’équipe de saboteurs, la décision est prise de lancer une opération conjointe entre les services britanniques – le SOE – et ceux de la France Libre constituant l’amorce de la future coopération interalliée avec les services gaullistes.
Début 1941, c’est au capitaine Georges Bergé - alors à la tête de la 1ère compagnie d’infanterie de l’air, créée en septembre 1940 - que revient la charge de prendre le commandement de la mission Savannah. Pour se faire, il dispose de jeunes volontaires de la France Libre fraîchement brevetés parachutistes comme lui en décembre 1940. Pour mener à bien l’opération, le capitaine Bergé doit choisir quatre de ses parachutistes en vue de les envoyer dans les camps d’entraînement du SOE dans lesquels sont dispensées des formations très poussées inhérentes à la guerre subversive.
Outre le capitaine Bergé, l’équipe Savannah se compose comme suit :
- le sous-lieutenant Jean Petit-Laurent qui a signé son contrat d’engagement dans les Forces Françaises Libres (FFL) en juillet 1940 puis versé dans l’Infanterie de l’Air par la suite
- le sergent Jean Forman, engagé dans les FFL le 14 septembre 1940 puis versé dans l’Infanterie de l’Air le 16 novembre 1940
- le sergent Joël Le Tac, engagé dans les FFL le 1er juillet 1940 puis versé dans l’Infanterie de l’Air le 16 novembre 1940
- le caporal Joseph Renault engagé dans les FFL en juillet 1940 puis versé dans l’Infanterie de l’Air durant l’automne 1940
Pour parvenir à leur but, les membres de l’opération Savannah se familiarisent dans les écoles du SOE, à l’emploi d’une nouvelle génération d’engins explosifs confectionnés par les spécialistes du SOE et consistant à disposer sur la route un instrument piégé qui dans le cadre de la mission Savannah, devra exploser lorsque les roues de l’autocar transportant les aviateurs actionneront le mécanisme de mise à feu. Au sein du haut-commandement de la RAF, ce mode opératoire préconisé par le SOE qui puise dans l’action subversive avec la mise à contribution d’agents en tenue civile, déclenche une certaine réprobation d’ordre éthique liée à une tradition militaire qui refuse – encore – d’incorporer le sabotage comme un élément constitutif dans l’art de mener la guerre.
Après plusieurs atermoiements consécutifs à des problèmes techniques et moraux, le chef de la mission Savannah, le capitaine Bergé, est convoqué le 2 mars 1941 rue Baker Street à Londres, au siège du SOE pour prendre connaissance précisément des modalités de la mission et du lieu de largage en France occupée. Il semblerait que ce soit lors de cet entretien que Bergé ait pris la décision de choisir les agents qui composeront l’effectif du détachement. Le 13 mars, l’ensemble de l’équipe est réuni pour s’entretenir sur les objectifs de la mission et écouter les dernières recommandations.
Le 15 mars 1941, après avoir revêtus leurs vêtements civils et préalablement arrachés tout signe distinctif renvoyant aux origines anglaises des vêtements, les agents français de la mission Savannah sont discrètement conduits à l’aérodrome Stradishall appartenant à la RAF et situé dans le comté du Suffolk. Vers 19h45, ils enfilent une combinaison et un casque de protection destinés aux largages d’agents puis l’équipe embarque dans un bombardier moyen A.W. 38 Whitley converti en transporteur de troupes, capable de voler de nuit et rattaché aux opérations spéciales du SOE. Afin de donner l’illusion aux Allemands qu’il s’agit d’un simple raid aérien nocturne, le bombardier Whitley transportant les parachutistes de la France Libre est accompagné de bombardiers conventionnels de la RAF chargés d’effectuer un raid sur l’aérodrome de Meucon. Après s’être détaché du groupe de bombardiers, le Withley des opérations spéciales largue les cinq parachutistes de la mission Savannah ainsi que le matériel vers minuit, en « blind » c’est-à-dire à l’aveugle, sans indication au sol, ni comité de réception. L’inconvénient principal de cette méthode - outre le fait que les parachutistes peuvent atterrir dans un lieu incommodant - réside naturellement, dans les multitudes erreurs de largage qui en découlent. Ainsi, l’équipe de la mission Savannah se retrouve dans le secteur d’Elven à plus de sept kilomètres de la drop zone (DZ) initialement prévue.
Une fois au sol, l’équipe parvient néanmoins à se rassembler et à prendre possession du matériel présent dans les containers avant de dissimuler ces derniers. Au matin du 16 mars 1941, les membres de l’équipe prennent contact avec des fermiers qu’ils estiment sûrs, afin de trouver une cachette et glaner auprès d’eux des informations utiles sur la présence allemande dans le secteur. Le capitaine Bergé demande également au sous-lieutenant Petit-Laurent de partir en mission de reconnaissance à Vannes. Après avoir repéré l’hôtel où logent les aviateurs de l’escadrille Kampfgeschwader 100, le sous-lieutenant Petit-Laurent surveille les allers et venus des aviateurs et les mouvements des autocars. De retour de Vannes le soir-même, la capitaine Bergé estime que les renseignements collectés par Petit-Laurent sont incomplets et le renvoie en mission dès le lendemain. Petit-Laurent a pu cependant rapporté à son supérieur que les renseignements dont disposaient les services à Londres, étaient désormais périmés. Au bout de deux jours, ne voyant pas réapparaître Petit-Laurent, Bergé décide d’annuler la mission et ordonne aux membres de l’équipe de se disperser en attribuant à chacun une mission de renseignement à réaliser. D’autre part, il fixe au préalable une date et un point de rassemblement en vue de l’exfiltration de l’équipe. Cette opération maritime d’embarquement doit avoir lieu dans la nuit du 4 au 5 avril 1941 depuis une plage de Saint-Gilles-Croix-de-Vie en Vendée, ce qui laisse une quinzaine de jours aux membres de l’équipe pour leur mission de renseignement et de prise de contacts en France occupée.
Le capitaine Bergé se dirige vers le sud-ouest et plus particulièrement le secteur de Bayonne alors que Jean Forman est envoyé sur Paris. De leur côté, Joël Le Tac et Joseph Renault restent en Bretagne, le premier va sur Rennes établir des contacts et le second doit se concentrer sur Vannes et l’aérodrome de Meucon.
A la date fixée pour l’embarquement, seuls Bergé, Forman et Le Tac sont présents au point de ralliement. L’équipe doit être récupérée par un sous-marin de la Royal Navy, le Tigris, qui mouillant au large de la côte, met à l’eau trois embarcations chargées de ramener les agents à bord. La mer étant déchaînée, deux embarcations se renversent instantanément. Le capitaine Geoffrey Appleyard prend les commandes de la troisième embarcation et atteint le rivage. Compte tenu de l’étroitesse de celle-ci, seuls Bergé et Forman peuvent prendre place à bord. Le Tac doit attendre le second voyage pour pouvoir être ramené. Hélas, une avarie sur la barque empêche l’équipage du sous-marin d’aller chercher le sergent Le Tac resté sur le rivage. Le sous-marin est contraint d’abandonner l’agent de la France Libre sur la plage. Ne voyant pas la barque revenir, Le Tac décide de quitter rapidement les lieux et de se rendre à Paris où il prend contact avec son frère, Yves. Ensemble, ils tenteront de réitérer en vain, l’exécution de la mission de sabotage Savannah.
A bord du Tigris, le capitaine Bergé profite du voyage retour vers l’Angleterre pour rédiger un rapport sur l’opération Savannah dans lequel il consigne observations et renseignements de terrain collectés tout au long du séjour de l’équipe en France occupée [voir l'onglet "album photos"]. Ces précieux éléments donnent une représentation approfondie aussi bien sur les aspects pratiques et techniques de la mission en elle-même, qu’un éclairage global sur les problèmes militaires, économiques et sociaux auxquels est confrontée la France en ce printemps 1941. Même si l’objectif principal de la mission Savannah n’a pas été rempli, il n’en demeure pas moins qu’elle fut une expérience qui a permis aux services secrets de la France Libre de s’affirmer militairement auprès de son allié britannique ouvrant ainsi la voie à l’élaboration de prochaines missions de sabotage.
Auteur : Joris Brouard
Sources :
- Service historique de la Défense :
• GR 16 P 295515 LE TAC Joël
• GR 28 P 3 20 Mission Savannah
• GR 28 P 4 303 36 LE TAC Joël
- ALBERTELLI Sébastien, Histoire du sabotage. De la CGT à la Résistance, éditions Perrin, coll. Synthèses Historiques, 2016, Paris, 504 p.
- Amicale des réseaux action de la France Combattante, Les Réseaux Action de la France Combattante 1940 - 1944, Paris, 1986, 293 p.
- BROCHE François, CAÏTUCOLI Georges, MURACCIOLE Jean-François (dir.), Dictionnaire de la France Libre, éditions Robert Laffont, coll. Bouquins, 2010, Paris, 1602 p.
- FOOT Michael R.D, CRÉMIEUX-BRILHAC Jean-Louis (préface), Des anglais dans la résistance. Le SOE en France, 1940 – 1944, éditions Tallandier, coll. Poche Texto, Paris, 2011, 816 p.
- RENAUD Franck, Joël Le Tac, le Breton de Montmartre, éditions Ouest-France, 1994, 207 p.
Compte-rendu du capitaine Bergé, 9 avril 1941
SHD GR 28P3/20
Mission SavannahCompte-rendu du capitaine Bergé, 9 avril 1941
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