Extraits du registre d'écrou de la prison de la Santé (novembre 1940)

Légende :

L’analyse du registre d’écrou de la maison d’arrêt de la Santé conservé aux archives départementales de Paris sous la cote 1807W136 et relatif aux détenus remis aux autorités allemandes (1940-1941) permet de dégager quelques informations sur les manifestants arrêtés le 11 novembre 1940. 

Type : Registre d'écrou

Source : © Archives départementales de Paris - 1807W136 Droits réservés

Date document : 11 novembre 1940

Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris

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Analyse média

L'écrou est le procès-verbal consigné sur registre constatant qu'un individu a été placé en détention dans un établissement pénitentiaire. L’analyse du registre d’écrou de la maison d’arrêt de la Santé conservé aux archives départementales de Paris sous la cote 1807 W 136 et relatif aux détenus remis aux autorités allemandes (1940-1941) permet de dégager quelques informations sur les manifestants arrêtés le 11 novembre 1940. Il faut tout de même préciser que sur les 92 individus incarcérés le 15 novembre 1940 à la Santé, le motif « démonstration 11/11/40 » n’est mentionné que pour les 30 premiers. Mais au regard des professions et de la coïncidence de dates de remises aux autorités allemande, il est fort probable qu’il s’agisse de manifestants ou de personnes se trouvant place de l’Etoile ou à ses abords le 11 novembre 1940. Il est également nécessaire de rappeler que certains manifestants furent également incarcérés à la prison du Cherche-Midi.

Sur les 92 incarcérés, 79 sont qualifiés d’ « étudiants ». Cette notion est cependant à nuancer car, au regard des dates de naissance, quelques lycéens et collégiens figurent également parmi ce corpus. La tranche d’âge 17-19 y est la plus représentée avec 57 individus, soit plus des deux tiers des personnes incarcérées. Le plus jeune « étudiant » est né en 1926 (14 ans en 1940) et le plus âgé en 1918 (22 ans). 

Âge des "étudiants" Nombre de détenus
14 1
15 3
16 8
17 17
18 25
19 15
20 8
21 1
22 1


Parmi les non-étudiants figurent notamment un instituteur, Philippe Bauer, un professeur, René Baudoin, et des professions diverses : boulanger, photographe, serrurier, ingénieur, peintre, maroquinier, tailleur… Les deux plus âgés étant né en 1887 (53 ans) et 1899 (41 ans – il s’agit du professeur René Baudoin).

La domiciliation montre la diversité géographique des participants même si la plupart proviennent des 15e, 17e, 16e et 6e arrondissements.

La plupart des remises de détenus aux autorités allemandes se font les 3 (environ 40) et 11 décembre (environ 20). Trois l’ont été entre le 15 et le 18 novembre et 5 le seront après le 11 décembre. Signalons tout de même le cas d’un transfert à Fresnes le 26 janvier 1941. « Remise aux autorités allemandes » ne signifie pas forcément libération comme le montre le cas de René Baudoin. A son nom figure la mention « remis aux autorités allemandes le 18 janvier 1941 ». De par son témoignage, on sait que ce professeur de sciences naturelles du lycée Lakanal a été arrêté le 11 novembre 1940 au matin sur les Champs-Elysées car il arborait une cocarde tricolore. Emmené à la permanence de police du Grand-Palais aux alentours de 10h, il est ensuite incarcéré à la Santé. Jugé le 18 décembre par un tribunal allemand, il est condamné à un an de prison. La remise aux autorités allemandes mentionnée sur le registre correspond dans son cas à un transfert à Fresnes où il purge sa peine jusqu’à sa libération le 24 juillet 1941.
Parmi les étudiants mentionnés figure Pierre Lefranc, blessé le 11 novembre 1940 et incarcéré à la Santé. Le registre d’écrou mentionne juste son transfert à l’infirmerie carcérale le 18 novembre 1940. On sait cependant qu’il sera par la suite transféré à Fresnes et sera libéré le 9 décembre 1940.

Nous avons pu retracer les parcours de certains de ces étudiants incarcérés à la Santé après leur libération. En voici quelques exemples :

Marc Burgard est le fils du professeur Raymond Burgard, fondateur du mouvement de Résistance Valmy, décapité à Cologne le 15 juin 1944. Il rejoint la résistance organisée en février 1943. Membre du réseau Samson à partir d’avril 1944 (agent P2 le 1er juin), il souscrit un engagement volontaire en novembre 1944 et est muté à la Première Armée avec le grade d’aspirant (5e régiment de chasseurs d’Afrique).

Maurice Carmé, quant à lui, rejoint le service de renseignements du MLN en mars 1944 puis organise, en mai 1944, un centre de commandement en lien avec le colonel Lizé. En août 1944, il intègre l’état-major FFI du département de la Seine et prend part aux combats pour la libération de Paris.

Après avoir rejoint les FTP fin 1943, René Chuzeville devient chef de détachement à la formation du maquis de Saint-Lhomer (Loir-et-Cher). Il signe le 19 septembre 1944 un engagement volontaire au 2e bataillon de marche du Loir-et-Cher où il est affecté comme commandant de compagnie avec le grade de lieutenant FFI. Avec cette unité, il prend part à la campagne des poches de l'Atlantique.

Francis Raymond Faivre poursuit ses études de commerce et de droit jusqu’en juillet 1943 date à laquelle il est requis au titre du STO. C’est alors qu’il décide de passer dans la clandestinité dans les Côtes du Nord. Il entre en relation avec le maquis FTP de Plaintel puis, en janvier 1944, rejoint le réseau Kasanga, service de renseignements du MLN. Il en devient le responsable pour les Côtes du Nord. Fin juillet 1944, il rejoint les FFI et prend part à différents coups de main dont la libération des prisonniers politiques de la prison de Saint-Brieuc. Le 25 août 1944, il s’engage dans la 2e DB au sein du 1er régiment de marche de spahis marocains et poursuit les combats en Lorraine, dans les Vosges, à Royan puis en Allemagne. Parmi les parcours étudiés, il est seul à mentionner sa participation à la manifestation du 11 novembre 1940 dans son résumé de ses activités résistantes. Francis Faivre est titulaire de la médaille de la Résistance française. Le motif de proposition mentionne « Jeune étudiant patriote subit dès 1940 la répression allemande pour des manifestations gaullistes » et l’exposé des faits « Dès 1940, Faivre, alors étudiant, participe à diverses manifestations qui lui valent l’arrestation et un mois de détention à la prison de la Santé. »

Après sa libération de Fresnes, Pierre Lefranc milite en zone libre au sein du mouvement Liberté. Évadé de France par l'Espagne en novembre 1942, il parvient à Londres le 6 juin 1943 après six mois d'incarcération dans les geôles franquistes. Après avoir reçu une formation militaire, il est parachuté, comme sous-lieutenant, dans l’Indre dans la nuit du 24 au 25 aout 1944 pour la mission « Tilleul » sous le pseudonyme d’Arteriole. Par la suite, il prend part aux campagnes de France et d'Allemagne. Membre actif du RPF entre 1947 et 1951, il reprend du service auprès du général de Gaulle à partir de 1958, notamment à la présidence du Conseil puis à la présidence de la République. Au début des années 1970, il préside à la création de l'Institut Charles-de-Gaulle. Pierre Lefranc a reçu la médaille de la Résistance française par décret du 14 juin 1946. Le mémoire de proposition mentionne « a été blessé au cours d’une bagarre avec des soldats allemands à Paris le 11 novembre 1940 », il n’y ai fait aucune mention de la manifestation étudiante.

En 1941, Didier Rémon rejoint le groupe de résistance en cours de constitution autour de Robert et Gaston Halewyck dans le secteur d'Adainville (Seine-et-Oise). Ce groupe rejoindra par la suite le réseau Jean-Marie du SOE. Au lendemain du Débarquement, il rejoint le maquis de l'Isle-Adam.

Alain Tillette de Clermont Tonnerre rejoint le groupe des Volontaires de la Liberté en mai 1941. A Paris puis en Bretagne, il contribue au recueil de renseignements militaires et à la diffusion de la presse clandestine. Coupé du mouvement après l’arrestation de Jacques Lusseyran, il tente de rejoindre la France libre et se fait arrêté près de Perpignan en août 1943. Déporté à Buchenwald en septembre 1943 puis transféré à Mittelbau, il est libéré par les Alliés le 15 avril 1945 à Bergen-Belsen.

Bien que n’ayant pas de services homologués dans la Résistance, Jacques Tison a servi dans le groupe FFI de Saint-Maur à compter du 18 août 1944 et a notamment participé au combat du pont de Joinville le 25 août 1944. 


Fabrice Bourrée

Sources :
Archives départementales de Paris, 1807 W 136
Service historique de la Défense, GR 16 P 97 700 (Marc Burgard), 16 P 107 288 (Maurice Carmé), 16 P 130 11 (René Chuzeville), 214 914 (Maurice Faivre), 504 408 (Didier Rémon), 16 P 571 481 (Alain Tillette de Clermont Tonnerre), 16 P 572 100 (Jacques Tison). AN 72 AJ tém Baudoin.
Ordre de la Libération, archives de la Commission nationale de la médaille de la Résistance française.