Rapport d'un médecin sur l'état sanitaire du centre de criblage du Brébant Marseillais, 24 avril 1941.
Légende :
Rapport d'enquête pour l'inspection départementale de la Santé des Bouches-du-Rhône sur le centre de criblage du Brébant Marseillais le 24 avril 1941, 174 W 33
Type : enquête administrative
Producteur : MUREL PACA
Source : © archives départementales des Bouches-du-Rhône, 174 W 33 Droits réservés
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
L’enquête effectuée par le docteur Philippeau le 24 avril 1941 au centre de criblage du Brébant Marseillais, situé entre l'avenue des Chartreux et le boulevard d'Arras, répond à un rapport de police du 8 avril 1941 (voir album). Ce rapport contient des éléments suffisamment alarmants pour que l'inspection départementale de la Santé demande à un de ses médecins de réaliser une enquête.
Le rapport d'enquête présente de manière très succincte les points positifs :
– Hygiène satisfaisante en cuisine et alimentation correcte sans que l'on sache quels sont les critères d'appréciation.
– Espace suffisant et aération assez convenable pour la salle « qui sert de dortoir et de réfectoire » pour un effectif que le médecin estime à 112 personnes.
Les points négatifs sont plus détaillés :
-absence totale d'eau potable. Les conséquences sont multiples : impossibilité de maintenir une hygiène corporelle, invasion de parasites et alcoolisme.
-un seul cabinet d'aisance communiquant avec le dortoir et dégageant des odeurs nauséabondes. Cette remarque nuance l'appréciation positive portée en début de rapport. La « salle vaste et assez bien aérée qui sert de dortoir et de réfectoire » est envahie par les odeurs émanant du seul WC servant à plus de cent personnes.
-la literie fournie en septembre 1940 n'a jamais été renouvelée ou nettoyée « alors que plus de 4 000 personnes s'en sont servies. »
-pas de service médical. Le rapport cite des cas de gale sans expliciter le lien entre l'impossibilité pour les détenus d'accéder à une hygiène minimale et l'infection par ailleurs contagieuse.
Les préconisations du docteur Philippeau qui reprennent pour l'essentiel celles du rapport de police du 8 avril portent sur des mesures permettant une meilleure hygiène. On peut relever que des WC auraient été accessibles puisque situés dans le périmètre du Brébant moyennant les aménagements indiqués dans le rapport de police du 8 avril.
Le ton du rapport est très neutre. Les hommes séjournant au Brébant marseillais sont qualifiés de « réfugiés » ce qu'ils pouvaient être à l'origine mais ne disposent pas de la liberté de leurs mouvements. L'officier de paix qui effectue l'enquête du 8 avril les désigne clairement comme des détenus qui d'ailleurs essaient de s'évader. On ne sait quel est le sentiment réel du docteur Philippeau devant la situation de ces hommes. En revanche, la mention « à classer » portée en marge ne laisse guère d'ambiguïté sur la suite donnée par l'administration.
Sylvie Orsoni
Contexte historique
Dès 1938, le ministre de l'Intérieur Albert Sarraut invite les préfets à prendre des mesures contre « des éléments indésirables ». Le décret-loi du 12 novembre 1938 permet l'internement des étrangers dans des centres de rassemblement. Le déclenchement de la Seconde Guerre mondiale amène un durcissement des dispositions concernant les « indésirables » qui peuvent être étrangers mais aussi français s'ils sont « dangereux pour la défense nationale ou la sécurité publique » (décret-loi du 18 novembre 1939). Le gouvernement de Vichy ajoute une dimension antisémite à des mesures déjà xénophobes dans leur esprit. La loi du 4 septembre 1940 permet l'internement des Juifs étrangers. Des milliers de personnes deviennent susceptibles d'être internés. Des milliers de personnes tombent sous le coup de ces mesures. L'administration française crée des « centres de criblage » afin de statuer sur le sort des « indésirables » et les répartir dans les lieux d'internement qui se multiplient.
Le Brébant marseillais, salle de spectacle située dans le 4e arrondissement de Marseille, sert de centre de triage ou criblage à partir du 7 octobre 1940. Des républicains espagnols mais aussi des Juifs y sont retenus. Le rapport d'avril 1941 estime à 4000 le nombre d'hommes qui sont passé par le Brébant par cohorte d'une centaine d'individus. Les conditions de vie sont analogues à celles de tous les centres d'internement : insuffisance criante des installations sanitaires, promiscuité ce qui contribue à dégrader la santé des détenus. Les conséquences psychiques sont également graves pour ces personnes qui se trouvent atteintes dans leur dignité par les conditions de détention. La mention d'une nourriture correcte et de la propreté de la cuisine étonne car les centres d'internement comme les prisons se caractérisaient par l'insuffisance et le caractère infect de leurs rations.
La réaction de l'administration départementale est sans surprise : elle répond par l’apathie aux préconisations destinées à améliorer les conditions de vie des internés.
Sylvie Orsoni
Sources
Grynberg Anne, Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, La Découverte/Poche, Paris, 1999.
Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.
Mencherini Robert, De la galaxie des Milles aux rafles de juifs en Provence, in Provence-Auschwitz. De l'internement des étrangers à la déportation des Juifs, 1939-1944 (dir. Robert Mencherini),collection Le temps de l'Histoire, P.U.P., Aix-en Provence, 2007.