Lettre anonyme adressée au comité de Libération des Bouches-du-Rhône pour dénoncer le marché noir, 13 octobre 1944
Légende :
Exemple de lettre anonyme reçue par le comité départemental de Libération, 13 octobre 1944
Genre : Image
Type : Lettre
Source : © Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 9 W 8 Droits réservés
Date document : 13 octobre 1944
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
Le comité départemental de la Libération (CDL), créé dans la clandestinité, s'installe à la préfecture des Bouches-du-Rhône dès le 22 août 1944. Il s'adjoint des commissions chargées des grands problèmes de l'heure dont le ravitaillement. Les archives du CDL conservent quelques lettres anonymes qui lui ont été adressées par des Marseillais.
L'exemple présenté est révélateur des attentes et des déceptions de la population. L'auteur de la lettre juge que la Libération n'a pas fait disparaître les injustices qui prévalaient sous Vichy. Il donne des chiffres précis montrant que le marché noir est inaccessible aux plus modestes. Pour lui il n'y a pas pénurie puisque le marché noir est alimenté. Il attend des autorités issues de la Résistance qu'elles mettent fin aux privilèges des nantis et assurent l'accès des produits alimentaires à tous. La fin de la lettre reste polie mais ferme : « Une personne qui désire obtenir satisfaction. »
Sylvie Orsoni
Contexte historique
Les autorités issues de la Résistance, commissaire régional de la République (CRR), Comité départemental de Libération (CDL) reçoivent comme celles de Vichy auparavant leur lot de lettres anonymes. Le marché noir est un thème récurrent. Il est le symbole des inégalités sociales. Pour ceux qui ont les moyens d'y recourir, il permet une alimentation suffisante. Pour les autres, les carences sont telles qu'une augmentation notable de la mortalité départementale est enregistrée. Le département n'était pas autosuffisant avant guerre. Les réquisitions allemandes, les destructions des réseaux de transport ont provoqué un déficit grave dans le ravitaillement de la région en produits alimentaires de première nécessité. Le marché noir détourne une partie des denrées disponible à un prix inaccessible à une grande partie de la population. Si l'on en croit les prix avancés par l'auteur de la lettre, un manœuvre dont le salaire horaire est de 8 F 30 doit travailler six heures pour acheter une flûte de pain, trois heures pour obtenir un œuf, trois heures et demies pour un litre de lait et soixante douze heures pour un kilo de graisse.
Raymond Aubrac, commissaire régional de la République, note à la fin du mois d'août dans les jours qui suivent la libération de Marseille, à quelle point la situation est préoccupante : « le ravitaillement de Marseille est précaire et, en ce moment, tout le monde le sait, très déficient. » Les nouvelles autorités essaient d'assurer un ravitaillement juste, sanctionnent les profiteurs. Malgré leurs efforts, la situation se dégrade dans le courant du mois d'octobre. La population qui croyait à un changement radical avec le départ des troupes allemandes manifeste son mécontentement et sa déception. La presse comme les rapports des renseignements généraux rapportent le désenchantement des Marseillais qui ne voient pas beaucoup de « lendemains qui chantent ».
Sylvie Orsoni
Sources
Mencherini Robert, "Conséquences sanitaires des pénuries alimentaires dans les Bouches -du-Rhône", in Dominique Veillon, Jean-Marie Flonneau (dir.), « Le temps des restrictions en France (1939-1949) », Les Cahiers de l'IHTP, n° 32-33, mai 1996, pp. 419-432.
Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi rouge, ombres et lumières,tome 2. Paris, Syllepse, 2009.
Mencherini Robert, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 4. Paris, Syllepse, 2014.