Concurrence entre département pour obtenir des produits alimentaires, conversation téléphonique interceptée, Marseille 13 novembre 1944
Légende :
Extrait d'une conversation téléphonique interceptée par les renseignements généraux de Marseille au sujet du ravitaillement, 13 novembre 1944
Genre : Image
Source : © Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 149 W 117 Droits réservés
Détails techniques :
Document dactylographié
Date document : 13 novembre 1944
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
Les renseignements généraux poursuivent la surveillance de l'opinion publique à la Libération et transmettent aux nouvelles autorités des rapports réguliers sur l'état d'esprit de la population. Le sujet du ravitaillement est l'objet de leur attention car les pénuries frappent durement la population.
Sous la cote 149 W 117, les archives départementales des Bouches-du-Rhône montrent que les renseignements généraux interceptaient et transcrivaient aussi bien des conversations entre particuliers que des échanges entre fonctionnaires.
Le service régional de ravitaillement est installé à Marseille. Il doit coordonner la distribution des produits alimentaires pour toute la région soit les départements des Bouches-du-Rhône, du Var, des Alpes maritimes et les Alpes de Hauts Provence.
Dans cette conversation, le responsable marseillais affirme obéir aux instructions reçues alors que son interlocuteur considère qu'il privilégie l'échelon le plus proche au détriment des autres départements dans la répartition des produits alimentaires, ici les pommes de terre. Les deux interlocuteurs ne se font pas d'illusions sur les pressions et le lobbying qui s'exercent sur le ministre du ravitaillement. L'extrait retranscrit montre une résignation des responsables régionaux du ravitaillement « le plan n'est pas appliqué, nous sommes en pleine anarchie. »
Sylvie Orsoni
Contexte historique
La conversation interceptée le 13 novembre 1944 montre combien la gestion du ravitaillement est difficile. Dans un contexte de très graves pénuries, le sens du bien commun et du partage équitable s'amenuise. Les responsables du ravitaillement essaient d'échapper à la colère des consommateurs, des responsables politiques locaux, du ministère de tutelle sans oublier les producteurs, les transporteurs et les commerçants. La tentation est grande de satisfaire l'échelon le plus proche au risque de léser les autres. Dans les mois qui suivent la Libération, la région méridionale qui souffrait de graves pénuries alimentaires pendant l'Occupation, voit sa situation se dégrader (voire en album "situation critique de l'approvisionnement en lait de Toulon, novembre 1944" et "situation précaire du ravitaillement du Var, 24 janvier 1945"). Les populations qui rêvaient d'une amélioration rapide sont extrêmement déçues, ne comprennent pas pourquoi les rations tendent à diminuer et se persuadent facilement d'être les plus mal loties comme l'écrit un Marseillais « Nous crevons littéralement de faim... Il n'y a qu'à Marseille qu'on la saute pareillement car toutes les autres villes sont mieux ravitaillées. »
Le commissaire régional de la République, Raymond Aubrac qui a une vue d'ensemble de la situation emploie quasiment les mêmes termes « Il faut en finir avec les affirmations gratuites que l'on lance sur Marseille où on a la réputation de tout exagérer...On meurt beaucoup à Marseille et on meurt de faim tout court. » Ce qui ne signifie pas que la situation des départements voisins est florissante. Les rationnements se poursuivent jusqu'en 1950 car il faut reconstruire les moyens de transport, réorganiser les circuits de distribution, relancer la production agricole dans la région et dans la France en général puisque le midi n'était pas autosuffisant.
Sylvie Orsoni
Sources
Mencherini Robert, "Conséquences sanitaires des pénuries alimentaires dans les Bouches -du-Rhône", inDominique Veillon, Jean-Marie Flonneau (dir.), « Le temps des restrictions en France (1939-1949) », Les Cahiers de l'IHTP, n° 32-33, mai 1996, pp. 419-432.
Mencherini Robert, La Libération et les années tricolores (1944-1947). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 4. Paris, Syllepse, 2014.
Var, août 1945
AD Bouches-du-Rhône, 149 W 117
Concurrence entre département pour obtenir des produits alimentaires"Pas de lait à Toulon", novembre 1944
AD Bouches-du-Rhône 149 W 117
Concurrence entre département pour obtenir des produits alimentaires"Marseille est la plus mal lotie", octobre 1944
AD Bouches-du-Rhône 149 W 117