Analyse média

Le document présenté ici est le rapport de sortie du Halifax LW 272 du 624th squadron dans la nuit du 7 au 8 août 1944. L'appareil, piloté par le wing commander Dowding et comprenant six membres d'équipage, décolle de l'aérodrome de Blida en Algérie le 7 août à 22h50. Après avoir longé les côtes françaises, il arrive sur la zone de largage, le terrain "Virgule" à 2h17. Le comité de réception ayant correctement émis son signal lumineux, l'appareil fait un premier passage et largue 15 containers (3300 livres soit près d'1,5 tonne de matériel)). Le second passage effectué à 2h42 permet de parachuter 4 agents ; le rapport mentionne que tous les parachutes se sont bien ouverts. Enfin, à 2h46, un troisème passage au-dessus du terrain permet de larguer 5 paquets (500 livres soit environ 220 kilos). A 2h49, le Halifax quitte la zone et est de retour à Blida à 6h40. L'opération aérienne a duré 7 heures et 50 minutes.

Contexte historique

Situé sur la commune de Viane, près de Lacaune, le terrain Virgule succède au terrain Chénier situé à Saint-Saury dans le Cantal. C’est le 26 avril 1944, qu’Henri Guillemin, "Pacha", chef régional SAP (Service d'atterrissages et de parachutages) de la région R4, demande l’homologation de ce nouveau terrain. Il est homologué par le câble n° 73 du 4 juin 1944 sous le code : "homo 294 Virgule 83 1101 8984 56 N.E Vabre 3 homo 45 arma" et avec pour fonction de desservir le PC du délégué militaire régional.

“homo” : le terrain est homologué à recevoir des hommes (et des armes)
“294 virgule” : il porte le n° 294 et le code Virgule
“83” : il se trouve sur la carte routière Michelin n° 83
“1101” : sa longitude est à 11 mm à l’est du méridien 0,1 g
“8984” : sa latitude est à 89 mm au nord du parallèle 48,4 g
“56 N.E Vabre” : il est situé à 56 mn au nord-est de Vabre
“3 homo 45 arma” : il peut recevoir 3 hommes et 45 containers

La surveillance du terrain et la réception des parachutages sont confiées à la 2e compagnie du CFL 10, qui prendra le nom de compagnie Marc Haguenau peu de temps après.

Jusqu’à la mi-juin, "Pacha" multiplie les câbles demandant une priorité absolue sur ce terrain pour armer le secteur. Le 12 juin, il signale qu’en raison de l’impossibilité d’utiliser le terrain Chénier, les agents devant prendre contact avec le DMR, Bernard Schlumberger, "Droite", doivent être parachutés sur Virgule. Son câble du 13 juin 1944 montre l’insuffisance des moyens en armement : "Par suite impossibilité transport suis sans aucune arme larguez par priorité sur Virgule top augmentez partout parachutages fin semaine pourrons plus garantir maintien plan vert faute explosifs.»

Au cours du premier parachutage qui a lieu dans la nuit du 24 au 25 juin 1944, trois avions larguent 45 containers et 8 paquets. Le DMR accuse réception de ce parachutage par un câble du 27 juin 1944 : "Avons reçu trois avions sur Virgule nuit dernière plusieurs container en carton éclatés au sol tout Ok pouvez continuer" Henri Guillemin signale également le succès de l’opération aérienne le 17 juillet 1944.

Les archives de Guillemin et celles du BCRA mentionnent un second parachutage dans la nuit du 11 au 12 juillet 1944. Un avion largue 18 containers et 6 paquets.

Durant la nuit du 17 au 18 juillet 1944, un Halifax du 624th squadron de la Royal Air Force largue 15 containers, 12 paquets et deux hommes. Il s’agit de Raymond Antoinet, "Jésuite", et Sauveur Ceccaldi, "Vidame", parachutés en qualité d’adjoints au chef des opérations de la région R4. Le 21 juillet, un télégramme du DMR "Droite  annonce : "Avons reçu Vidame et Jésuite sur Virgule nuit du un sept au un huit … largage absolument impeccable vaut la peine être signalé. Ai prévenu Pacha qui viendra chercher les deux amis déçu n’avoir pas reçu matériel radio et argent". Le 25 juillet, "Pacha" annonce à Londres avoir "bien reçu sur Virgule deux adjoints Jésuite & Vidame. Sans même être averti de leur arrivée".

Le 22 juillet, Schlumberger est averti par télégramme de la prochaine arrivée d’un commando américain : "Prévoyons pour renforcer maquis Tarn en vue action sur voies de communication ennemies commando américain quinze hommes en uniforme parlant un peu français top section sera prête à partir vingt huit top en fonction cette mission indiquer terrain et mot de passe".

Dans la nuit du 29 au 30 juillet, un avion largue 14 containers, 10 paquets et parachute un opérateur radio, Gilbert de Cecco dont la mission est d’assurer la liaison radio entre le délégué militaire régional R4 et Alger.

Henri Guillermin signale un autre parachutage dans la nuit du 3 au 4 août mais dont le matériel aurait été pris par les Allemands. Nous n’avons trouvé aucune autre mention de cette opération.

Le 6 août, un message de la BBC annonce "De la chouette au merle blanc, 15 amis vous diront ce soir que le chargeur n'a que 20 balles". Les 15 hommes parachutés dans la nuit du 6 au 7 août 1944 composent l’operational group (OG) Pat de l’OSS ; il s’agit de : Conrad Lagueux (1st Lt), Michael Demarco (1st Lt), Joseph Vezina (T/Sgt), Robert Esquenazi (S/Sgt), Bernard Gautier (S/Sgt), August Kitchen (Sgt), Roland Cote, Herbert Shapiro, Harold Berger, James Fischer, Marcel Landry, Georges Maddock, Raymond Picard, Vincent Quercia et Robert Spaur. Ce groupe est l’une des treize équipes OSS parachutées dans le Sud de la France à l’été 1944 depuis l’Algérie. Les objectifs de la mission de l’OG Pat sont d’une part de couper les axes de communication et d'approvisionnement dans le triangle Toulouse - Bédarieux - Séverac, et d’autre part de coopérer à l’organisation et au renforcement des groupes de résistance. Après son parachutage, les hommes du commando sont dirigés à la ferme du Reclot, près du Rialet où est installé le PC du capitaine Coudert, commandant le Corps franc du Sidobre. Seul un membre, le staff-sergeant Robert Esquenazi, blessé en touchant le sol, est évacué sur Vabre et restera caché par la famille de Rouville. Le rapport de l’OG Pat souligne "The reception was excellent. The Maquis had good security around area. They had over 150 people there and took cars of getting our equipment. We were taking to the Maquis command post." 

Un nouveau parachutage est réceptionné sur le terrain Virgule dans la nuit du 7 au 8 août 1944 après diffusion du message "De la chouette au merle blanc, quatre amis vous diront ce soir que le chargeur n'a que 20 balles". Un Halifax du 624 Sqn piloté par le F/Sgt Dowding largue 15 containers d’armement lourd, 5 paquets et parachute trois agents du BCRA, Marcel Plagne ("Aile"), Jacques Dupré ("Mouette") et André Gaschet ("Grebe"), ainsi qu’un officier du Secret Intelligence Service britannique, le major Monröe Davies. Marcel Plagne est parachuté en qualité de délégué militaire départemental du Tarn, Jacques Dupré et André Gaschet en qualité d’opérateurs radio. 
Le rapport de mission du pilote conclut : "Stores were succesfully dropped on target. Agents succesfuly dropped". Ce qu’ignore le pilote, c’est que même si le parachutage en lui-même s’est bien déroulé, il n’en est pas de même au sol. En effet, le terrain est envahi par les Allemands peu de temps après le parachutage. Si les hommes sont saufs, tout le matériel est pris. Dans son rapport du 11 octobre 1944, Gaschet écrit : "La réception a manqué de sécurité du fait que trop de personnes en dehors de la Résistance étaient au courant du lieu et de la phrase de parachutage. Les Allemands sont arrivés sur le terrain quelques minutes après notre arrivée et tout le matériel de parachutage (radio, armes, effets personnels et une partie de mon argent) a été captive (les quartz radios furent sauvés). Le comité de réception ayant prévu notre arrivée, nous fûmes dirigés sur une maison aux environs de Vabre. Mais nous n’aurions pu travailler du fait de la perte de nos postes si des radios venant de Londres ne s’étaient pas trouvés à la maison sûre ; le travail fut assuré de cette manière." 
Le 8 novembre 1944, Dupré dresse le même constat : "Parachutés à deux heures du matin à côté de Vabre près de Castres. Les Allemands ont attaqué le terrain 15 minutes environ après notre atterrissage. Ils connaissaient la phrase radiodiffusée annonçant notre arrivée, tout le village connaissait également cette phrase "Le chargeur n’a que 20 balles". A notre arrivée, tout le village était présent sur le terrain. Je crois que le commandant chef de mission a fait une enquête sur cette indiscrétion. Un rapport a été envoyé immédiatement à Londres et à Alger sur ces faits. Il n’est rien arrivé de fâcheux aux parachutés mais le dépôt de matériel stocké sur le terrain a été pris par les Allemands. Représailles : ferme incendiée, quelques morts. Pris le maquis immédiatement à 14 kms du terrain d’atterrissage dans les montages, mission d’organisation et d’armement des maquis difficile à accomplir étant donné la prise de notre matériel."

Or, ce 8 août 1944, Londres informait le DMR, Bernard Schlumberger, que "Thibétain" (Maurice Deligne, opérateur radio), demandait "changement phrase Virgule top sommes d’accord top nouvelle phrase sera la courtisane est très aimable je dis la courtisane est très aimable top veuillez aviser comité réception et me faire connaître urgence que nécessaire a été fait."

Le 11 août, Schlumberger informe Londres : "Virgule est brûlé. Mission Aile perdu paquets et conteneurs. Aile indiquera nouveau terrain pour parachuter appareils et nouveaux codes". Le même jour, le BCRA reçoit un télégramme de Marcel Plagne : "Equipe AILE bien arrivée. Par suite occupation terrain par ennemi tous containers paquets effets postes plan travail codes entre mains allemands. Utilisez radio DMR avec lequel suis liaison. Préparez à envoyer sur terrain que nous indiquerons plan de travail codes postes effets personnels et tout matériel pour remplacer pris." Le 16 août, c’est Guillermin qui rappelle à Londres et Alger que Virgule est inutilisable. Le lendemain, un nouveau télégramme de "Droite" annonce : "Virgule repéré et attaqué par Allemands est actuellement impraticable top employez autres terrains en dehors secteur Vabre. Vous donnerai nom des terrains." 

Malgré ces avertissements répétés, une nouvelle opération aérienne est tentée dans la nuit du 17 au 18 août 1944. Elle se solde par un échec et entraîne la fureur du DMR "Droite" qui écrit dans un cable : "Proteste énergiquement contre répétition ce jour un sept août de l’ancienne phrase de parachutage Virgule top (…) votre cinq huit prévoyait émission phrase nouvelle top demande sanctions contre responsable top cette affaire risquant de nous couter très cher top".

L’attaque de La Roque, "Virgule" et Lacado, 8 août 1944

La compagnie Marc Haguenau