Dénonciation anonyme d'un professeur critique à l'égard du gouvernement et du maréchal Pétain
Légende :
Lettre anonyme d'un personne se présentant comme un mère d'élève et dénonçant un professeur d'histoire du lycée Thiers pour avoir critiqué le gouvernement et le maréchal Pétain
Genre : Image
Type : lettre anonyme
Source : © archives départementales des Bouches-du-Rhône, 76 W 115 Droits réservés
Date document : 12 octobre 1940
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
Le préfet des Bouches-du-Rhône reçoit en octobre 1940 une lettre anonyme qui tient à dénoncer les propos d'un enseignant du lycée Thiers, le professeur d'histoire-géographie, Eugène Bergougnoux. L'auteure justifie sa démarche en se présentant comme une patriote et une mère de famille. Elle tient à montrer son respect des autorités que ce soit le préfet doté d'une haute compétence et bien plus encore du maréchal Pétain, « notre chef qui a droit à toute notre vénération et notre reconnaissance ». Ce style est celui non seulement des maréchalistes et partisans de la Révolution nationale mais aussi de la presse en général. On peut cependant supposer que l'auteure de la lettre est particulièrement acquise au nouveau régime pour prendre la peine d'écrire au préfet en signant toutefois de façon à préserver son anonymat.
Les faits reprochés se seraient produits pendant un cours en classe de première. La lettre ne donne pas le détail des propos tenus par le professeur mais leur tonalité générale particulièrement acerbe. Pour parachever son œuvre corruptrice, l'enseignant aurait fait l'apologie du Front populaire.
Cette lettre présente les caractéristiques habituelles des lettres anonymes : obséquiosité vis à vis des autorités, proclamation de la pureté des intentions de l'auteur qui ne pense qu'à la patrie en effectuant cette dénonciation, mise en cause susceptible de valoir des sanctions à la personne incriminée et lâcheté en se garder se signer réellement la lettre.
Auteur : Sylvie Orsoni
Contexte historique
Dénoncer anonymement ou pas des enseignants aux autorités ne commence pas avec le régime de Vichy mais les discours et les lois du gouvernement du maréchal Pétain encouragent la délation. Les dénonciateurs se proclament de vrais Français, fidèles soutien du régime et soucieux de participer à l'oeuvre d'épuration frappant ceux qui incarnent l'Anti-France, juifs, communistes, syndicalistes, militants laïques, réfugiés étrangers ou autres au gré des obsessions des auteurs des lettres rarement signées.
Le préfet et l'inspecteur d'académie procèdent à une enquête. L'inspecteur d'académie rappelle les qualités professionnelles et l'absence d'engagement politique de M. Bergougnoux. Le commissaire, chef de la police spéciale, c'est à dire la police chargée de suivre les dossiers politiques rend compte au préfet des résultats de son enquête (voir album). D'un point de vue professionnel, Eugène Bergougnoux est un excellent enseignant. La police aurait interrogé quatre élèves de la classe de première citée dans la lettre. Aucun ne se souvient de propos injurieux ou critiques à l'égard du gouvernement. Les élèves en revanche ont gardé en mémoire un éloge du maréchal lors d'un cours précédent. Le commissaire conclut à un contre-sens lors d'une leçon portant sur une réforme envisagée par le gouvernement : « Dans un cours de rentrée M. Bergougnoux a lu et commenté à ses élèves un article du Temps qui traite de la division de la France en Province. M. Bergougnoux aurait terminé en concluant que le maréchal Pétain aurait beaucoup de mal à réaliser une aussi profonde transformation. » L'enseignant le plus chevronné peut produire dans l'esprit d'un élève des contre-sens de grande ampleur. Pour le commissaire, les accusations portées contre M. Bergougnoux sont sans fondement On peut cependant s'étonner de l'écart entre les témoignages des quatre élèves et le contenu de la lettre.
Inspecteur d'académie comme commissaire de la police spéciale tiennent à dresser un portrait particulièrement lénifiant de M. Bergougnoux.
Auteure : Sylvie Orsoni
Sources
Echinard Pierre, Orsoni Sylvie, Dragoni Marc, Le lycée Thiers, 200 ans d'histoire, Aix-en-Provence, Edisud, 2004.
Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi rouge, ombres et lumières, 2, Paris, Syllepse,2009.
Rapport du chef de la police spéciale au préfet des Bouches du Rhône, page 1, 15 novembre 1940
AD Bouches-du-Rhône 76 W 115
Dénonciation anonyme d'un professeurRapport du chef de la police spéciale au préfet des Bouches du Rhône, page 2, 15 novembre 1940
AD Bouches-du-Rhône 76 W 115