Fiches d'émigration d'une mère et sa fille, internées au centre Bompard, Marseille, août 1941- 14 mai 1942
Légende :
Fiches d'émigration d'une mère et sa fille de nationalité allemande, internées au centre Bompard, Marseille d'août 1941 à mai 1942, 7 W 110
Type : Fichier
Producteur : MUREL PACA
Source : © archives départementales des Bouches-du-Rhône, 7 W 110 Droits réservés
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
Les femmes internées à l'hôtel Bompard (voire contexte historique) font l'objet d'une fiche qui permet de retracer leur parcours. Les enfants font l'objet d'une fiche personnelle comme ici Rude âgée de dix ans lorsqu'elle entre au centre Bompard, ou lorsqu'ils sont très jeunes, sont inscrits sur la fiche maternelle. Les photos de ces femmes et de ces enfants sont particulièrement émouvantes.
La date d'entrée en France ainsi que le lieu de résidence de Rude et de sa mère suggèrent qu'elles font partie des Juifs de Bade expulsés en octobre 1940 à destination de la zone libre (voir contexte historique). Comme plus de 6000 de ses compatriotes badois, Hilde et sa fille sont d'abord internées au camp de Gurs (Pyrénées atlantiques) pendant une dizaine de mois. Afin de faire les démarches leur permettant d'émigrer, elles obtiennent leur transfert pour l'hôtel Bompard à Marseille (voir contexte historique). Elles franchissent avec succès toutes les étapes puisqu'elles obtiennent les visas d'entrée aux Etats-Unis et de sortie de France. Elles s'embarquent le 14 mai 1942 sur le SS Maréchal Lyautey à destination de Casablanca d'où elles partiront pour les Etats-Unis. Leur départ les sauve de la déportation puisque le 16 juin 1942, René Bousquet, secrétaire général de la police de Vichy, acceptait le principe de déporter 10 000 Juifs de la zone sud et le 17 juillet annulait tous les visas de sortie accordés aux Juifs étrangers de la zone sud.
Sylvie Orsoni
Contexte historique
En juin 1940, l'hôtel Bompard, situé rue des Flots Bleus dans le 7e arrondissement de Marseille est réquisitionné pour recevoir des femmes ressortissantes de pays ennemis ou étrangères. 150 Autrichiennes, sont bientôt rejointes par des Italiennes et des ressortissantes de diverses nationalités. A partir de novembre 1940, l'hôtel Bompard devient un centre de transit pour les femmes et les enfants en instance d'émigration. Il est administrativement rattaché au camp des Milles où sont internés les hommes et les garçons de plus de treize ans. C’est un centre fermé. Les sorties sont cependant autorisées pour effectuer les démarches indispensables à l'émigration auprès des consulats afin de se procurer les visas d'émigration et de transit, auprès des compagnies de navigation pour acheter les places sur les bateaux en partance ou auprès des différentes œuvres de secours qui aidaient les plus démunis à payer la traversée et enfin auprès des autorités françaises qui accordent le visa de sortie du territoire.
Le 22 octobre 1940, les Juifs des régions de Bade, du Palatinat et de la Sarre sont brutalement expulsés et évacués en quatre convois spéciaux de la SNCF vers la zone sud sans que les autorités françaises en aient été averties. 6 538 Badois sont internés à Gurs dont Rude et Hilde. Anne Grynberg dans son ouvrage « Les camps de la honte » (voir sources)relate le désespoir des déportées lorsqu'elles arrivent au camp de Gurs (Pyrénées atlantiques) : « La baraque de service était pleine de femmes qui nous dévisageaient en silence ; elles semblaient épuisées, abasourdies et indifférentes, la crainte toujours en éveil, toujours prête à s'évanouir ; elles nous regardaient fixement comme si nous étions des bêtes sauvages » ( p 144).
40% des expulsés avaient plus de soixante ans et deux cents plus de quatre-vingt ans. Au camp de Gurs règne la faim, le froid ; la vermine et les rats pullulent. La mortalité est élevée et les Juifs badois, complètement intégrés dans la société allemande, fournissent un lourd contingent de victimes. Les œuvres caritatives essaient d'aider les internés et en particulier les enfants mais sont dépassées par l'ampleur de la tâche. C'est dans ce cadre que Rude « fête » son dixième anniversaire. Le transfert à l'hôtel Bompard n'apporte pas une grande amélioration. Cet hôtel situé dans un quartier paisible de Marseille possède un petit jardin mais le nombre d'internées dépasse ses capacités d'accueil et les installations sanitaires se dégradent rapidement. Les femmes et les enfants de Bompard souffrent des mêmes maux que tous les internés : faim, froid, mauvaise hygiène et angoisse constante. Les candidats à l'émigration devaient obtenir le visa d'entrée dans le pays d'accueil, le visa de sortie du territoire français qui pouvait être refusé, éventuellement les visas de transit espagnol et portugais si le bateau partait de Lisbonne et bien sûr acheter les billets aux compagnies de navigation opérant depuis Marseille. Les prix des passages montent en flèche. Les réfugiés sans ressources peuvent solliciter les œuvres comme la HICEM (organisation juive d'aide aux émigrants) qui financent de nombreux passages. Si les autorités françaises estiment que l'internée a épuisé ses chances d'émigrer, elle est reconduite dans son camp d'origine. A l'hôtel Bompard, Noël Field et son épouse, le docteur Zimmer et son épouse, l'OSE (Œuvre de secours aux enfants), le CAR (Comité d'assistance aux réfugiés) organisent la scolarité des enfants, des activités récréatives et des cours de couture.
A partir du 3 août, les camps sont étroitement bouclés, les femmes et enfants juifs de Bompard conduits au camp des Milles pour être transférés à Drancy et déportés. Les familles peuvent jusqu'au 26 août confier les enfants de 5 à 18 ans à des œuvres dans l'espoir qu'ils échappent à la déportation.
Sylvie Orsoni
Sources
Grynberg Anne, Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, La Découverte/Poche, Paris, 1999.
Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.
Mencherini Robert, De la galaxie des Milles aux rafles de juifs en Provence, in Provence-Auschwitz. De l'internement des étrangers à la déportation des Juifs, 1939-1944 (dir. Robert Mencherini),collection Le temps de l'Histoire, P.U.P., Aix-en Provence, 2007.
Orsoni Sylvie, Etrangères indésirables : les centres d'internement féminin à Marseille (1940-1942), in Provence-Auschwitz. De l'internement des étrangers à la déportation des Juifs, 1939-1944 (dir. Robert Mencherini),collection Le temps de l'Histoire, P.U.P., Aix-en Provence, 2007.