rapport du médecin assermenté sur l'état de santé de femmes internées à l'hôtel Bompard, Marseille, 25 septembre 1940, 174 W 33

Légende :

Rapport du médecin assermenté sur des femmes internées à l'hôtel Bompard afin d'autoriser ou non leur sortie du centre d'internement, 25 septembre 1940. 174 W 33

Type : rapport médical

Producteur : MUREL PACA

Source : © archives départementales des Bouches-du-Rhône, 174 W 33 Droits réservés

Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille

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Analyse média

Les femmes internées à l'hôtel Bompard dans le 7e arrondissement de Marseille ne sont autorisées à se faire soigner en ville qu'après avis d'un médecin assermenté désigné par la préfecture. Le docteur Félix X. examine 27 femmes le 25 septembre 1940.  Neuf sont autorisées à sortir pour recevoir des soins. La suspicion de tuberculose ou de syphilis (test Wassermann) entraîne une autorisation de sortie. Les douleurs dentaires sont prises en compte mais les autorisationschichement mesurées : « deux dents cariées à enlever : une séance chez le dentiste, une seule doit suffire. Pas davantage. Les prévenir. ». Les demandes des dix-huit femmes restantes sont sèchement refusées. Les femmes jeunes et enceintes ou plus âgées et ménopausées reçoivent les mentions  «  rien à faire », « besoin de rien ». Une internée qui souffre d'asthénie est priée de se faire elle-même ses piqûres. Les troubles qualifiés d ' « allégations » par le médecin ne donnent bien sûr droit à aucune autorisation de sortie. La dimension psychologique propre à l'enfermement n'est pas jugée digne d'intérêt.


Sylvie Orsoni

 

Contexte historique

En juin 1940, l'hôtel Bompard, situé rue des flots bleus dans le 7e arrondissement de Marseille est réquisitionné pour recevoir des femmes ressortissantes de pays ennemis ou étrangères. 150 Autrichiennes, sont bientôt rejointes par des Italiennes et des ressortissantes de diverses nationalités.  A partir de novembre 1940, l'hôtel Bompard deviendra un centre de transit pour les femmes et les enfants en instance d'émigration.Il est administrativement rattaché au camp des Milles où sont internés les hommes et les garçons de plus de treize ans. C’est un centre fermé . Les internées doivent obtenir des autorisations de sortie pour se faire soigner chez des praticiens marseillais. Ces sorties permettent aussi d'échapper pour un temps à la promiscuité, à l'atmosphère angoissante du centre et parfois de tenter une évasion.

 

Le médecin assermenté chargé par la préfecture de contrôler le bien-fondé des demandes. Ses expertises sont ensuite transmises au service des étrangers qui est seule habilité à autoriser les sorties. Le docteur X. est un praticien reconnu de la place de Marseille,décoré de la croix de guerre, chevalier de la Légion d'honneur. Il ne montre aucune empathie envers les internées. Ni la jeunesse, ni l'âge ne l'émeuvent. Le docteur Félix X. n'admet que les maux avérés, les autres sont qualifiés d'allégations.  Six des femmes examinées le 22 septembre 1940 ont au préalable été internées au camp de Gurs, deux sont passées par la prison marseillaise des Présentines. Les conditions de vie très dégradées dans ces lieux de détention ne rendent pas invraisemblables les maux dont souffrent ces femmes. Les internées de Bompard pouvaient recevoir les soins du docteur René Zimmer, médecin de l'organisation caritative O.S.E. (Œuvre de secours aux enfants) et de la doctoresse Else Weil, elle-même internée qui montrent bien plus d'empathie mais n'ont pas le pouvoir d'autoriser des sorties. Le médecin Inspecteur général de la Santé suit la recommandation d'une doctoresse du service d'hygiène qui émet en juillet 1940, un avis défavorable à l'internement d' une réfugiée autrichienne en raison de son état de santé. En revanche le docteur X. continue à évaluer l'état de santé et les besoins des internées avec la même sécheresse, voire le même mépris comme dans le cas de Berthe H. internée au centre Terminus qu'il examine le 3 juin 1942(voir album).

Cette attitude est-elle le résultat de la dureté des temps,d'un souci de faire carrière, d’une xénophobie, voire d'une misogynie qui peuvent s'exprimer sans crainte ?  Depuis les années 1920, la profession réclamait l'éviction des étudiants et médecins juifs ou étrangers. Le gouvernement de Vichy souscrit à ses demandes. L'attitude du docteur X. n'est pas un cas isolé comme le montre la note rédigée par un médecin aixois, membre du conseil départemental de l'Ordre, à l'égard des hommes internés au camp des Milles(voir album)


Sylvie Orsoni

Sources

Grynberg Anne, Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, La Découverte/Poche,Pari, 1999.

Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.

Mencherini Robert, De la galaxie des Milles aux rafles de juifs en Provence,inProvence-Auschwitz. De l'internement des étrangers à la déportation des Juifs, 1939-1944 (dir. Robert Mencherini),collection Le temps de l'Histoire, P.U.P., Aix-en Provence, 2007.

Orsoni Sylvie, Etrangères indésirables : les centres d'internement féminin à Marseille(1940-1942) ,in Provence-Auschwitz. De l'internement des étrangers à la déportation des Juifs, 1939-1944 (dir. Robert Mencherini),collection Le temps de l'Histoire, P.U.P., Aix-en Provence, 2007.