Tentative d'émigration d'une républicaine espagnole internée au centre Bompard, Marseille, 7 W 108
Légende :
fiche de Julia X. internée au centre Bompard le 11 septembre 1942.
Type : fichier
Producteur : MUREL PACA
Source : © archives départementales des Bouches-du-Rhône, 7 W 108 Droits réservés
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
Les femmes internées à l'hôtel Bompard (voire contexte historique) situé dans le 7e arrondissement de Marseille font l'objet d'une fiche qui est régulièrement complétée et permet de retracer leur parcours.
Julia M. est une avocate espagnole. Elle entre en France le 20 décembre 1939 au moment où la situation des républicains espagnols devient désespérée. Contrairement à beaucoup de ses compatriotes, elle n'est pas internée dans les camps qui se développent à la frontière avec l'Espagne. Elle demeure à Marseille. Comme tous les réfugiés espagnols elle est surveillée par la police ce qui explique sans doute son arrestation par la police française et son internement au centre Bompard. Julia M. effectue les démarches pour rejoindre sa mère, son frère et sa sœur déjà partis pour le Mexique. La fiche ne permet pas de comprendre comment Julia M. peut-être « sans papier » et posséder « tous les papiers en règle pour le Mexique ». Julia M. dispose en effet du visa d'entrée au Mexique et d'une place sur un bateau à destination de Casablanca mais elle ne peut obtenir le visa de sortie du territoire français délivré par le ministère de l'Intérieur que ce soit sous sa véritable identité ou sous un faux nom. On peut remarquer qu'elle est arrêtée sur le bateau même en instance de départ alors qu'elle pouvait espérer avoir franchi les obstacles (voir contexte historique). Elle est conduite à la prison pour femmes des Présentines située près de la porte d'Aix à Marseille, prison vétuste et insalubre. La date de son arrestation est à mettre en relation avec le débarquement des Alliés en Afrique du Nord et l'invasion de la zone sud par les troupes allemandes.
Sylvie Orsoni
Contexte historique
En juin 1940, l'hôtel Bompard, situé rue des flots bleus dans le 7e arrondissement de Marseille est réquisitionné pour recevoir des femmes ressortissantes de pays ennemis ou étrangères. 150 Autrichiennes, sont bientôt rejointes par des Italiennes et des ressortissantes de diverses nationalités. A partir de novembre 1940, l'hôtel Bompard devient un centre de transit pour les femmes et les enfants en instance d'émigration. Il est administrativement rattaché au camp des Milles où sont internés les hommes et les garçons de plus de treize ans. C’est un centre fermé. Les sorties sont cependant autorisées pour effectuer les démarches indispensables à l'émigration, auprès des consulats afin de se procurer les visas d'émigration et de transit, auprès des compagnies de navigation pour acheter les places sur les bateaux en partance ou auprès des différentes œuvres de secours qui aidaient les plus démunis à payer la traversée et enfin auprès des autorités françaises qui accordent le visa de sortie du territoire.
Depuis 1938, le gouvernement français considère comme vraisemblable une forte émigration de républicains espagnols mais ne prend aucune mesure afin d'accueillir ces réfugiés.
A partir de décembre 1939, les républicains espagnols traversent en masse les Pyrénées, espérant trouver hospitalité et liberté en France. Depuis le début de la guerre d'Espagne, des campagnes de presse haineuses sont menées contre eux par la droite française. Les réfugiés espagnols sont systématiquement internés dans les camps situés dans les Pyrénées atlantiques (Gurs) ou les Pyrénées orientales comme Argelès, Saint Cyprien, Barcarès, Prats-de-Mollo ou Rivesaltes. L'administration française se montre particulièrement hostile à ces étrangers considérés comme de dangereux révolutionnaires. En août 1940, Pierre Laval déclare : « à eux [Les républicains espagnols] nous devons nos plus grands malheurs, y compris celui de les maintenir malgré la tragédie que nous vivons. »
En revanche le gouvernement mexicain se montre extrêmement secourable et disposé à recevoir les républicains espagnols qui le désirent. Le 23 août 1940, un accord est signé entre les gouvernements français et mexicain. Le gouvernement mexicain considère que les réfugiés espagnols sont ses protégés, se propose d'accueillir ceux qui en font la demande, de prendre en charge le transport transatlantique et de verser une contribution financière à ceux qui ne reçoivent pas d’aide du gouvernement français. De son côté, le gouvernement français s'engage à respecter le droit d'asile, à limiter les extraditions vers l'Espagne aux droits communs, tout en excluant de la protection mexicaine les anarchistes et communistes qualifiés d’indésirables et certaines personnalités politiques. En fait le gouvernement français subit les pressions conjuguées du gouvernement franquiste et des autorités allemandes. Le gouvernement franquiste produit entre août 1940 et le début de 1941 une liste de 3 617 personnes dont il souhaite l’extradition. En conséquence, il demande au gouvernement français de ne pas fournir un visa de sortie du territoire aux individus nommés. Les autorités allemandes, et en particulier la commission d'armistice, dès novembre 1940, interviennent dans le même sens pour empêcher l'émigration de personnes susceptibles de mener une action hostile au Reich hors de France, au nom de l'article 10 de la convention d’armistice (la France n'entreprendra « aucune action hostile au Reich »). En juin 1941, les autorités de Vichy, après de nombreuses pressions de la commission allemande d'armistice, décident d'interdire l'émigration des réfugiés espagnols. Les candidats à l'émigration peuvent cependant essayer de rejoindre le Mexique via l'Afrique du Nord, ce que tente Julia M. en embarquant sur le Maréchal Lyautey pour Casablanca à une date devenue problématique pour rejoindre l'Afrique du Nord. En 1942, 3055 réfugiés espagnols s'embarquent pour le Mexique dont la moitié depuis l'Afrique du Nord. Mais le débarquement allié de novembre 1942 remet en cause cette destination. Le 9 novembre 1942, les relations diplomatiques sont rompues entre la France et le Mexique, l'accord d'août 1940 devient caduc. Le consul général du Mexique, Gilberto Bosques Saldiva, et ses services ont auparavant accordé des centaines de visas et permis le départ de centaines de républicains espagnols et d'anciens membres des Brigades internationales qui risquaient souvent des poursuites dans leur propre pays.
On ne sait pas si Julia M. figurait sur la liste fournie par le gouvernement franquiste, ce qui expliquerait que les autorités françaises lui aient refuser à plusieurs reprises le visa de sortie. Lors de son séjour à Bompard, elle tente d'aider une infirmière roumaine, Sophie F. internée précédemment à Rieucros (Lozère), camp répressif destiné aux femmes « particulièrement dangereuses ». Sophie F. entre en France en février 1939 au moment du grand exode des républicains et étrangers combattant à leurs côtés. On peut penser que Sophie F. a fait partie de ceux qui ont soutenu la République espagnole puisque Julia M. veut que les comités espagnols du Mexique réclament sa protégée et permettent son émigration. Sans succès. Sophie F. sera dirigée le 13 novembre 1942 vers Brens (Tarn) qui prend à ce moment la suite de Rieucros.
Femme solidaire de ses compagnes internées, avocate, étrangère, sans doute « rouge », elle correspond aux yeux du gouvernement français au prototype de l'indésirable, destinée à l'emprisonnement.
Sylvie Orsoni
Sources
Gilzmer Mélanie, Camps de femmes, chroniques d'internées, Rieucros et Brens 1939-1944. Collection Mémoires n° 65, éd. Autrement, Paris, 2000
Grynberg Anne, Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, La Découverte/Poche, Paris, 1999.
Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.
Mencherini Robert, Résistance et Occupation (1940-1944). Midi Rouge, ombres et lumières, tome 3, Paris, Syllepse, 2011.
Rolland Denis, Vichy et les réfugiés espagnols, in Vingtième Siècle, revue d'histoire, n° 11, juillet-septembre 1986, pp 67-74.
Valdès Davila Claudia, L'émigration des républicains de France au Mexique. Les relations franco-mexicaines. 1939-1942 ,in Cahiers d'Amérique latine, pp. 163-182, n° 72-73/ 2013.