Journal Défense de la France, n°22, 11 novembre 1942
Légende :
Newspaper "Défense de la France", n°22, November 11, 1942.
Genre : Image
Type : Presse clandestine/ Clandestine Press
Source : © Archives nationales, fonds Défense de la France (don association Défense de la France) Droits réservés
Détails techniques :
Numéro imprimé sur seul feuillet au recto et au verso. Format 21 x 31 cm. Le papier jaunâtre, acheté au marché noir, est de médiocre qualité.
Lieu : France - Ile-de-France
Analyse média
Ce 22e numéro de Défense de la France est daté du 11 novembre 1942. Il est imprimé sur la Rotaprint du mouvement. Malgré de « redoutables problèmes d’approvisionnement en encre et en papier notamment », le tirage passe de 10 000 à 30 000 exemplaires en cette fin d’année 1942.
La périodicité du journal est, depuis la première édition, presque bimensuelle. Défense de la France a réalisé l’un de ses objectifs : « une publication à la régularité satisfaisante » (1).
La formule « Ni Allemands, ni Russes, ni Anglais » est, une fois de plus, mise en exergue en haut du journal. Défense de la France demeure méfiant à l’égard de toute intervention étrangère en rappelant que la « libération ne doit pas être seulement l’œuvre des Alliés ». Le choix marqué de ne pas évoquer ouvertement le débarquement survenu en Afrique du Nord illustre clairement leur position. Cette indication perdure jusqu’à l’édition du 1er janvier 1943.
Cette publication propose trois articles :
- Pour cette édition symbolique du 11 novembre, Défense de la France appelle les « Français » à « porter les armes » et à « faire la guerre ». Avec l’évolution du conflit, le discours du journal change. Privilégiant, jusqu’à présent, les armes de l’esprit, il oriente désormais son discours et incite à l’action militaire.
- Dans son deuxième article intitulé « Qui est Giraud ? », Défense de la France prend clairement position pour le général Giraud. Sous la plume de Gustave Monod, « X… », le journal exalte l’évadé de Königstein et fait l’éloge de celui qui « sauvera le pays ».
- Le troisième article est la reproduction d’une lettre de l’Archevêque de Malines.
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Depuis le mois de septembre les sous-sols de la Sorbonne (Paris) n’abritent plus « Simone », la Rotaprint de Défense de la France doit déserter les lieux suite à une nouvelle alerte. Après dix mois d’occupation quasi ininterrompus, l’équipe avait pris ses habitudes et s’y sentait tranquille, « suffisamment décontractée pour faire sécher les exemplaires du journal dans les réserves de la bibliothèque » raconte, Hélène Viannay. « On les étalait sur les rayons. On les faisait sécher toute la journée et puis on les reprenait le lendemain. » (2)
« Un jour, un bibliothécaire rentre dans la réserve pour chercher un livre. Nous regardions de l’autre côté par le trou de la serrure. On avait éteint toute les lumières. Et alors, Philippe est pris d’un saignement de nez. Cela lui arrivait lorsqu’il était très fatigué. L’homme n’est pas tombé sur les journaux ! » (3)
Cette fausse alerte les incite à déménager, pour la septième fois, leur imprimerie. C’est la règle. Ils s’installent dans un appartement de la rue Gazan où « ils avaient repéré une batterie de DCA allemande, positionnée sur un toit. Le concierge leur explique qu’il a un appartement libre car l’Anglais qui l’occupait a été arrêté. Pour eux c’est une très bonne garantie. Qui irait se fourrer dans un piège pareil ? » (4)
Ce changement de lieu marque une étape importante dans le développement du journal. Défense de la France installe « une imprimerie qui fut une des plus belles réalisations techniques de Défense de la France ». Cet appartement, loué par Jean Mennerat et Margueritte-Marie Houdy, est « complètement transformé de façon à devenir totalement insonorisé à l’aide de revêtements en liège nécessitant tout un travail d’architecture réalisé par Mennerat, Philippe et Hélène Viannay. Cette insonorisation nécessita 27 m2 de liège. » (5)
Par ailleurs, depuis le mois de février 1942, l’imprimeur Grou-Radenez offre son concours au mouvement contribuant ainsi à sa professionnalisation. « Outre la fourniture du matériel, ce professionnel promet de dépanner Défense de la France pour l’impression de certains documents » (5), de mettre en relation le mouvement avec des photograveurs et des techniciens et, surtout, de former, les jeunes militants inexpérimentés au métier d’imprimeur et notamment à l’ensemble des règles de la typographie.
Parmi eux Charlotte Nadel, pionnière du mouvement, bénéficie d’un apprentissage rapide et utile, lui permettant de coiffer, à terme, toute la branche technique du mouvement. Dès lors, le mouvement installe un atelier de composition au n°41, de la rue du Montparnasse (Paris).
Ces stages chez l’imprimeur complètent l’apprentissage de ces pionniers de l’imprimerie qui, dans l’ensemble, se forment sur le tas.
« Ainsi était mise en route une logique qui nous portait, nous emportait plutôt, et nous obligeait à répondre aux multiples interrogations que suscitait son propre développement. Le journal n’était plus une fin en soi mais un support […] Notre expansion nous contraignait à sortir de notre petit ghetto. » (6)
Cette préprofessionalisation du mouvement s’accompagne d’une volonté d’expansion. « De parisien, il se mue, en une organisation nationale et élargit par ailleurs le champ de son action. » (7)
Nul doute, en cette fin d’année 1942, Défense de la France entre dans une seconde phase.
Dans les 22 premiers numéros, publiés entre le mois d’août 1941 et novembre 1942, Défense de la France engage un combat fondé sur une protestation morale. Son discours, centré sur l’information et la contre-propagande traite, de manière inégale, les sujets suivants : la collaboration, le défaitisme, les provinces perdues et la germanisation des populations locales, l’anglophobie, le pillage économique allemand, les rigueurs de l’occupation, l’hitlérisme et le barbarisme nazi, les camps de concentration, les revers de la Wehrmacht et les difficultés économiques du Reich.
Sources : (1) Olivier Wieviorka, Une certaine idée de la Résistance, Défense de la France 1940-1949, Seuil, 1995. (2) Clarisse Feletin, Hélène Viannay, L’instinct de résistance de l’Occupation à l’école des Glénans, éditions Pascal, 2004. (3) Ibid. (4) Ibid. (5) Extrait d’un Exposé synthétique de ce que fut le mouvement Défense de la France, document non daté. Mais la nature de ce document d’archive nous permet de situer sa rédaction dans les années 1945-1950, collection de Jean-Marie Delabre (don aux Archives nationales). (5) Olivier Wieviorka, Op.cit. (6) Philippe Viannay, Du bon usage de la France, Résistance, Journalisme, Glénans, éditions Ramsay, 1988. (7) Olivier Wieviorka, Op.cit.
This 22st issue of Défense de la France is dated November 11, 1942 and was printed on the Rotaprint, which was acquired by the movement in the Spring of 1941. Despite the « formidable problems of ink and paper supplies », the printing passed from 10,000 to 30,000 copies by the end of 1942.
The frequency of the newspaper had been, since the first publication, almost biweekly. Thus Défense de la France had realized one of its objectives: to be « a publication with satisfying regularity ». (1)
The motto, « Neither Germans, nor Russians, nor English » is, once again, inscribed across the top of the newspaper. Défense de la France remained untrusting of foreign intervention, reminding its readers that « liberation must not solely be the work of the Allies ». The choice not to openly evoke the Allied landing in North Africa clearly illustrates their position. This opinion would endure until their publication on January 1, 1943.
This publication is composed of three articles:
- In this symbolic publication on November 11, Défense de la France calls the French to « take up arms » and « go to war ». With the evolution of the conflict, the discourse of the newspaper had changed. Previously favoring the spirit over arms, it now focused on inciting military action. -
- In the second article, titled « Who is Giraud? », the paper clearly takes the position of General Giraud. Under the pen of Gustave Monod, « X... », the newspaper exalts the evasion of the Königstein and praises those who « will save the country ».
- The third article is a reproduction of a letter from the Archbishop of Malines.
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Since the month of September, the undergrounds of the Sorbonne no longer housed « Simone », the Rotaprint of Défense de la France, who had to desert its place of hiding following a new alert.
fter ten months of occupation practically uninterrupted, the team grew acclimated to feeling safe, « sufficiently relaxed to dry copies of the paper in the library reserves » recounted Hélène Viannay. « We spread them out on shelves. We would leave the copies to dry all day then come back the next day. » (1)
« One day, a librarian came down to the reserves to look for a book. We watched from the other side through the keyhole. We had turned off all of the lights. And then, Philippe got a nosebleed, which would happen when he was very tired. The man did not come across the newspapers! » (2)
This false alarm incited the relocation, for the seventh time, of their printing station. It was the rule. They set themselves up in an apartment on Rue Gazan where the located a battery of German anti-aircraft guns placed on the rooftops. The concierge explained to them that there was an apartment available because the former owner, a British man, had been arrested. For them, this was good security. Who would get themselves caught in such a trap?
This change of location marked an important step in the development of the newspaper. Défense de la France set up « a printing press that was one of the most beautiful technical achievements of the movement ». This apartment, rented by Jean Menneret and Margueritte-Marie Houdy, was « made completely soundproof using cork covering and made possible by serious architectural work by Mennerat, Philippe and Hélène Viannay. This soundproofing required 27 m² of cork. » (3)
Since February 1942, the professional printer, Grou-Radenez, offered his support to Défense de la France, and contributing greatly toward its professionalization. « In addition to the supply of materials, Grou-Radenez promised to help Défense de la France with the printing of certain documents » (4). This created a relationship between the movement and photo-engravers and technicians and, above all, to teach the young, inexperienced members the rules of typography.
Among them, Charlotte Nadel, one of the pioneers of the movement, benefited from a rapid and useful apprenticeship, permitting her to control the technical branch of the movement. From then on, the movement operated out of a workshop at 41, Rue du Montparnasse in Paris. These apprenticeships at the printers helped the young pioneers, on the whole, to learn on the job. « Thus a logic was set in place that carried us, swept us rather, and obligated us to respond to the multiple interrogations that sparked its own development. The newspaper is no longer a goal in and of itself, but a base [...]. Our expansion compels us to leave our little ghetto. » (6)
This pre-professionalism of the movement was accompanied by a desire to expand. « It transformed from a Parisian into a national organization and extended the reach of their action. » (7)
Without a doubt, at the end of 1942, Défense de la France was entering a second phase.
In the first 22 issues, published between August 1941 and November 1942, Défense de la France engaged in combat on the basis of moral protest. Its message, centered on information and counter-propaganda, addressed, unequally, the following subjects: collaboration, defeatism, lost territories and the germanization of local populations, anglophobia, the economic exploitation by Germany, the difficulties of the occupation, Hitlerism and Nazi barbarism, concentration camps, the defeat of the Wehrmacht and the economic difficulties of the Reich.
Source: (1) Olivier Wieviorka, Une certaine idée de la Résistance, Défense de la France 1940- 1949, Seuil publications, 1995. (2) Clarisse Feletin, Hélène Viannay, l'instinct de résistance de l'Occupation à l'école des Glénans, Pascal publications, 2004. (3) Ibid. (4) Exposé synthétique de ce que fut le mouvement « Défense de la France » collection de JM Delabre. (5) Olivier Wieviorka, Op.cit.
Traduction : Matthias R. Maier
Auteur : Emmanuelle Benassi
Author: Emmanuelle Benassi
Contexte historique
La fin de l’année 1942 marque un tournant décisif dans l’évolution du conflit mondial.
Amorcé depuis le printemps, ce changement résulte, notamment, de la mise en place d’une stratégie commune par les forces alliées qui permet de stopper, sur la plupart des fronts, l’avancée des forces de l’Axe.
Le débarquement allié en Afrique du Nord survenu le 8 novembre change progressivement mais radicalement la face du conflit sur le plan national comme sur le plan international. Désormais, l’ensemble des forces alliées peut s’inscrire dans la perspective d’une victoire possible.
En France, le maréchal Pétain perd définitivement en crédibilité auprès d’une population française fatiguée, usée par les difficultés du rationnement et les restrictions quotidiennes que lui inflige une occupation allemande de plus en plus pesante, devenue totale depuis le 11 novembre.
L’impopularité de Pierre Laval, chef du gouvernement depuis le 18 avril, l’augmentation de la répression qui se traduit par des rafles et l’institution de la relève le 22 juillet 1942 favorisent le rejet de la collaboration et font de 1942 un tournant dans l’évolution des mentalités dont profite une Résistance qui n'a cessé, au cours de l’année 1942, de tisser sa toile, de veiller, d'entreprendre.
L’évolution du conflit lui impose une véritable mutation. Cantonnée jusqu’à présent à une simple protestation symbolique sans réelle incidence pratique, la Résistance va s’inscrire dans cette mouvance générale en s’adaptant aux événements présents et à venir.
En outre, l’action entreprise par Jean Moulin, délégué du général de Gaulle, depuis le début de l’année, permet aux dirigeants des principales organisations de résistance de travailler progressivement à un processus d’unification de leurs forces.
Sources : Serge Ravanel, L’esprit de Résistance, éditions du Seuil, 1995.
The year of 1942 was a pivotal year in the evolution of the war, as it began to become global. Beginning in the Spring, this change resulted notably from the institution of a common strategy by the Allied Forces, permitting them to stop the advancement of Axis forces on a majority of fronts. The Allied landing in North Africa that occurred on November 8, progressively and radically changed the face of the conflict on both the national and international stages. The Allied Forces could begin to assemble their forces with victory now seeming possible.
In France, Marshall Pétain lost credibility amongst a worn-out French population, tired of the hardships of rationing and the daily restrictions inflicted by a German occupation that were growing heavier and heavier hit bottom on November 11.
The unpopularity of Pierre Laval, who had been the head of the government since April 18, and the increase in German repression through raids and persecution, encouraged the French to reject the collaboration, which thus inspired a change in the mentalities of the population. The primary beneficiary of this change in mentality was the Resistance, who, throughout the first six months of 1942, ceaselessly spun its web of connections, preparing, watching, and waiting.
The evolution of the conflict caused a real mutation in the Resistance. Having been previously confined to a simple, symbolic protestation, the Resistance was to soon gain influence and adapt to the coming events.
Thanks to the actions undertaken by Jean Moulin, delegate of General de Gaulle, the principle organizations of the Resistance began to work toward the unification of their forces.
Source: Serge Ravanel, L'esprit de la Résistance, Seuil publications, 1995.
Traduction : Matthias R. Maier
Auteur : Emmanuelle Benassi
Author: Emmanuelle Benassi