Le général de Gaulle au balcon du Capitole à Toulouse

Légende :

Discours du général de Gaulle depuis le balcon du Capitole. A sa droite, Raymond Badiou, maire de Toulouse, et à sa gauche, Pierre Bertaux.

Genre : Image

Type : Coupure de presse

Source : © Archives privées Serge Ravanel, don à l'AERI Libre de droits

Lieu : France - Occitanie (Midi-Pyrénées) - Haute-Garonne - Toulouse

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Analyse média

Photographie publiée dans La Dépêche du Midi du 19 février 1967.

 


Contexte historique

Venant de Marseille, le général de Gaulle arrive à Toulouse vers 10 heures, le 16 septembre 1944. Il est accueilli à l'aéroport par le commissaire de la République, Pierre Bertaux. Toute la Résistance locale et régionale est fière de l'accueillir. Dans son édition du jour, La République, le journal du MLN, écrit : "Général de Gaulle, Toulouse est heureuse de vous accueillir et d'acclamer en vous un libérateur et un chef". Et le journal communisant le Patriote du Sud-Ouest, tout en mettant l'accent sur la spécificité toulousaine, de renchérir ainsi, avec quelques exagérations : "Toulouse, qui s'est libérée par ses propres moyens et qui a restauré d'elle-même l'ordre républicain, salue en vous l'officier fidèle à la patrie, l'homme qui a su dire clairement ce qu'il voyait, le chef du gouvernement qui a rassemblé et uni toutes les volontés, l'homme enfin en qui tous les partis et tous les patriotes ont confiance". 
L'accueil de la population est à la hauteur de ce que l'on pouvait attendre. Une foule impressionnante de plusieurs dizaines de milliers de personnes l'acclame place du Capitole, quand il prononce son discours au balcon de l'Hôtel de ville : " Toulouse, Toulouse libre, Toulouse fière, fière parce qu'elle est libre et fière parce qu'au milieu de toutes les larmes, de toutes les angoisses, de toutes les espérances qu ‘elle a traversées, jamais Toulouse n'a cru que la France était perdue, jamais Toulouse n'a renoncé ni à la grandeur du pays, ni à sa victoire, ni à la liberté des hommes, ni à celle des Français et des Françaises. (...)
Pierre Bertaux, après s'être interrogé sur le nombre des personnes présentes qui étaient déjà venues précédemment acclamer ... le maréchal Pétain, rapporte ainsi les dernières paroles du général : "Je vous ai entendus et vous m'avez entendu. Je vous ai vus et vous m'avez vu. N'est-ce pas que nous sommes bien d'accord pour aller où nous voulons aller, pour y aller ensemble, fraternellement, Français et Françaises, les mains dans les mains ?". Et tout se termine par une frémissante Marseillaise, reprise en choeur par la foule en liesse. 

En fait, le général a surtout fait là des déclarations générales, il n'a pris aucun engagement précis. Les choses sérieuses se déroulent différemment, en dehors de la présence du public, lors de la réception des diverses autorités locales à la Préfecture. Les malentendus y éclatent au grand jour. Le général de Gaulle obéit à des motivations à la fois intérieures et extérieures. Il a le souci prioritaire du rétablissement de l'ordre et de la reconnaissance de l'autorité de son gouvernement. Il est arrivé, prévenu par les différents émissaires du BCRA et autres deuxièmes bureaux contre les soi-disant désordres toulousains, et contre les aspirations et les réalisations révolutionnaires qui régneraient à Toulouse et dans sa région. Pierre Bertaux le rappelle, le général considérait alors "qu'avec la Libération, la page était tournée. Il s'agissait désormais de refaire l'unité de la France. Pour cela, renvoyer dans le rang les résistants, la Résistance, le résistancialisme ; qu'ils se fondent dans l'ensemble de la Nation.".
A l'inverse, les résistants attendaient de leur chef une reconnaissance de leurs actions antérieures, ainsi qu'un engagement clair pour l'avenir, qui tienne compte de ce pourquoi ils avaient combattu. Le divorce était inéluctable. Plusieurs scènes en témoignent et l'illustrent. Il y a d'abord "l'affaire Hilaire". Le colonel anglais Starr "Hilaire" est un agent du SOE qui a beaucoup aidé la Résistance, dans le Gers, dans les Landes et dans leurs zones limitrophes. Reçu par le général de Gaulle, il est violemment éconduit et prié de quitter la France dans les plus brefs délais. Aucun égard pour les services qu'il a rendus. "Hilaire" serait d'ailleurs sorti de l'entrevue, selon Pierre Bertaux, "le visage empourpré, disant simplement : J'ai dit merde à de Gaulle". Et Pierre Bertaux d'ajouter : "Je n'avais pas alors compris, car personne ne nous l'avait expliqué, pourquoi et à quel point de Gaulle était chatouilleux en tout ce qui touchait l'intervention des Alliés en France libérée." 
Autre épisode : "l'affaire des grades et des décorations". Recevant les responsables FFI, le général leur demande leur date d'entrée dans la Résistance et leurs grades. "Comme si c'était l'essentiel, écrit Serge Ravanel. La question évidemment "ne gênait pas les officiers de carrière. Elle devenait discriminatoire pour les officiers d'origine FFI. Indignés, ces hommes se sentirent humiliés.". Là encore, aucune considération pour le caractère spécifique de ces combattants de l'intérieur. Ravanel lui-même se voit reprocher de porter un ruban de la croix de la Libération qui lui aurait été attribué, semble-t-il, à tort ! "J'ai voulu vous faire honneur en le portant ", dit-il au général. " Ce n'est pas exact ", répond celui-ci. " Je l'enlèverai donc ", ajoute Ravanel. 
Une anecdote amusante peut être également citée. Elle est rapportée par Claude Delpla, l'historien de la Résistance ariégeoise. A un moment donné, le général s'adresse à un FFI ariégeois, boucher de son métier, qui se trouve à côté d'une table recouverte de cartes d'état-major : " Pouvez-vous m'indiquer sur cette carte la côte 8... ? (un chiffre est montré sur la carte) " Réponse : " Moi, mon général, je ne connais qu'une seule côte, la côte de boeuf ! " En fait, de nombreux résistants ont l'impression d'être traités avec condescendance ou mépris. Au point qu'il faut calmer un petit groupe d'excités, qui envisageait rien de moins que d'enlever le général, pour l'amener au maquis et lui faire découvrir ce qu'avait été réellement la vie des clandestins ! 

La visite se termine par des annonces lourdes de conséquences : celle de l'envoi d'un officier de métier, le général Collet, pour commander la région militaire et celle, rapportée par Serge Ravanel, que " le rôle de la Résistance est terminé. Quant aux FFI, ceux qui le souhaitent rejoindront les armées combattantes après avoir signé un engagement. 
Après avoir passé la nuit à la préfecture, le général assiste le lendemain 17 septembre à un défilé matinal des FFI, rue Alsace-Lorraine. Il est sept heures du matin. Les FFI défilent, maladroitement, avec des habits disparates, des sandales, des mitraillettes Sten au poing...Le général ne réagit qu'au moment du passage, drapeau rouge en tête, d'anciens Vlassow ralliés à la Résistance. Le défilé terminé, il dit à Pierre Bertaux : " C'est la première fois que je vois des FFI ". Avant d'ajouter : " Les militaires, c'est très simple. On leur donne des ordres, et ils exécutent. " Mais lui-même n'a-t-il pas été un rebelle ? Quoi qu'il en soit, à 8 heures 30, il s'envole en direction de Bordeaux. 

Lors de ce voyage à Toulouse, bien des problèmes de fond n'ont pas été abordés, notamment celui de l'épuration, celui du ravitaillement ou celui du fonctionnement des divers organes du pouvoir résistant... Mais le général de Gaulle a donné un signal : celui de la reprise en main et de la normalisation, celui de l'affirmation de l'autorité de l'Etat centralisé et de ses représentants, les préfets et le commissaire de la République en tête. En cela sa visite marque bien un tournant décisif.


Coming from Marseille, General de Gaulle arrived in Toulouse around 10 o'clock on September 16 1944. He was met at the airport by Pierre Bertaux, Commissioner of the Republic. All of the local and regional Resistance groups were proud to welcome him to the city. The day's edition of La République, the newspaper of the National Liberation Movement, said: « General de Gaulle, Toulouse is happy to welcome you, and to proclaim you as liberator and leader ». And the Communist newspaper Le Patriote du Sud-Ouest stressed the how special Toulouse was, even to the point of exaggerating a little: « Toulouse, which was liberated by her own people and who restored a Republican order, salutes you as an officer faithful to his country, a man who knew how to clearly explain his vision, the head of government who gathered and unified all the volunteers, the man trusted by all patriots ».

The host population exceeded expectations. An impressive crowd of tens of thousands of people cheered him in the capitol square, where he gave his speech from the balcony of the city hall: « Toulouse, free and proud, proud because she is liberated and proud because despite the tears, the anguish, the dashed hopes, not once did Toulouse believe France was lost, not once did Toulouse renounce the splendour of her country or her imminent victory or the right of liberty for all men, for Frenchmen and Frenchwomen.. ». Pierre Bertaux, who wondered how many of the people in the present crowd had also come to cheer for Maréchal Pétain, remembered the General's closing words: « I have heard you and you have heard me. I have seen you and you have seen me. Can we not agree that it is time for us to move towards a brighter future, to go there together as brothers, Frenchmen and Frenchwomen, hand in hand? ». The speech was finished with a thundering rendition of the Marseillaise, the jubilant crowd singing the chorus

In reality, the general stuck to general statements without making any specific commitment. The serious business was to be conducted away from the public, at a meeting of the various local authorities at the Préfecture. There misunderstandings began to come to light. General de Gaulle was influenced by both interieur and exterieur motives. His primary concern was to reestablish order and to gain recognition of his government's authority. He arrived after being warned by different envoys from the Central Bureau of Intelligence and Operations and other offices about the so-called disorder in Toulouse, and was at odds with the revolutionary hopes and achievements which reigned in Toulouse and the region. Pierre Bertaux recalled how the general considered that « with the liberation, the page had turned. It was now time to re-unify France. To do this, de Gaulle looked towards the values of the resistants, the Resistance movement, and the cult of the Resistance that could be found across the nation ».

On the other hand, the Resistants were waiting for their leader to recognize their actions in the field, as well as explain a clear commitment for the future and to further justify their decision to fight. The split was inevitable; many scenes from the meeting illustrate this. First there was the « Hilaire affair ». The English Colonel Starr or « Hilaire » was a Special Operations Executive agent who had fought bravely for the Resistance in Gers, Landes and their neighboring zones. Received by General de Gaulle, he was soundly rebuffed and told to leave France as soon as possible, with no regard for his service in France. According to Pierre Bertaux, « Hilaire » came out of the meeting with « a flushed face, saying « I told de Gaulle to fuck off » ». And Pierre Bertaux added: « I didn't understand, because no one had told me, how touchy de Gaulle was about anything concerning the Allied presence in the newly liberated France ».

Another episode: « the issue of ranks and awards ». Receiving the officers of the French Interieur Forces, the general asked them all for the date of their entry into the Resistance and their rank. « As if it was the most important thing, » wrote Serge Ravanel. The question was obviously « not meant for the career officers. It was to identify the officers who had come up through the French Interieur Forces. Outraged, these men felt humiliated ». Once again, there was no consideration for the specific nature of the fight within France and the circumstances facing the fighters. Ravanel himself was reproached for wearing a ribbon of the Liberation cross which he had not earned, according to de Gaulle! « I wanted to honor you by wearing it, » he said to the general. « That's not right, » de Gaulle responded. « I'll take it off then, » Ravanel replied.

Another amusing anecdote comes from Claude Delpla, a historian specializing in the Resistance in Ariège. The general addressed one of the French Interieur Forces members from Ariège, a butcher by profession, who was next to a table covered with maps of the military regions: « Can you show me on this map which side [côte] 8 is on? » (the number was written on the side of the map). The response: « General, I only know where one thing is: a good rib [côte] of beef! »

In fact, a number of Resistants felt they were being treated with condescension or disdain. At one point it was necessary to calm down a particularly excited group, who wanted nothing less than to bring the general to the wooded areas they had hid in so he would realize what it was like to live as a hidden fighter!

The visit ended with several consequential announcements: a career military officer, General Collet, would be sent to lead the military region and de Gaulle announced, as Serge Ravanel recalls, « that the job of the Resistance was finished. For those members of the French Interieur Forces who wanted to join the active units of the army, they had to first pledge their allegiance to the new regime »

After spending the night at the préfet's home, the general attended the morning parade of the French Interieur Forces on Alsace-Lorraine street the next day, September 17. It was at 7 o'clock in the morning. The Interieur soldiers marched badly, with mismatched clothes, sandals, their barely functioning Sten guns in their hands...the general didn't realize until that moment, when former Soviet soldiers marched past with their red flag at the head, that so many Soviets had rallied to the cause of the Resistance. Once the parade had ended, he said to Pierre Bertaux: « That was the first time I saw the French Interieur Forces, » before adding: « For military men, it's easy. You give them orders and they execute them ». But was not he himself a rebel? Whatever he was, he left for Bordeaux at 8:30 that same morning.

Many serious questions were not addressed during this brief visit to Toulouse, including the problem of purging collaborators from the region, the continuing food rations, and the conflict among the various administrative bodies of the Resistance...But General de Gaulle was also a sign that normal life was returning, that the centralized State and her representatives had regained authority, along with the State's prefects and commissioners. In this way, de Gaulle's visit really did mark a pivotal turning point.

 

Traduction : Carolyn Burkett

 


Source(s) : Michel Goubet, "Le voyage du général de Gaulle à Toulouse" in CD-ROM La Résistance en Haute-Garonne, AERI, 2008.