Evasion de Lucette Choisy du quartier de la salle des consignés de l’hôpital de la Conception à Marseille
Légende :
Bulletin hebdomadaire de renseignements du service régional des Renseignements généraux des Bouches-du-Rhône au préfet régional de Marseille de la semaine du 27 décembre 1943 au 2 janvier 1944
Type : Document administratif
Producteur : MUREL
Source : © Archives départementales des Bouches-du-Rhône Libre de droits
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
Chaque semaine les Renseignements généraux (RG) adressaient au préfet régional des Bouches-du-Rhône un bulletin de renseignements sur la situation dans la région qui comprenait le département du Gard, des Bouches-du-Rhône, du Vaucluse, du Var, des Alpes-Maritimes et des Basses-Alpes (aujourd’hui dénommé Alpes-de-Haute-Provence). Les pages de ce rapport ne sont numérotées qu’au début et la page présentée ici ne l’est pas. Le rapportest subdivisé en quatre parties. La première présente la réaction de l’opinion publique par rapport à la politique du gouvernement, la deuxième, l’activité des partis politiques, la troisième, la situation économique et la quatrième, les événements importants survenus au cours de la semaine. Dans cette dernière, se trouvent les informations diverses.
Le 28 décembre 1943 vers 14 heures, Lucette Vigne, l’épouse de Pierre Choisy, chef du mouvement Combat et de l’Armée secrète dans le Gard, s’évade de la salle des consignés de l’hôpital de la Conception à Marseille. Elle fut arrêtée le 25 octobre 1943 chez elle à Nîmes par la Gestapo qui réalisa ce jour-là un grand coup de filet en interpellant douze autres résistants en relation avec le mouvement Combat (neuf femmes et quatre hommes), tous déportés. Elle échappa à la déportation grâce à son évasion. Enceinte de six mois et demi, elle fut d’abord internée avec les autres femmes appréhendées le même jour qu’elle à la caserne Bruyère à Nîmes puis à la prison Saint-Pierre à Marseille au début du mois de novembre et enfin à la prison des Baumettes à la mi-novembre.A la fin de ce mois-là, à sept mois et demi de grossesse, elle fut transférée à la salle des consignés de l’hôpital de la Conception de Marseille. Quatremembres des Groupes francs dont le chef régional, Jean Garcin, vinrent la délivrer. Deux résistants, Lucien Schlienger et Pierre Chambel, détournèrent l’attention de l’agent de police comme l’indique le document et Lucette Choisy s’enfuit avec un troisième homme, Jean Garcin, non mentionné, dans une voiture conduite par Jean Picout. Elle avait été avertie du projet grâce à un aumônier résistant qui sous prétexte de la confesser lui donna des petits papiers cachés dans sa soutane et contenant toutes les instructions sur le plan projeté.
Marilyne Andréo
© Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 76 W 134. Droits réservés
Contexte historique
Lucette Vigne est née le 4 janvier 1920 à Alès. Elle est la fille de Zulma Duffour et d’Emile Vigne, employé de chemin de fer. Militante dans les Jeunesses socialistes dès l’âge de 15 ans, Lucette Vigne suivit l’engagement politique de ses parents, son père étant membre du parti socialiste. Elle entra à l’école normale de Nîmes en 1936 jusqu’en juillet 1939. Elle épousa le 15 février 1940 dans la préfecture gardoise Pierre Choisy, rencontré dans les Jeunesses socialistes. Ce couple de jeunes mariés fut rapidement séparé par la guerre, Pierre Choisy, mobilisé dans le 42ème régiment d’infanterie coloniale, dut repartir sur le front après sa permission. Il fut capturé par les Allemands. Son épouse obtint de ses nouvelles par l’intermédiaire d’un prisonnier évadé et elle parvint à passer en zone occupée puis en zone interdite pour le faire évader, ce qu’elle réussit. Le couple vivait au Grau-du-Roi où elle était institutrice et son mari, secrétaire général de mairie, avant d’être révoqué par le régime de Vichy pour son appartenance à la franc-maçonnerie. Depuis son retour de captivité, Pierre Choisy avait renoué le contact avec ses amis socialistes et il participa à la mise en place du mouvement Combat puis de l’Armée secrète dans le Gard. Il recruta sa femme Lucette comme agent de liaison et secrétaire, sa mère Andrée Choisy, veuve, sa belle-mère Zulma Vigne, veuve également, et des amis, Marcelle Saltet et sa soeur Augustine Donadille, les époux Encontre, Marcel et Jeanne, les époux Toutin, Auguste et Blanche, et leur fille Marthe, et Mathilde Philippe. Après le départ du chef départemental de Combat, Albert Thomas, de Nîmes en mai 1943 et l’intérim assuré par le docteur Jean Bastide, Pierre Choisy reprit la direction du mouvement. Il cumula les fonctions de chef départemental de Combat et de l’Armée secrète. En congé de maternité, Lucette s’installa avec son mari dans leur maison de Nîmes. Averti d’une arrestation imminente le 22 octobre 1943 par les services du NAP (Noyautage des Administrations publiques), il prit la fuite pensant que sa femme ne serait pas inquiétée. Il alla à Lyon où il devint l’adjoint du colonel Robert Aron « Brunetière » de l’état-major du 2ème bureau de l’Armée secrète puis il fut l’adjoint au chef de réseau Brick dans la région parisienne. A la suite d’une dénonciation, la Gestapo réalisa un coup de filet assez impressionnant le 25 octobre 1943 lorsqu’elle arrêta treize personnes, membres du mouvement ou en relation avec lui, les neuf femmes citées ci-dessus dont Lucette Choisymais aussi Auguste Toutin Louis François,chef de l’AS dans l’arrondissement d’Alès et deux radios André Guyot et Georges Ledoux. Lucette Choisy était alors enceinte de six mois et demi.
Après son évasion, elle se cacha à Marseille pendant quinze jours. Munie de faux papiers, décolorée en blonde, elle partit en train pour Lyon avec son mari qui était venu la chercher à Marseille. Elle crut reconnaître un agent de la Gestapo qu’elle avait vu lorsqu’elle était en prison. La peur lui provoqua des contractions. Accoucher dans le train n’aurait pas été très discret pour une fugitive. Lucette et Pierre Choisy descendirent en gare d’Avignon et ils se rendirent chez un ami d’enfance de Pierre Choisy, LouisMalarte, dentiste et résistant lui aussi. Pierre Choisy lui confia sa femme et il prit le train suivant pour regagner Lyon où ses hautes responsabilités dans la Résistance le réclamaient. Dans la nuit, Louis Malarte trouva une clinique pour l’accouchement. Jean Garcin vint la chercher pour la conduire à la clinique. Sous une fausse identité, Odette Audemard, née à Sommières, accoucha à Avignon le 17 janvier 1944. La naissance de son fils, Pierre-Luc Audemard, fut enregistrée à l’état-civil comme né de père inconnu et d’Odette Audemard. Elle le prénomma ainsi en hommage aux deux jeunes résistants, Pierre et Lucien, qui l’avaient aidée à s’échapper de l’hôpital de la Conception et qui avaient été arrêtés. Avec la complicité du maire de Bragassargues dans le Gard, un acte de naissance avec sa vraie identité a été enregistré alors qu’elle n’y avait pas accouché, mais assurant une vraie identité pour son enfant après la guerre. Toujours en fuite, elle se réfugia dans différentes localités du Vaucluse, à Velleron, à Saint-Didier pendant plusieurs mois chez Marceau Lazare, à Monteux, à Ruoms dans l’Ardèche avant de retourner à Monteux jusqu’à la Libération. Elle retrouva son mari en septembre 1944, même si elle avait pu le revoir entre-temps. Ils s’installèrent à Marseille où Pierre Choisy travailla à la Préfecture avant de partir à Douala au Cameroun où sa femme le rejoignit par la suite. Ils divorcèrent le 12 mars 1953 à Douala et Lucette Vigne resta vivre au Cameroun. Elle se remaria le 2 juillet 1956 à Marseille, mit au monde un deuxième enfant et divorça à nouveau en juillet 1958. Pierre Choisy décéda en 1972. Lucette Vigne prit sa retraite d’institutrice en 1975. Elle se retira à Sausset-les-Pins puis à Nîmes. Elle participa activement à la transmission de la mémoire de la Résistance en allant témoigner dans les établissements scolaires. Elle est décédée le 9 juillet 2014 à Nîmes, elle repose au cimetière du Pont de Justice à Nîmes.
Marilyne Andréo
Sources
76 W 134, AD Bouches-du-Rhône, Bulletins hebdomadaires de renseignements du service régional des renseignements généraux (décembre 1943-mars 1944).
DAVCC Caen, dossier d’interné résistant de Lucette Vigne.
1 446 W 22, AD Gard, Dossier de demande de la carte de CVR de Lucette Choisy, née Vigne.
21 P 660 083, DAVCC Caen, dossier de déporté résistant de Pierre Chambel.
DAVCC Caen, dossier de déporté résistant de Lucien Schlienger.
2 159 W 357, AD Bouches-du-Rhône, Dossier de demande de la carte de CVR de Jean Picout.
Entretien avec Lucette Vigne réalisé à Nîmes le 31 octobre 2012, elle avait alors 92 ans.
Jean Garcin, Nous étions des terroristes, Avignon, Barthélémy, 1996, p.108-111.
Robert Mencherini, Résistance et Occupation (1940-1944), Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3, Paris, Syllepse, 2011.
Fabrice Sugier, « Une famille gagnée à la Résistance : Vigne Lucette, Vigne Zulma, Choisy Andrée » in AERI, La Résistance dans le Gard, CD-Rom, 2009.
Fabrice Sugier, « Choisy Pierre (1911-1972) », in AERI, La Résistance dans le Gard, CD-Rom, 2009.