Mécontentement d'un Marseillais à la Libération devant les pénuries alimentaires, 23 septembre 1944
Légende :
Extrait de lettre adressée par un Marseillais au directeur de La Marseillaise, journal du Front national et interceptée par les renseignements généraux le 29 septembre 1944.
Genre : Image
Type : Lettre
Source : © Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 149 W 117 Droits réservés
Détails techniques :
Lettre manuscrite
Date document : 23 septembre 1944
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
Le 29 août 1944, le service des renseignements généraux de Marseille recopie un fragment de lettre adressée par un Marseillais au directeur de La Marseillaise, journal du Front national. Le Front national participe au comité départemental de Libération (CDL) des Bouches-du-Rhône, il est donc jugé coresponsable des décisions prises en matières de ravitaillement. L'auteur de la lettre entend répondre à un article paru dans La Marseillaise sur l'organisation du ravitaillement. La critique porte sur l'irréalisme des mesures prises pour organiser le ravitaillement : « De qui se moque-t-on ? Et ces messieurs du Ravitaillement pensent-ils calmer nos estomacs en nous délivrant tous les trois mois de nouvelles feuilles de papier ? ».
L'auteur ne tient pas à passer pour un nostalgique de Vichy mais ne constate aucune amélioration voire pire depuis la Libération. Comme beaucoup de Français, ce Marseillais pensait que les pénuries étaient le fait des prélèvements allemands et que comme l'avait suggéré la propagande de la France libre, la situation changerait du tout au tout avec le départ des troupes d'occupation. Expliquer la persistance des difficultés ne pose pas problème à l'auteur de la lettre : « De deux choses l'une ou celui qui est à Marseille à la tête du ravitaillement est un immense crétin ou bien si c'est le contraire c'est un infâme bandit qui pour des raisons politiques n'hésite pas à affamer la population. »
Le ton de la lettre est vif et les solutions semblent aux yeux de ce Marseillais à portée de main.
Sylvie Orsoni
Contexte historique
Sous la cote 149 W 117, les archives départementales des Bouches-du-Rhône conservent de nombreuses traces du mécontentement des populations de la région qui doivent affronter une situation alimentaire extrêmement dégradée à la Libération. Contrairement à ce que la presse de la résistance avait pu faire croire (voire notice "Pas de famine à Marseille"), les pénuries alimentaires étaient destinées à durer après le départ des troupes d'occupation. La raison en est le chaos dans lequel est plongée la région qui par ailleurs n'a jamais été autosuffisante en matière agricole. Les nouvelles autorités mises en place à la Libération, commissaire régional de la République, Raymond Aubrac et CDL prennent immédiatement des mesures pour améliorer le ravitaillement mais n'obtiennent aucune amélioration immédiate. Les propos relevés par les renseignements généraux (écoutes téléphoniques et lettres interceptées) donnent la mesure de l'exaspération de la population de toute la région.
Les documents en album proposent quelques exemples des réactions. Les responsables des pénuries persistantes sont au choix
- les incapables : « on nomme comme directeur général du ravitaillement un type qui s'y connaît comme moi... Encore un qui a fait la résistance planqué dans un tiroir. » « Ah si j'étais M. Aubrac pendant une semaine »
- les nostalgiques de Vichy : « Il faut faire une épuration sérieuse des services du ravitaillement ou (sic) trop de fonctionnaires sabotent leu travail pour créer du mécontentement. »
- les ouvriers qui ne veulent pas travailler : « vous avez demandé aux ouvriers de fournir un effort! Ils ne veulent rien entendre. Ce sont des fainéants. » et qui volent lorsqu'ils le peuvent « vous n'empêcherez jamais les employés des chemins de fer de venir se remplir la musette, et il y en a, vous savez, des employés de chemins de fer. ». Or les ouvriers sont sous alimentés et ne peuvent fournir les efforts exigés.
-voire les Juifs comme l'affirme sans état d'âme une Niçoise dont on peut deviner où allaient ses sympathies « Avec la Libération les Juifs sont revenus et à coup de billets de banque nous raflent pour le marché noir le peu que nous pouvions avoir... c'est pire qu'au moment de l'occupation allemande, j'en suis écoeurée. »
Ces propos à l'emporte-pièce donnent la mesure du désarroi des populations affamées. Les partisans de Vichy ne se privent pas de relever les défaillances des nouvelles autorités. Les renseignements généraux accordent donc une grande importance au thème du ravitaillement dans leurs rapports.
Sylvie Orsoni
Sources
Mencherini Robert, "Conséquences sanitaires des pénuries alimentaires dans les Bouches -du-Rhône", in Dominique Veillon, Jean-Marie Flonneau (dir.), "Le temps des restrictions en France (1939-1949)", Les Cahiers de l'IHTP, n° 32-33, mai 1996, pp. 419-432.
Mencherini Robert, La Libération et les années Tricolores (1944-47). Midi rouge, ombres et lumières, tome 4. Paris, Syllepse, 2014.
Critiques contre le directeur du ravitaillement, Marseille, octobre 1944
AD Bouches-du-Rhône 149 W 97
"Il faut épurer les services du ravitaillement""Il faut épurer les services du ravitaillement", Marseille, septembre 1944
AD Bouches-du-Rhône 149 W 117
Critiques des ouvriers de MarseilleCritiques des ouvriers de Marseille, novembre 1944
AD Bouches-du-Rhône 149 W 117
Vol de pommes de terreVol de pommes de terre, Marseille, novembre 1944
AD Bouches-du-Rhône 149 W 117
"C'est la faute des juifs""C'est la faute des juifs", Nice, octobre 1944
AD Bouches-du-Rhône 149 W 117