Témoignage d'un élève juif sur sa scolarité pendant la guerre

Légende :

Témoignage de Robert Mizrahi, élève du lycée Thiers de 1942 à mars 1944 puis d'octobre 1944 à 1945, recueilli par Sylvie Orsoni et retranscrit

Type : témoignage

Source : © archives privées Sylvie Orsoni Droits réservés

Date document : Septembre 2002

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

En 2002, Robert Mizrahi, né le 27 novembre 1930, rédige un témoignage sur ses années de scolarité au lycée Thiers pendant la guerre afin de servir à un livre sur le lycée. Le document manuscrit a été retranscrit en enlevant simplement les passages qui concernaient les enseignants qu'il avait eu après la guerre lorsqu'il n'y avait pas de lien avec les événements historiques.

Jusqu'en janvier 1943, la scolarité de Robert Mizrahi semble se dérouler normalement. Évocation de professeurs tentés par l'innovation pédagogique, ou soucieux de laisser à la postérité un ouvrage sur la flore provençale pourtant peu susceptible d'encourir les foudres du gouvernement de Vichy, satisfaction de réussir le « rouleau californien » renvoient au registre des innocents souvenirs scolaires. Aucune mention d'antisémitisme de la part d'élève ou de professeurs. L'antisémitisme d’État en revanche entraîne un changement de manuels en histoire. Les ouvrages les plus utilisés dans les établissements scolaires étaient ceux de la collection Mallet et Isaac. Jules Issac qui avait pris la succession d'Albert Mallet, tué en 1915, (voire notice rapport de l'inspecteur d'académie, 23 01 1942) a été révoqué en vertu du Statut des Juifs du 3 octobre 1940. De Jérôme Carcopino, secrétaire d'État à l'Éducation nationale du 24 février 1941 au 18 avril 1942, Jules Isaac dit que de tous les ministres de l'Éducation nationale qui se sont succédé pendant la guerre, il fut « celui qui a mis au service de la Révolution nationale le tempérament le plus autoritaire et la poigne la plus rude. » Spécialiste reconnu de l'histoire romaine antique, il supervise la rédaction de nouveaux manuels pour supprimer ceux rédigés par un Juif dans un esprit républicain. Conformément à la loi du 15 août 1941 (voire notice suppression des sections modernes dans les lycées), le latin est obligatoire de la 6e à la 3e.

A partir de janvier 1943, les persécutions antisémites sont omniprésentes dans le quotidien de la famille Mizrahi sans que les adultes puissent cependant imaginer que c'est l'extermination qui attend les déportés juifs. La famille continue à vivre au grand jour. Robert Mizrahi n'indique pas que la clandestinité ait été envisagée. Lorsque le drame survient le 20 mars 1944, toute une filière se met en place pour sauver les enfants. Voisins, enseignants exfiltrent Robert, son frère et leur cousin vers Aurillac. L'administration à Marseille comme dans le Cantal participe au sauvetage en inscrivant les enfants sans demander de détails. Les familles d'accueil se révèlent remarquables de solidarité. Le retour est évoqué très sobrement. Il n'y a plus d'illusion à se faire en octobre 1945 sur le sort des parents de Robert et Edmond. Le propriétaire qui a gardé l'appartement des parents est salué. Le pillage et l’appropriation des appartements des juifs déportés étaient plutôt la règle. Le témoignage se clôt avec pudeur sur une fausse image de normalité : les deux aînés retrouvent leur lycée et le plus jeune son école primaire. Les seules souffrances évoquées sont celles d'un enseignant.


Auteure : Sylvie Orsoni

Contexte historique

Lorsque Robert Mizrahi commence son récit en octobre 1942, les Juifs sont victimes de persécutions et les déportations ont commencé. Le premier Statut des Juifs en date du 3 octobre 1940 chasse les Juifs de la fonction publique, le second, le 2 juin 1941 aggrave les interdictions professionnelles qui les frappent et étend la définition raciale qui les soumet à ce statut. Le même jour, une loi prescrit le recensement des Juifs tels qu'ils sont définis par le Statut. Il faut remettre à l'administration préfectorale du lieu de résidence une déclaration écrite indiquant l'état civil, la composition de la famille, la profession et l'état des biens possédés. Toute infraction est punie d'un emprisonnement d'un mois à un an de prison et/ou de 100 à 100 000 francs d'amende. Le préfet peut également prononcer l'internement dans un camp du contrevenant même s'il est français. La plupart des familles juives s'enregistrent par peur des sanctions et sans imaginer que cela les conduira au génocide. A partir de ces déclarations, l'administration française rédige des fichiers par noms et par rue. Lorsque les déportations commencent en zone sud en août 1942, les Juifs étrangers sont les premiers visés. Mais en janvier 1943 à la suite d'un attentat qui visa la commission germano-italienne à Marseille, Hitler décide de mettre en œuvre une décision déjà prise : raser les vieux quartiers de Marseille situés sur la rive nord du Vieux Port et déporter sa population vue comme un symbole de cosmopolitisme. René Bousquet, secrétaire général à la police de Vichy négocie avec le général Oberg une réduction du périmètre voué à la destruction et une déportation sélective des habitants. En échange, il accepte que des rafles de Juifs qu'ils soient étrangers ou français soient effectuées dans tous les quartiers de Marseille et spécialement dans le quartier de l'Opéra où habitaient de nombreuses familles juives. Le centre-ville est bouclé. Le quartier de la rive nord du Vieux-Port est vidé de ses habitants et sera plus tard dynamité. Plus de 2 500 personnes, hommes, femmes, enfants sont conduits à la prison des Baumettes. Le 24 janvier, un convoi de 1642 personnes dont la moitié sont juives quittent Marseille pour Compiègne. Les Juifs sont exterminés à Sobibor. René Bousquet pour affirmer la souveraineté française a obtenu que les opérations de police soient menées par la police française. Les rafles de juifs continuent par la suite pour Auschwitz via Drancy. Les parents de Robert Mizrahi sont transférés à Drancy le 08 avril 1944. L'inspecteur d'académie organise l'évacuation des petits Marseillais dont les familles acceptent de se séparer vers l'Auvergne jugée plus salubre. Les enfants Mizrahi sont inscrits sous leur vrai nom et bénéficient de la complicité tacite de l'administration. Ils prennent le risque de révéler les motifs de leur évacuation à leurs familles d'accueil qui se révèlent sûres. Tous les enfants juifs cachés pendant la guerre n'ont pas gardé des souvenirs aussi positifs de leur séjour. Continuer une scolarité exemplaire malgré les traumatismes revient comme un leitmotiv dans tout le témoignage de Robert Mizrahi comme si l'école demeurait le refuge ultime d'une enfance saccagée.

Robert Mizrahi présida le Comité français pour Yad Vashem de 1997 à 2013. Marqué par son histoire personnelle, il rechercha les personnes qui avaient caché ou aidé des Juifs pendant la guerre. Il remit 176 médailles de Justes parmi les Nations, souvent à titre posthume. Philippe et Joséphine Tête, Antoine et Henriette Laysbros furent reconnus Justes parmi les Nations en 1997 et 1999. La famille Bertrand le fut dès 1995.


Auteure : Sylvie Orsoni

Sources
Echinard Pierre, Orsoni Sylvie, Dragoni Marc, Le lycée Thiers, 200 ans d'histoire, Aix-en-Provence, Edisud, 2004.
Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi rouge, ombres et lumières, 2, Paris, Syllepse, 2009.
Mencherini Robert, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3, Paris, Syllepse, 2011.
Oppetit Christian( dir.) Marseille, Vichy et les nazis, le temps des rafles la déportation des juifs, Marseille, Amicale des déportés d'Auschwitz et de Haute-Silésie, 1993.