Rapport sanitaire accablant sur le camp de nomades de Saliers( Bouches-du-Rhône), 9 septembre 1943
Légende :
pages une et deux du rapport rédigé par l'inspecteur sanitaire sur le camp de nomades de Saliers, le 9 septembre 1943
Type : rapport administratif
Producteur : MUREL PACA
Source : © archives départementales des Bouches-du-Rhône, 142 W 83 Droits réservés
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
Le rapport de l'inspecteur sanitaire a lieu un peu moins d'un an après que les familles nomades aient été internées dans le camp. Alors que la plupart des rapports administratifs sur les camps d'internement ménagent les autorités responsables, ce rapport décrit la réalité. Dés la première phrase, il abandonne les non-dits qui évitaient de définir les internés en termes raciaux : « un Camp d'hébergés de race gitane ».
Dans ces extraits, on voit que rien ne trouve grâce aux yeux de l'inspecteur qui pointe les multiples défaillances du dispositif de Saliers.
-Le site choisi pour son éloignement des villes afin de rassurer les populations sédentaires sur cette concentration de nomades perçus traditionnellement comme des voleurs et des fauteurs de troubles est inhospitalier, exposé au mistral et au soleil.
-Les cabanes camarguaises qui avaient pour but d'offrir une vision pittoresque ont un sol en terre battue, pas de plafond et un toit qui favorise les parasites. Elles obligent les internés à laisser la porte ouverte pour faire pénétrer la lumière ou évacuer la fumée. Elles n'ont ni cheminée, ni électricité, ni installations sanitaires.
-le personnel est encore plus mal loti. Le rapport souligne les conséquences sur le comportement des gardiens.
-l'infirmerie « sans W.C., sans eau, sans lumière » est tout simplement « lamentable ». La literie est bonne à brûler.
-comme aux Milles, l'eau n'est pas potable
-les WC : malgré les efforts du commandant du camp, ils sont en nombre insuffisant et mal placés
-l'alimentation : le jugement est extrêmement sévère : « Si les responsables avaient suivi à la lettre les directives impératives du Ravitaillement, le Camp ne serait plus qu'une nécropole. »
-les effectifs « hébergés » : les guillemets montrent que le terme ne reflète pas la réalité pour le rédacteur du rapport. On note le nombre d'enfants très important : ils sont majoritaires dans le camp. On peut s'interroger sur les trente enfants « sans famille » hospitalisés et placés. Sont-ils vraiment sans famille?(voire contexte historique)
La conclusion rejette toute augmentation des effectifs sous peine de provoquer les graves épidémies qui frappent les internés des camps français.
Ce rapport dévoile l'échec de la stratégie des autorités françaises voulant de faire du camp de Saliers un camp-vitrine.
Sylvie Orsoni
Contexte historique
En septembre 1943, le camp de Saliers fonctionne depuis un peu moins d'un an. Il compte 167 internés, majoritairement des enfants. Ce sont pour la plupart des nomades français expulsés d'Alsace par les Allemands, internés dans un premier temps dans les camps d'Argelès, puis de Rivesaltes et du Barcarès et transférés à Saliers en novembre 1942. A l'époque, le camp comprend 300 personnes, ce qui correspond à l'effectif prévu mais pas aux installations envisagées qui ne seront jamais réalisées dans leur totalité. Les internés s'entassent donc à plus de vingt personnes dans des cabanes prévues pour la moitié. En septembre 1943, le camp ne compte plus que 167 personnes. Que sont devenues les autres ? L'absence de clôture véritable, le faible nombre de gardiens et leur manque de motivation explique que nombre d'internés se sont évadés bien que depuis janvier 1943, le camp soit devenu un centre de séjour surveillé.
Le projet de réaliser à Saliers un camp-vitrine s'est heurté d'emblée au manque de moyens. Le site n'était adapté que dans le rêve de l'architecte des Monuments historiques. Il avait surtout pour objectif de rassurer les populations arlésiennes, très hostiles à la présence en nombre de nomades. Les cabanes ont été construites par une cinquantaine d'internés de Rivesaltes transférés en juillet 1942 pour travailler à l'aménagement du camp mais les entreprises locales qui devaient effectuer les travaux plus techniques(adduction d'eau, électrification) ont vite abandonné car elles n'étaient pas payées. On retrouve comme dans la plupart des camps l' insuffisance des installations sanitaires. La situation de l'infirmerie est encore pire qu'au camp des Milles (voire notice rapport sanitaire sur le camp des Milles). L'alimentation est particulièrement frugale. Elle sera améliorée en décembre 1943 car elle sera alignée sur le régime des prisons ! Dans ces conditions d'insalubrité et de sous-alimentation, vingt six décès sont enregistrés pendant la durée de fonctionnement du camp .
Le rapport évoque le placement d'enfants « sans famille ». Les responsables des camps jugeaient que les conditions de vie étaient incompatibles avec la présence d'enfants. Dans le cas de Saliers, faire sortir les enfants du camp, c'est les arracher non seulement à l'internement mais aussi à leur mode de vie traditionnel. Les enfants « sans famille » l'étaient-ils vraiment ? Cela paraît peu compatible avec le profil des familles transférées de Rivesaltes. Les parents ont-ils été convaincus ou contraints ? Denis Peschanski relève qu'en décembre 1942, 27 enfants de moins de dix ans sont confiés par le Secours national à des institutions religieuses et que quelques deux cents enfants sont ensuite pris en charge par l'Assistance publique de Marseille.
Les nomades internés n'ont pas de relais extérieurs à leur communauté. Ils comptent avant tout sur la solidarité familiale. Ils sont en butte à l'hostilité de la population environnante. Les organisations caritatives qui travaillent dans les camps de la zone sud sont absentes à Saliers. Le Secours national et la Croix-Rouge sortent un certain nombre d'enfants du camp mais cette action n'est pas dépourvue d'arrière-pensée.
Sylvie Orsoni
Sources
Bertrand Francis, Jacques Grandjonc, « Un ancien camp de bohémiens » : Saliers, in Les camps en Provence. Exil, internement, déportation. 1933-1942, (dir. Grandjonc Jacques, GrundtnerTheresia, Aix-en-Provence, Alinea, 1984.
Debilly isabelle, Un camp pour les Tsiganes, Saliers, Bouches-du-Rhône, 1942-1944, dossier pédagogique n°6, Archives départementales, Conseil général des Bouches-du-Rhône, 2001.
Grynberg Anne, Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, La Découverte/Poche,Pari, 1999.
Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.