Afflux de réfugiés étrangers à Marseille, 12 septembre 1940
Type : correspondance administrative
Producteur : MUREL PACA
Source : © Archives des Bouches-du-Rhône, 76 W 185 Droits réservés
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
Le commissaire chef du service de la Surveillance du Territoire à Marseille fait le point le 12 septembre 1940 sur la situation des étrangers dans le département des Bouches-du-Rhône. Ceux-ci sont soumis à des contrôles fréquents qui peuvent les conduire à être retenus dans des centres de « criblage » comme celui de la caserne Percy à Marseille. Après examen de leur situation, ils sont libérés ou envoyés dans des camps d'internement. Les services de police ne relâchent jamais leur surveillance sur cette population jugée suspecte. Le rapport montre une volonté de contrôle et se félicite que la législation permette d'envoyer dans des camps d'internement un grand nombre de réfugiés étrangers.
L'antisémitisme est perceptible dans le quatrième paragraphe. Tous les réfugiés juifs sont rassemblés sous le terme « d'élément juif ». L'individualité s’efface et l'on retrouve le thème du Juif complotiste et subversif.
Ces étrangers qui convergent sur Marseille, ne respectent pas les lois : « Trop peu nombreux sont ceux ne sollicitant pas l'autorisation préfectorale pour fixer leur résidence dans les Bouches-du-Rhône. » Le commissaire spécial regrette la légèreté avec laquelle sont accordés les sauf-conduits qui permettent à tous ces indésirables de gagner Marseille. Une mention manuscrite au crayon en marge du dernier paragraphe approuve ces remarques qui ne témoignent d'aucune bienveillance à l'égard des réfugiés étrangers.
Cette note est révélatrice de l'attitude de responsables de la police qui ont bien intégré antisémitisme et xénophobie.
Sylvie Orsoni
Contexte historique
Dès la désignation d'Hitler au poste de chancelier, environ 25 000 Allemands, dont deux tiers de Juifs cherchent refuge en France. Le gouvernement Chautemps décide d'ouvrir les frontières à ces réfugiés et d'accorder des visas « dans l'esprit le plus large et le plus libéral ». Ceux qui se présentent sans visa aux frontières reçoivent un sauf-conduit mais il leur faut ensuite régulariser leur situation. Très vite, dès octobre 1933, des mesures restrictives se mettent en place, en particulier à l'égard des Juifs A partir de 1935, il devient de plus en plus difficile aux émigrés allemands d'entrer légalement en France. L'expansion du Reich entraîne un accroissement des réfugiés et une législation de plus en plus restrictive à leur égard (voir notice loi permettant l'internement sans jugement des « individus dangereux pour la défense nationale et la sécurité publique »). Lorsque l'exode précipite des milliers de Français et d'étrangers vers la zone sud, la législation permet d'interner, d'assigner à résidence, les étrangers jugés indésirables. Les Bouches-du-Rhône voient affluer dès la fin juillet 1940 entre 15 000 et 11 000 personnes. Marseille, plus grand port de la zone sud, doté de nombreux consulats et de compagnies de navigation est particulièrement attractive. Les possibilités de séjour clandestin sont aussi plus faciles dans une grande métropole. Si à la fin août, un certain nombre de Français et de Belges regagnent leurs foyers ou tout au moins quittent le département, il n'en ait pas de même pour les réfugiés les plus menacés par le régime nazi. Ce sont ceux précisément que les autorités de la IIIe République finissante et avec encore plus de vigueur celles de Vichy considèrent comme « indésirables ».
Les services de police, en particulier la Sûreté, et la Surveillance du Territoire procèdent aux arrestations et à l’envoi dans un centre de criblage comme celui de la caserne Percy ou celui du Brébant marseillais. Ce sont des centres fermés (voir notice « rapport d'un médecin sur l'état sanitaire du centre de criblage du Brébant »). Le Service des étrangers décide de la libération, de l'assignation à résidence ou de l'internement des intéressés. Robert Mencherini évalue à 598 le nombre d'étrangers libérés après être passés par la caserne Percy entre le 12 septembre et le 7 octobre 1940. 221 ont été envoyés en camp d'internement de la zone sud. Les réfugiés ressortissants du Reich sont particulièrement menacés. L'article 19 de la convention d'armistice du 22 juin 1940 enjoint aux autorités françaises de livrer aux autorités allemandes les réfugiés dont elles fourniraient la liste. Cette négation du droit d'asile provoque le désespoir des émigrés politiques et juifs originaires du Reich. Ils essaient d'échapper aux contrôles et de vivre clandestinement à Marseille avant de chercher à fuir le pays ou à gagner des refuges plus sûrs. Ils constituent cette population flottante en situation irrégulière stigmatisée par le commissaire spécial.
Cassis, comme de nombreuses localités de la côte varoise (Saint Cyr, Six-fours, Sanary) avait été choisi comme lieu d'exil par de très nombreux artistes ou militants politiques de la Mittel Europa. Les services de police opèrent donc également dans ces lieux des arrestations.
Sylvie Orsoni
Sources
Les camps en Provence ; exil, internement, déportation, 1933-1944, Aix-en-Provence, Alinéa, 1984.
Grynberg Anne, Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, La Découverte/Poche, Paris, 1999.
Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.
Mencherini Robert, De la galaxie des Milles aux rafles de juifs en Provence, in Provence-Auschwitz. De l'internement des étrangers à la déportation des Juifs, 1939-1944 (dir. Robert Mencherini),collection Le temps de l'Histoire, P.U.P., Aix-en Provence, 2007.
Peschanski Denis, La France des camps. L'internement 1938-1946. Editions Gallimard, Paris, 2002.
Seghers Anna, Transit, Paris, la Bibliothèque française, réed. Aix-en-Provence, Alinéa 1986.