Journal Défense de la France, n°2, 10 septembre 1941
Légende :
Newspaper "Défense de la France", n°2, September 10, 1941
Genre : Image
Type : Presse clandestine/Clandestine Press
Source : © Archives nationales, fonds Défense de la France (don association Défense de la France) Droits réservés
Détails techniques :
Format 21 x 27 cm. 6 pages imprimées sur 3 feuillets recto et verso. Le papier jaunâtre, acheté au marché noir, est de médiocre qualité.
Lieu : France - Ile-de-France
Analyse média
Ce n°2 de Défense de la France est imprimé dans les caves de la Sorbonne, rue Cujas (Paris), sur la Rotaprint acquise par le mouvement dès le printemps 1941. Il est daté du 10 septembre 1941 et est tiré à 5000 exemplaires, comme le seront les suivants.
L’entreprise demeure, à bien des égards, très artisanale. La matrice est réalisée sur une machine à écrire offset ce qui rend la lecture difficile.
Cette deuxième édition se compose de trois articles :
- Le premier d’entre eux est un nouvel appel à la résistance. Robert Salmon, « Robert Tenaille » s’interroge sur les « véritables intentions » du gouvernement et donc sur celles d’un Maréchal qui suscitent alors encore bien des interrogations pour une majorité de Français mais aussi pour certains Résistants qui veulent croire à son double jeu.
Toutefois, le doute s’installe. Rejetant avec fermeté toute forme de collaboration du régime de Vichy, Défense de la France veut être certain que « c’est contraint et forcé que Vichy collabore ». C’est pourquoi, il appelle ouvertement le gouvernement à s’exprimer et à « faire connaître sa pensée ». Bien qu’il soit étroitement surveillé par « les hommes d’Hitler », il doit impérativement trouver « des moyens discrets » pour le faire.
- Le deuxième article est tiré d’un hebdomadaire intitulé Axes daté du 19 juillet 1938. Défense de la France utilise cet article afin de dénoncer l’opportunisme de l’auteur, Marcel Déat – alors allié politique de Laval et des Allemands –, qui défend, à cette époque, l’idée d’un nécessaire rapprochement des forces franco-britanniques, sans oublier, en arrière-plan, « la formidable mise en branle de l’Amérique » afin de faire face à une éventuelle menace allemande.
Pacifiste et défenseur des accords de Munich, il semble demeurer confiant à l’égard de la politique menée par le troisième Reich et ne doute pas un instant que les Allemands « atteindront une sagesse relative » face à une alliance opportune avec les Anglais et les Américains. A l’aube de la Seconde Guerre mondiale, Marcel Déat ne néglige aucune puissance ; pacifiste convaincu et opportuniste avéré, il se positionne afin de choisir, le moment venu, le camp le plus indiqué.
En s’appuyant sur ce genre d’article intitulé « opportunisme », Défense de la France entend dénoncer les positions de certains hommes politiques devenus politiquement proches de Laval et des Allemands, et amener les Français à réfléchir aux risques de la collaboration.
- Sous la plume du Professeur Dain, « Francin », Défense de la France rend hommage, dans un troisième article, à « la France qui se fit, suivant sa tradition, le soldat de la liberté ». « Abandonnées » de tous, et suscitant les moqueries à l’égard de leur « décadence » et de leur « défaillances militaires », les troupes françaises méritent une reconnaissance de la nation.
Le peuple français ne doit pas se laisser aller à ce défaitisme ambiant mais il a le devoir de réagir et de « demeurer fier et, malgré tout, d’espérer ».
- Le dernier article est consacré à l’une des nombreuses nuisances de la « Kollaboration » : le pillage économique allemand. René Tézenas du Montcel, « Maître Jacques » (un parent de Philippe Viannay), dresse le bilan annuel de « cette association orageuse » en s’appuyant sur les chiffres « strictement officiels » relevés dans les branches économiques suivantes : transports, agriculture, industrie et frais d’occupation.
« En insistant sur le pillage allemand, Défense de la France espère transformer la lassitude d’une population rationnée en un sentiment de colère envers l’occupant ». Pour ce thème du pillage, qui revient à intervalles réguliers sur 8 numéros, Défense de la France « se distingue par la qualité de ces renseignements économiques. Il bénéficie, de fait, d’informateurs qualifiés. Marcel Lebon, comme Paul Ranchon, en contact avec Vichy, dispose des statistiques gouvernementales et les transmet à Défense de la France ».
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A la fin du mois d’août, après un départ précipité de la Villa Saint-Jacques, Défense de la France installe, à l’initiative d’Hélène Mordkovitch (qui deviendra Hélène Viannay en épousant Philippe Viannay en 1942), la Rotaprint dans les caves de l’Université. Depuis 1939, son professeur de géologie, Monsieur Lutaud, lui en avait confié les clés en tant qu’assistante du laboratoire. Elle les avait ensuite conservées afin de protéger le laboratoire d’éventuels incendies. Ce local de la rue Cujas abrite – exception faite des mois de mai et juin 1942 – la petite imprimerie jusqu'au mois de septembre 1942.
Très vite ce repaire s’avère idéal : « A partir de l’entrée on accède à un tableau où il y avait les clés de la cave. Elle était à deux niveaux plus bas, profonde avec de la terre battue. Constituée d’une première pièce et d’une deuxième contre les réserves de la bibliothèque. De là partaient d’immenses souterrains. [...] Ils décident d’installer la machine à imprimer dans la deuxième pièce de la cave. Il y avait une petite ampoule qui pendait au plafond, une porte qui permettait d’accéder aux couloirs souterrains en sautant en contrebas à un mètre, et un recoin pour cacher des armes. Philippe avait apporté son fusil de soldat et un révolver.[...] La cave n’avait pas d’issue de secours. S’ils étaient pris, le piège se refermait sur eux. Ils faisaient donc extrêmement attention de ne pas être suivis ». (1)
« Le matériel était caché dans une caisse, le papier était stocké sur des rayons, le tirage se faisait la nuit et nous quittions la Sorbonne Hélène et moi, au petit matin, avec des sacs à dos pleins de journaux. [...] Charlotte [Nadel] ou quelques autres nous attendaient à la sortie du grand couloir pour prendre livraison.» (2)
« Les 21 premiers numéros sont écrits par 9 rédacteurs seulement. […] Les dirigeants s’attribuent leurs articles au gré de leurs affinités et les auteurs, une fois les textes acceptés, signent leur copie d’un pseudonyme : « Indomitus » pour Viannay, « Robert Tenaille » pour Salmon. Les deux hommes rédigent à eux seuls la majorité des contributions, même si quelques personnalités extérieures, René Tézenas du Montcel, « Maître Jacques », ou Alphonse Dain « Francin, Klein, Pelletier », apportent parfois leurs concours.
En somme, une poignée d’hommes assume à elle seule la rédaction du journal ». (3)
Dans les 22 premiers numéros, publiés entre le mois d’août 1941 et novembre 1942, Défense de la France engage un combat fondé sur une protestation morale. Son discours, centré sur l’information et la contre-propagande traite, de manière inégale, les sujets suivants : la collaboration, le défaitisme, les provinces perdues et la germanisation des populations locales, l’anglophobie, le pillage économique allemand, les rigueurs de l’occupation, l’hitlérisme et le barbarisme nazi, les camps de concentration, les revers de la Wehrmacht et les difficultés économiques du Reich.
Sources : (1) Clarisse Feletin, Hélène Viannay, L’instinct de résistance de l’Occupation à l’école des Glénans, éditions Pascal, 2004. (2) Philippe Viannay, Du bon usage de la France, Résistance, Journalisme, Glénans, éditions Ramsay, 1988. (3) Olivier Wieviorka Une certaine idée de la Résistance, Défense de la France 1940-1949, éditions du Seuil, 1995.
This second issue of Défense de la France was printed in the basement of the Sorbonne, Rue Cujas (Paris), on the Rotaprint acquired by the movement in Spring 1941. This issue was printed on September 10, 1941, achieving 5000 copies, as would the following issues. The operation remained, in many respects, very artisanal. The template was created on an offset typewriter, which renders it difficult to read.
This second issue is composed of three articles:
- The first article is a call to the Resistance. Robert Salmon, « Robert Tenaille » discusses the « real intentions » of the government and therefore those of Marshall Pétain who was already a focal point of discussion a majority of the French, but also some Resistants who wanted to believe he was a double agent. However, there were doubts. Rejecting flat out any form of collaboration by the Vichy regime, Défense de la France wanted to be certain that « it is under duress that the Vichy regime is collaborating ». Thus openly calling for the government to explain itself and to « show what it is thinking ». Despite being watched closely by « Hitler's men », they must find « discreet means » to communicate with the people.
- The second article was taken from a weekly publication entitled Axes initially printed on July 19, 1938. Défense de la France used this article to denounce the opportunism of the author, Marcel Déat – now politically allied with Laval and the Germans – who, at the time of the article's first publication, supported the idea of closer military ties between French and British troops to prepare for the eventual German threat, without forgetting, « the formidable mobilization of America » as a back-up plan.
A Pacifist and defender of the Munich Accords, he seemed to remain confident in respect to the political agenda of the Third Reich and did not doubt for a moment that the Germans « would attain a relative wisdom » against an alliance with the English and the Americans. At the dawn of the Second World War, Marcel Déat did not neglect any power: the defeated pacifist and confirmed opportunist, was in a position to choose, and when the moment came, he chose the easier road.
The purpose of this article, entitled « opportunism », Défense de la France was to denounce the politicians now working closely with Laval and the Germans and to get the French to consider the consequences of collaboration.
- By the pen of Professeur Dain, « Francin », Défense de la France, in their third article, paid homage to « the France that was, by tradition, the soldier of liberty ». « Abandoned » by all, and mocked for their « decadence » and their « military failures », the French troops deserved recognition from their country. The French people must not allow themselves to succumb to the ambient defeatism; it was their duty to act, « to remain proud and, despite everything, to hope ».
- The last article was devoted to one of the numerous nuisances of the « Kollaboration »: the economic pillaging by the Germans. René Tézenas du Montcel, « Maître Jacques » (a relative of Philippe Viannay), assessed this « threatening association », drawing upon « strictly official » data noted in the following economic sectors: transportation, agriculture, industry, and the costs of occupation.
« By insisting upon the German pillaging, Défense de la France hoped to transform the weariness of a rationed people into a feeling of anger toward their occupants ». For this theme of pillaging, which would recur at frequent intervals over the course of eight issues, Défense de la France « distinguished itself by the quality of its economic information. It had the benefit of qualified informers. Marcel Lebon, like Paul Ranchon, was in contact with the Vichy regime, sending governmental statistics to Défense de la France ».
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At the end of the month of August, after a hasty departure from Villa Saint-Jacques, Défense de la France moved the Rotaprint to the basement of the university, at the initiative of Hélène Mordkovitch (who would later become Hélène Viannay after her marriage to Philippe Viannay in 1942). As a laboratory assistant, Hélène had, since 1939, been entrusted with keys by her geology professor, Monsieur Lutaud. She later kept them so as to protect the laboratory from fires. It was here, save for May and June 1942 that the printing operation would be housed until September 1942.
This hideout quickly proved to be ideal: « From the entrance, we could access a board with keys to the basement, which was two levels underground – deep, with a clay floor. The basement consisted of two rooms, the second of which was next to the library reserves. From there opened an immense underground. [...] They decided to set up the printing machine in the second room of the basement, where there was a small light bulb hanging from the ceiling, a door to the underground hallways a meter below, and a recess to hide arms. Philippe brought his soldier's rifle and a revolver. [...] The basement did not have an emergency exit; if they were taken, they would be trapped. Therefore, they were very careful not be followed ». (1)
« The materials were hidden in a crate, the paper stocked on shelves, the printing was done at night Hélène and I would leave the Sorbonne in the early morning, with rucksacks full of newspapers. [...] Charlotte [Nadel] or some others would wait for us at the end of the long hallway to take deliveries ». (2)
« The first 21 issues were written by a team of only 9 authors. [...] The directors attributed their articles to their close friends, and once the texts were accepted, signed the copies under a pseudonym: « Indomitus » for Viannay, « Robert Tenaille » for Salmon. The two men wrote the majority of the contributions themselves, though occasionally contributions were sent in from other personalities, such as René Tézenas-du-Montcel, « Maître Jacques », or Alphonse Dain « Francin, Klein, Pelletier ». Overall, only a handful of people assumed all of the writing for the newspaper ». (3) In the first 22 issues, published between August 1941 and November 1942, Défense de la France engaged in combat on the basis of moral protest. Its message, centered on information and counter-propaganda, addressed, unequally, the following subjects: collaboration, defeatism, lost territories and the germanization of local populations, anglophobia, the economic exploitation by Germany, the difficulties of the occupation, Hitlerism and Nazi barbarism, concentration camps, the defeat of the Wehrmacht and the economic difficulties of the Reich.
Source: (1) Clarisse Feletin, Hélène Viannay, L’instinct de résistance de l’Occupation à l’école des Glénans, éditions Pascal, 2004. (2) Philippe Viannay, Du bon usage de la France, Résistance, Journalisme, Glénans, éditions Ramsay, 1988. (3) Olivier Wieviorka, Une certaine idée de la Résistance, Défense de la France 1940-1949, éditions du Seuil, 1995.
Traduction : Matthias R. Maier
Auteur : Emmanuelle Benassi
Author: Emmanuelle Benassi
Contexte historique
En septembre 1941, Résister ne va pas de soi. Encore sous le choc de la défaite, les Français sont soumis au bon vouloir de l’occupant, divisés par la ligne de démarcation, privés d’une partie de leur territoire, de nouveau annexé, séparés d’un million et demi de leurs jeunes compatriotes restés prisonniers en Allemagne, dépouillés de leurs biens, rationnés, endeuillés mais aussi et surtout déboussolés par la collaboration que préconise « leur maréchal » au retour de Montoire.
« Une impression de malheur domine. Pour une nation qui a pris l’habitude d’être tenue en haute estime dans le monde, subir une défaite aussi cinglante est terrible. Chacun se sent humilié. Honteux même. Le doute s’est installé dans les esprits. […] Ce sentiment de frustration joue certainement un grand rôle dans la confiance accordée au Maréchal. Dans le jeu inégal avec Hitler, on veut espérer qu’il parviendra à éviter le pire.
Au cours de l’hiver 1940-1941, les certitudes du peuple français s’effondrent. […] Le terreau est donc particulièrement défavorable » au développement d’une Résistance de quelque nature qu’elle soit.
La tâche se révèle être particulièrement ardue notamment en zone Nord où l’ennemi est clairement désigné.
Pourtant, dans ce contexte soudain et inattendu, auquel personne ne s’est préparé, quelques citoyens décident, dès 1940, de réagir en résistant à un envahisseur fermement décidé à contaminer leur pays par ses « valeurs inadmissibles ». Ensemble, ils vont forger un instrument de lutte original : le mouvement de Résistance.
Sources : Serge Ravanel, « L’esprit de Résistance », éditions du Seuil, 1995.
In September 1941, resisting was no small matter. Still shocked by their defeat, the French were submitted to the will of their occupants, divided by the line of demarcation, a part of their territory seized, a part annexed, separated from a million and a half young compatriots imprisoned in Germany, stripped of their assets, grief-stricken and above all confused by the collaboration advocated by « their Marshall » upon returning from Montoire.
« A feeling of misery dominated the country. For a nation used to being held in high esteem by the rest of the world, to be submitted to such a crushing defeat was terrible. Everyone felt humiliated; even shamed. They began to doubt themselves in their minds. [...] This sentiment of frustration certainly played a large role in the trust placed in the Marshall. In the unequal game with Hitler, they hoped he would manage to avoid the worst. During the winter of 1940- 1941, the certainty of the French people collapsed. [...] The situation was thus particularly unfavorable » to the development of a Resistance in the way that it did.
The task turned out to be particularly arduous, most notably in the Northern zone, where the enemy was most deeply entrenched. However, in this context, suddenly and unexpectedly, in 1940, a few citizens decided to act out in against the invaders dead set on contaminating their country with their « inadmissible values ». Together, they were to forge one of the original instruments of the struggle : the movement of the Resistance.
Source: Serge Ravanel, L'esprit de Résistance, Seuil publications, 1995
Traduction : Matthias R. Maier
Auteur : Emmanuelle Benassi
Author: Emmanuelle Benassi
© Archives nationales, fonds Défense de la France (don Jean-Marie Delabre) - droits réservés.
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