Adrien Gensburger
Légende :
Adrien Gensburger, Rosette Donoff et Monique Hamel s'occupant des vaches à la ferme des Eclaireurs Israélites de France de Lautrec (Tarn), 1942-1943.
Genre : Image
Type : Photographie
Source : © Mémorial de la Shoah / Coll. Pierre Kauffmann Droits réservés
Détails techniques :
Photographie analogique en noir et blanc
Date document : 1942-1943
Lieu : France - Occitanie (Midi-Pyrénées) - Tarn - Lautrec
Contexte historique
Issu d’une famille juive pratiquante, Adrien Gensburger naît à Mulhouse le 26 février 1916.Il ne devient Français qu’après la réintégration de l'Alsace à la France en 1919. Il suit un cursus scolaire classique et obtient son baccalauréat en 1933. Porté par un fort idéal sioniste, il veut être utile à la construction d'un futur Etat juif et s'inscrit à l'Institut Agricole de Nancy en 1935. Elève brillant, il obtient un diplôme d'ingénieur agricole. Parallèlement, il entre dans le mouvement scout dès 1926 au sein des Eclaireurs Unionistes de France, puis il intègre le groupe des Eclaireurs Israélites de France en 1928 lorsqu’un groupe est créé à Mulhouse. Totémisé "Ourson Noir", il gravit rapidement les échelons et devient chef de troupe jusqu'en octobre 1936 lorsqu’il part au 6e bataillon de chasseurs alpins (6e BCA) pour y effectuer son service militaire.
Début 1939, Robert Gamzon (Castor) qui aspire à amener les EIF au travail de la terre lui demande de prendre la direction d'un groupe agricole EI qui vient d’être créé près de Saumur. Adrien Gensburger accepte immédiatement mais doit rapidement renoncer. Il est en effet rappelé au sein de son ancien régiment en mars 1939 à la suite de l'entrée des troupes allemandes dans Prague, puis est mobilisé dès le déclenchement de la guerre.
Fait prisonnier le 14 juin 1940, il est envoyé en Allemagne, au stalag VB, pendant près d’un an avant d’être libéré au printemps 1941 en tant qu’Allemand (Alsacien), malgré son nom à consonance juive (son dossier SHD mentionne une évasion le 2 mai 1941 et une démobilisation à Annecy le 30 mai 1941). Il se rend à Lautrec où Castor a organisé, depuis novembre 1940, un chantier rural EI qui sert également de planques pour des jeunes juifs étrangers visés par la "Loi sur les ressortissants étrangers de race juive" du 4 octobre 1940. Le travail aux champs et les conditions de vie sont durs mais la plupart des garçons travaille avec enthousiasme. L'atmosphère à Lautrec est joyeuse et dynamique notamment grâce à la présence de Léo Cohn. Les jeunes "défricheurs" (nom que se sont donnés les apprentis agriculteurs) profitent d'une ambiance chaleureuse et spirituelle alors qu'à l'extérieur beaucoup risquent l'arrestation.
A l'été 1941, Castor demande à Adrien Gensburger de prendre la direction logistique du chantier rural de Lautrec. Il est chargé de veiller au bon déroulement des activités agricoles : défrichage, plantage, moisson, récolte… Il occupe cette fonction pendant deux ans avant la dispersion du chantier à l'été 1943. Robert Gamzon demande alors aux "défricheurs" les plus âgés de rejoindre la Résistance.
Le 16 décembre 1943, Adrien Gensburger et sept camarades créent un maquis spécifiquement EI dans une petite ferme située au lieu-dit "la Malquière" dans le massif du Sidobre, au nord-est de Castres. Nommé sous-lieutenant en avril 1944, il prend le commandement du cantonnement dit de "Lacado", lorsque le maquis est réparti sur deux lieux différents. En juin 1944, "Lacado" compte 38 maquisards (dont deux officiers) tous Juifs.
Robert Gamzon prend la tête du maquis EI en tant que lieutenant, son grade dans l'armée française, sous le pseudonyme de Lagnès. Il décide le 11 juin 1944 de lui donner le nom de "Compagnie Marc Haguenau" en mémoire de son ami et ancien secrétaire général des EIF, qui s’est suicidé après son arrestation par la Gestapo, en février 1944. La compagnie a notamment la charge de la réception des parachutages. Mais ceux-ci sont trop nombreux, le maquis est repéré et attaqué par les Allemands dans la nuit du 7 août. Prévenu de l’attaque du terrain de parachutages, Adrien Gensburger ordonne l’évacuation de son cantonnement peu avant l’arrivée des troupes allemandes qui pilonnent "Lacado" avant de mettre le feu à la ferme. Le bilan est très lourd, six maquisards dont trois EIF, Roger Godschaux, Raphaël Horowitz, le lieutenant Gilbert Bloch, ont été tués au cours de l’attaque.
Le 19 août, le maquis attaque à son tour une compagnie allemande de DCA qui tente de rejoindre Castres en train. Les échanges de tirs durent toute la nuit, avant la reddition du commandant allemand devant Adrien Gensburger et ses hommes criant "ich bin jude" (je suis Juif). Deux jours plus tard, la Compagnie Marc Haguenau entre triomphalement dans Castres, libérée de l'occupation allemande.
Après cet épisode, Adrien Gensburger s’engage au sein du 12e régiment de Dragons de reconnaissance (12e RDR) du commandant Dunoyer de Segonzac et rejoint la 1ère Armée française à Dijon. Son unité participe notamment à des combats très durs dans les Vosges et franchit le Rhin fin avril. La victoire est célébrée le 8 mai 1945 sur les rives du lac de Constance. Maîtrisant parfaitement l’Allemand, Adrien Gensburger se voit confier un rôle au contact de la population civile. Il doit réorganiser les habitations et cantonnements et procéder au remplacement des maires nazis encore en poste.
Il rentre chez lui à Mulhouse après sa démobilisation en décembre 1945 mais ne souhaite pas quitter définitivement le mouvement et l'idéal EI. A 29 ans, il décide d'y rester actif et dirige une propriété agricole créée en 1949 pour préparer des jeunes juifs français à l’émigration dans le nouvel Etat d’Israël. Il y reste six ans puis, à la suite à l'échec du projet et par désir de changement, décide de quitter cette fonction et d'entrer dans l'administration agricole. Il y travaille jusqu'à sa retraite.
Cité à l’ordre de la brigade le 10 octobre 1944 ("Sous-lieutenant à la 2e Cie du secteur de Vabre. Jeune officier depuis de longs mois au maquis, a fait de sa troupe ue unité d’élite qu’il a remarquablement entraînée au combat"), Adrien Gensburger est décoré de la médaille de la Résistance française par décret du 24 avril 1946.
Adrien Gensburger est décédé le 15 décembre 2009 à Belfort.
Auteur : Mathias Orjekh
Bibliographie :
Mathias Orjekh, Du scoutisme juif à la Résistance : un même engagement. Quelques figures d’un même itinéraire, Mémoire de Maîtrise (sous la Direction de Madame Danielle DELMAIRE), 2001 - disponible en ligne.
Adrien Gensburger, "Les EI au maquis", in Revue d’Histoire de la Shoah, Centre de Documentation Juive Contemporaine, sept-déc 1997, n° 161, pages 74 à 79.