Rapport de l'inspecteur d'académie des Bouches-du-Rhône, novembre 1941
Légende :
Rapport mensuel de l'inspecteur d'académie des Bouches-du-Rhône au préfet régional, 29 novembre 1941
Genre : Image
Type : correspondance officielle
Source : © archives départementales des Bouches-du-Rhône, 76 W 48 Droits réservés
Date document : 29 novembre 1941
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
Le rapport de l'inspecteur d'académie pour le mois de novembre 1941 continue de dresser le tableau d'un corps enseignant loyal et dévoué au régime. L'inspecteur d'académie cite en exemple les cérémonies de « Salut au drapeau » organisées dans les écoles primaires en liaison avec la Légion des Combattants. On peut remarquer qu'il met à l'honneur exclusivement des directeurs d'écoles de garçons. Les enseignants qui avaient fait grève en particulier en novembre 1938 sont en passe d'être convertis comme en témoigne un instituteur de Saint Just qui a exécuté avec ses élèves un « Maréchal nous voilà » qui est resté dans les mémoires. L'inspecteur d'académie ne semblant pas avoir le sens de l'humour, il ne peut imaginer qu'un désir pervers de pousser jusqu'au ridicule un chant qui s'y prête a peut-être motivé l'enseignant ?
Les quelques maillons faibles sont signalés du côté de l'enseignement féminin. Une directrice d'école maternelle est sanctionnée pour avoir estimé que ses écoliers étaient encore trop jeunes pour comprendre le discours du maréchal Pétain. L'inspecteur d'académie considère qu'il y a un simple manque de jugement et non une prise de position politique, il sanctionne cependant la directrice. Les professeures du lycée d'Aix manifestent une regrettable « lassitude » devant les réformes. On peut imaginer la teneur réelle des propos en salle des professeurs. Elles ne sont cependant qu'une exception au milieu d'un concert d'approbation.
L'enseignement libre ne suscite pas d'inquiétude. Le maintien d'une inscription séditieuse sur les murs de l'école Villeneuve est à mettre sur le compte de la négligence puisque le fait avait été signalé à la police par l'enseignant qui l'avait constaté. L'inspecteur d'académie ne tient pas à s'interroger sur le double jeu possible de l'enseignant cité.
Parmi les réformes engagées par le régime, la promotion de l'éducation physique et sportive qui est confiée à une nouvelle catégorie d'enseignants : les Maîtres d'Education Générale. Le caractère flou de cette nouvelle discipline qui comprenait aussi des activités de découvertes et d'éveil ne décourage pas les enseignants du lycée Mignet d'Aix. Au lycée Longchamp de Marseille, une professeure est félicitée pour son zèle à enseigner à ses élèves « la valeur éternelle » de la devise Travail, Faille, Patrie et à enseigner aux filles leurs devoirs tels que l'entend le régime.
Dans son discours du 13 octobre 1941, le maréchal Pétain avait exhorté les écoliers à se montrer « francs et loyaux ». Des ligues de loyautés censées émanées spontanément des élèves devaient se créer dans les classes et adopter une charte de bonne conduite supposant l’autosurveillance et l'émulation des enfants. L'initiative a plus de succès semble-t-il dans les écoles primaires que dans les lycées puisque seul le lycée Saint Charles est mentionné. Cet établissement s'était déjà distingué dans l'organisation d'une des premières cérémonies de « Salut au drapeau » en janvier 1941
Auteure : Sylvie Orsoni
Contexte historique
Comme dans ces précédents rapports, l'inspecteur d'académie assure le préfet du bon comportement global des enseignants des Bouches-du-Rhône. Il minimise les incidents dans lesquels il refuse de voir des manifestations discrètes de contestation. Souci de protéger ses troupes ou de protéger son image de fonctionnaire zélé et efficace ?
Une approche genrée est perceptible dans ce rapport : aux hommes les félicitations aux femmes le manque de jugement, la réticence à se plier aux réformes. La politique du gouvernement à l'égard des femmes est évoquée : [Au lycée Longchamp] « les heures d'action morale ont été consacrées à des explications sur les nouvelles directives ministérielles … quel est le rôle des fillettes et des jeunes filles dans la vie actuelle. ». La Révolution nationale exalte la femme traditionnelle, épouse et mère dont la place est au foyer. L'enseignement féminin doit correspondre à cet objectif et rompre avec les réformes qui permettaient aux jeunes filles de bénéficier de la même formation et de prétendre aux mêmes emplois que les garçons. La loi du 11 octobre 1940 limite le travail féminin. Les programmes de mathématiques du secondaire sont allégés afin de ménager la fragilité supposée des jeunes filles. Ces principes et ces réformes rejoignent les revendications d'une grande partie de la droite et de l'extrême-droite largement diffusées dans la presse. Depuis les années 1920, les associations étudiantes réclamaient la limitation voire l'éviction des juifs, des étrangers et des femmes des facultés de droit et de médecine. L'Association générale des étudiants de Marseille (AGEM) exprime ce rejet qui lui semble tout naturel « Nous souhaiterions simplement que les femmes se spécialisent dans des professions déterminées, que les doctoresses, par exemple, ne pratiquent que la gynécologie et les maladies infantiles. Elles ont un rôle magnifique d'assistantes sociales. »
L'inspecteur d'académie soutient avec son zèle habituel cette orientation. Les jeunes filles, même titulaires du diplôme d'études primaires préparatoires (voir notice suppression des sections modernes dans les lycées) qui leur ouvrait les portes du lycée sont poussées vers les collèges et les sections professionnelles qui préparent « les jeunes filles à leur tâche de demain. La plupart d'entre elles ne seront ni secrétaires ni dactylos, mais de bonnes ménagères aimant leur foyer et sachant tenir leur maison. Dans l’œuvre de rénovation nationale, ce rôle n'est pas négligeable. »
Auteure : Sylvie Orsoni
Sources
Barreau Jean Michel, Vichy contre l'école de la République, Paris, Flammarion, 2000.
Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi rouge, ombres et lumières, 2, Paris, Syllepse, 2009.