Rapport mensuel de l'inspecteur d'académie des Bouches-du-Rhône, 23 janvier 1942

Légende :

L'inspecteur d'académie des Bouches-du-Rhône adresse au préfet régional son rapport pour le mois de mai 1942

Type : correspondance officielle

Source : © archives départementales des Bouches-du-Rhône, 76 W 48 Droits réservés

Date document : 23 janvier 1942

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

Le rapport de mai 1942 dresse, comme les précédents, un tableau étonnamment positif de l'état d'esprit des enseignants des Bouches-du-Rhône tout niveau confondu. Les instituteurs et institutrices qui avant-guerre étaient massivement syndiqués, souvent socialistes ou communistes, voire francs-maçons ont été touchés par la grâce et ont « laissé tomber leurs vieilles idées creuses et néfastes ». L'inspecteur d'académie met cette conversion sur le traumatisme de la défaite et ne doute pas de sa sincérité. Loyauté, déférence envers le gouvernement, splendide dévouement, l'inspecteur d'académie ne tarit pas d'éloges sur le comportement de ses troupes qui participent activement au culte du maréchal Pétain et au développement des ligues de loyauté, recommandées par le maréchal dans son adresse aux écoliers du 13 octobre 1941, ligues qui devaient être spontanées et à l'initiative des élèves. L'exemple le plus éclairant de cet état d'esprit réformé est l'organisation de l'arbre de Noël des écoles d'Allauch, établissements publics et privés se sont retrouvés dans les locaux du catéchisme catholique. La laïcité militante des enseignants des écoles publiques est bien loin.
Cette situation si politiquement correcte s'explique aussi par le zèle que l'inspecteur d'académie a mis pour épurer l'institution. Il souligne que d'avril 1941, date de son arrivée au 31 décembre 1941, il a prononcé 17 mesures disciplinaires dont deux mesures particulièrement graves : une révocation qui prive le fonctionnaire de ses droits à la retraite et une mise à la retraite d'office qui n'assure pas forcément une pension complète. Les déplacements d'office dans et hors département entraînent aussi des conséquences matérielles pour ceux qui en sont frappés.
Puisque l'épuration, grâce à son action énergique est pratiquement terminée, l'inspecteur d'académie défend deux enseignants du lycée Thiers mis en cause. Le premier a été victime d'un imbroglio provoqué par l'effondrement de l'armée française en juin 1940. Il est réintégré et lavé de toute accusation. Le cas du second, professeur d'allemand au lycée Thiers montre l'ambiguïté des pétainistes. Henri Pizard qui a été prié de faire une conférence sur le national-socialisme devant les cadres du secrétariat à la jeunesse est accusé « d’avoir critiqué cette doctrine et porté un jugement sévère sur le chancelier du Reich. » L'inspecteur d'académie défend cet enseignant jugé remarquable. Le délégué à la jeunesse et l'intendant de police, Rodellec du Porzic, de sensibilité Action française, considèrent que Henri Pizard n'est pas allé au-delà de la simple objectivité. On voit ici la distance qui sépare des pétainistes anti-allemands comme l'intendant de police et les collaborationnistes pro-nazis. Henri Pizard est membre du Comité des professeurs, organisation de résistance. Il est tué en août 1944 pendant les bombardements de la Libération.
Après avoir dressé le tableau d'un corps enseignant gagné à la Révolution nationale, l'Inspecteur d'académie ne voit pas de contradiction à pointer certaines défaillances. Les manuels en usage avaient été épurés. Une liste d'ouvrages interdits est publiée dès août 1940. La collection d’ouvrages d’histoire Mallet-Isaac est particulièrement visée. Jules Isaac, inspecteur général de l'Instruction publique a pris la suite de son collègue Albert Mallet, tué au combat en 1915, auteur d'une collection de manuels d'histoire très utilisée dans les établissements scolaires. La maison d'édition Hachette a imposé que le nom de Mallet continue de figurer pour atténuer le patronyme de l'auteur jugé trop juif et qui pouvait rebuter les établissements catholiques. Jules Isaac est révoqué en décembre 1940 en application du Statut des Juifs du 3 octobre 1940 et ses manuels d'histoire interdits. Abel Bonnard n'en cache pas la raison lorsqu'il s'exprime dans le journal collaborationniste Gringoire le 13 décembre 1942 : « Il n'était pas admissible que l'histoire de France soit enseignée aux jeunes Français par un Isaac. » De nouveaux manuels sont édités mais leur contenu reste trop proche des anciens. Jules Isaac d'ailleurs continue discrètement à collaborer aux nouvelles collections. L'inspecteur d'académie préfère expliquer le recours aux anciens manuels et aux valeurs qu'ils véhiculaient par « le goût de l'absolu-qui est une forme d'orgueil- [de] nos maîtres » plutôt que de reconnaître que les conversions politiques si vantées ne sont peut-être que la prudence. L'exemple du lycée Thiers pourrait cependant l'alerter : « les quelques professeurs qui pourraient être suspectés pour leurs opinions passées gardent le silence le plus complet sur les événements actuels et aucun fait précis ne peut leur être reproché. »

L'inspecteur d'académie ose quelques plaintes dans un style tellement obséquieux qu'il pourrait être interprété comme de l'insolence ou de l'humour par de mauvais esprits : « L'inspection académique est trop à l'étroit dans les locaux que vous avez la grande bonté, Monsieur le Préfet Régional, de lui réserver à la Préfecture, en particulier, mon Service du Ravitaillement qui a la lourde charge de nourrir 25 000 enfants étouffe dans une pièce minuscule. Ce service a le plus grand besoin d'une machine à écrire. » La mobilisation des inspecteurs primaires pour des tâches administratives et le manque de moyens matériels est également fortement déplorée.
Sous l'angle de la fréquentation scolaire en baisse, ce sont les difficultés matérielles de la population qui sont évoquées : manque de chaussures et manque de chauffage dans les classes amènent les parents à garder les enfants chez eux, la sous-alimentation ajoutée au froid laisse craindre des maladies.


Contexte historique

Lorsque l'inspecteur d'académie rédige son rapport la guerre est devenue mondiale après l'attaque de l'URSS en juin 1941 et l'entrée en guerre des Etats-Unis en décembre 1941. La Grande-Bretagne n'est plus isolée même si les forces de l'Axe triomphent sur les différents théâtres de guerre. La bataille d'Angleterre et ses bombardements intensifs sont largement rapportés par la presse locale. Le président du conseil, Pierre-Etienne Flandin, dépourvu de crédit, est en passe de céder la place à l'amiral Darlan. Les pénuries frappent durement les Marseillais qui n'ont pas la possibilité d'aller se ravitailler directement auprès des agriculteurs. Les cantines scolaires jouent un rôle important dans l'alimentation des jeunes, en particulier dans les quartiers les plus pauvres.
L'inspecteur d'académie continue cependant à produire des rapports dépeignant l'enracinement du régime dans les esprits. Auto-persuasion, flagornerie à l'égard d'une autorité supérieure ? Il est difficile de se prononcer tant certaines formules semblent outrancières. Le soutien apporté à Henri Pizard par l’inspecteur d'académie et l’intendant de police qui ne s'émeuvent pas des mesures d'exclusion frappant les communistes, les juifs et les francs-maçons et les appliquent sans faiblesse montre la complexité de la France de Vichy. Les maréchalistes, contrairement aux collaborationnistes pro-nazis, ne considèrent pas la collaboration d'Etat comme une fin en soi mais comme un moyen de préserver le pays. Une critique de l'Allemagne et de son chancelier est donc pour eux un exercice d'objectivité. Le préfet régional, Max Bonnafous, ancien socialiste, en poste depuis le 1er décembre 1941 peut entendre cette argumentation.


Auteure : Sylvie Orsoni

Sources
Echinard Pierre, Orsoni Sylvie, Dragoni Marc, Le lycée Thiers, 200 ans d'histoire, Aix-en-Provence, Edisud, 2004.
Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi rouge, ombres et lumières, 2, Paris, Syllepse, 2009.