Le procureur d'Aix-en-Provence ne sait que faire des indésirables qu'il fait écrouer. 10 juillet 1940.
Légende :
Lettre du procureur de la République d'Aix-en-Provence au préfet des Bouches-du-Rhône au sujet d'étrangers arrêtés. 10 juillet 1940, 76 W 105.
Type : correspondance administrative
Producteur : MUREL PACA
Source : © archives départementales des Bouches-du-Rhône, 76 W 105 Droits réservés
Détails techniques :
Dans cette lettre
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
Dans cette lettre au préfet des Bouches-du-Rhône, le procureur de la République reconnaît avoir fait écrouer des « indésirables » pour des « délits qui, en réalité, ne sont pas caractérisés. » On peut remarquer que le terme « indésirables » vient spontanément sous la plume du magistrat. C'est en juillet 1940 une catégorie administrative. Ces indésirables sont des Autrichiens déjà internés précédemment dans des camps pour ressortissants du Reich et qui ont mis à profit la débâcle et le repli des camps vers le sud de la France pour s'échapper. Le procureur n'envisage pas que ces Autrichiens puissent être des réfugiés politiques ayant obtenu l'asile en France. Il ne saurait être question qu'ils divaguent librement en France. En même temps, ils ne correspondent pas au public destiné à être incarcéré. Le procureur voudrait les transmettre au commandant du camp des Milles qui a pour vocation depuis la déclaration de guerre de septembre 1939 d'accueillir les ressortissants du Reich. Le commandant du camp n'ayant pas reçu d'instructions refuse ces nouveaux venus. Le procureur demande donc au préfet de faire entendre raison aux autorités militaires afin que les prisons aixoises soient déchargées de leurs « indésirables ». La remise en liberté n'est pas envisagée ni sans doute imaginable par le magistrat.
Ce document montre comment l'administration française a intégré et mis en œuvre les mesures d'exclusion et d'internement.
Sylvie Orsoni
Contexte historique
Depuis le 12 novembre 1938, un décret-loi permet l'internement d'étrangers dans des centres d'internement. Le ministre de l'Intérieur, Albert Sarraut, appelle les préfets à « mener une action méthodique, énergique et prompte afin de débarrasser le pays des éléments indésirables. » Le terme devient une catégorie administrative Le décret-loi Daladier du 18 novembre 1939 ajoute les Français « suspects au point de vue national et politique ». De multiples camps d'internement s'ouvrent en France. L'invasion de la Belgique amène l’internement systématique des ressortissants du Reich, y compris les réfugiés politiques fuyant le nazisme qui a étendu son emprise sur l'Autriche et la Tchécoslovaquie. Les événements militaires entraînent le repli vers le sud des camps menacés par l'avance allemande. Certains internés mettent à profit le chaos pour tenter de retrouver la liberté.
Le camp des Milles, ouvert en septembre 1939 dans une ancienne tuilerie située près d'Aix-en-Provence fonctionne comme un centre de rassemblement pour les ressortissants du Reich de la XVe région militaire. Il est placé sous l'autorité du ministère de la Défense. La débâcle amène un afflux d'internés. A l'été 1940, le camp concentre entre 1 000 et 3 500 internés dans des conditions extrêmement précaires. Le commandant du camp n'aspire pas à recevoir des contingents supplémentaires.
Les archives détiennent de nombreux documents qui montrent l'application, voire le zèle des fonctionnaires à maintenir l’internement des « indésirables ». La note adressée en avril 1941par le directeur des services de police, Maurice de Rodellec du Porzic (voir album), est significative et montre l'univers kafkaïen dans lequel était plongé les internés : « un certain nombre ont été internés à la suite d'une mesure de mise en liberté provisoire par le juge d'instruction. » Un non-lieu ultérieur semble conforter la libération de ces personnes mais pour Maurice de Rodellec du Porzic, cela suscite une enquête « sur l'opportunité du maintien en détention. » On voit la difficulté de ce haut fonctionnaire de police à admettre une décision de la Justice lorsqu'elle est favorable aux internés.
Sylvie Orsoni
Sources
Les camps en Provence ; exil, internement, déportation, 1933-1944, Aix-en-Provence, Alinéa, 1984.
Grynberg Anne, Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, La Découverte/Poche, Paris, 1999.
Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.
Mencherini Robert, De la galaxie des Milles aux rafles de juifs en Provence, in Provence-Auschwitz. De l'internement des étrangers à la déportation des Juifs, 1939-1944 (dir. Robert Mencherini),collection Le temps de l'Histoire, P.U.P., Aix-en Provence, 2007.