L'amiral Darlan interdit la libération des Juifs étrangers internés.
Légende :
Directive adressée par le ministre de l'Intérieur, l'amiral Darlan aux préfets de la zone sud, interdisant toute libération de Juifs étrangers internés. 25 juin 1941
Type : directive officielle
Producteur : MUREL PACA
Source : © Archives départementales des Bouches-du-Rhône, 76 W 3 Droits réservés
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
L'amiral Darlan adresse le 25 juin 1941 une directive aux préfets de la zone sud. Il intervient en tant que ministre de l'Intérieur bien qu'il se soit attribué également les ministères des Affaires étrangères et de l'Information lorsqu'il devient le 9 janvier 1941 vice-président du Conseil soit le numéro deux du régime de Vichy derrière le maréchal Pétain.
Deux dispositions essentielles sont prises :
– Interdiction de libérer les juifs étrangers internés s’ils sont entrés en France après le 10 mai 1940, c'est-à-dire après l'offensive allemande qui a précipité vers la France de nombreux réfugiés juifs de Belgique et des Pays-Bas. Par ailleurs, les Allemands ont procédé le 25 octobre 1940 à l'expulsion vers la France plus de 7000 Juifs originaires du pays de Bade, de la Sarre et du Palatinat. Les expulsés sont internés dans le camp de Gurs(Pyrénées atlantiques) pour les Badois, à Saint Cyprien(Pyrénées orientales) pour les Palatins et les Sarrois. Ces deux catégories sont directement visées par la directive de l'amiral Darlan.
– Favoriser le départ des Juifs étrangers. L'hypothèse d’un rapatriement est de pure forme et ne concerne qu'une minorité d'internés issus de pays neutres. Aucun Juif issu des territoires contrôlés par le Reich ne pourrait, (ni ne souhaiterait), y revenir.
Les catégories pouvant « faire l'objet d'une décision de bienveillance » ne constituent pas des critères impératifs. Les dérogations envisageables sont à la discrétion du préfet et le ministre de l'Intérieur tranche en dernier ressort.
La conclusion résume la philosophie de toute la directive : les Juifs étrangers sont indésirables en France. Le problème de leur intégration ne se pose pas, ils sont considérés comme inassimilables. Ils doivent quitter le territoire français. Ce rejet des Juifs étrangers prépare l'acceptation des demandes de déportation que les autorités allemandes formulent en août 1942.
Sylvie Orsoni
Contexte historique
En juin 1941, les autorités de Vichy ont déjà adopté tout un arsenal de mesures antisémites. Le 3 octobre 1940, est promulgué un premier statut des Juifs(voir notice Statut des Juifs 3 octobre 1940). Cette loi retient des critères raciaux et non religieux. Le lendemain une loi permet l'internement des juifs étrangers (voir notice). Le 2 juin 1941,le deuxième Statut des Juifs étend encore la détermination de qui est Juif et abandonne explicitement toute référence religieuse. L'amiral Darlan emploie donc tout naturellement le terme « race juive »pour définir quels étrangers sont concernés par sa directive. Par ailleurs le deuxième statut des Juifs permet l'internement des Juifs français. Le même jour, une loi impose aux Juifs de se déclarer en mentionnant les membres de leur famille et l'état de leur biens.
La IIIe République avait mis en place en avril 1939 les Compagnies de travailleurs étrangers(CTE) qui s'étaient multipliées après l'entrée en guerre. Il s'agissait de faire participer les étrangers à l'effort de guerre. Les Républicains espagnols constituaient l'essentiel des CTE. Le gouvernement de Vichy met en place par la loi du 27 septembre 1940 les Groupes de travailleurs étrangers(GTE). L'article premier de la loi prévoit que « les étrangers du sexe masculin âgés de plus de 18 ans et de moins de 55 ans pourront, aussi longtemps que les circonstances l'exigeront être rassemblés dans des groupements d'étrangers s'ils sont en surnombre dans l'économie française.... Sous réserve des formalités réglementaires, ils conservent la faculté d'émigrer dans un pays étranger. ». Dès cette date, il devenait difficile d'être libéré des GTE. Or la loi du 22 juillet 1940 en permettant la révision des naturalisations effectuées après 1927 accroît le nombre d'étrangers (voir contexte historique notice loi permettant l'internement des juifs étrangers). La directive de l'amiral Darlan met fin à toute possibilité de libération pour les Juifs étrangers internés dans les camps ou incorporés dans les GTE. En revanche, elle incite les préfets à ne pas s'opposer à leurs démarches en vue d'émigrer. Les étrangers qui peuvent espérer obtenir les visas et les billets nécessaires à l'émigration peuvent être envoyés au camp des Milles, près d'Aix en Provence. De ce camp de transit, il est possible de faire les démarches auprès des consulats et des compagnies de navigation situées à Marseille, dernier grand port de la zone libre.
La discrimination antisémite se poursuit dans les mois qui suivent cette directive. Par la circulaire du 9 janvier 1942, les Juifs étrangers ou naturalisés, entrés en France après le 1er janvier 1936 doivent être regroupés, sauf dérogations très limitées, dans des GTE s'ils sont sans ressources. Au cours de l'année 1942, des GTE spécifiques dits GTE « palestiniens » sont mis sur pied et destinés aux Juifs. Les Juifs étrangers soumis au régime des GTE comme ceux internés dans les camps sont dans une nasse.
La logique de la discrimination et du contrôle des Juifs étrangers en fait des victimes toutes désignées pour les déportations qui commencent à l'été 1942 en zone sud.
Sylvie Orsoni
Sources
Grynberg Anne, Les camps de la honte. Les internés juifs des camps français, 1939-1944, La Découverte/Poche,Pari, 1999.
Mencherini Robert, Vichy en Provence, Midi Rouge, ombres et lumières, tome 2. Paris, Syllepse, 2009.
Peschanski Denis, La France des camps. L'internement 1938-1946. Editions Gallimard, Paris, 2002.