Le train de la mort

Légende :

Extrait du 33 tours « Eysses de la Résistance à la Déportation ».

Genre : Son

Type : Disque

Source : © Association nationale pour la mémoire des résistants et patriotes emprisonnés à Eysses Droits réservés

Détails techniques :

Durée de l’extrait : 00 :01 :44s. Emplacement : face B 00 :13 :21s. Durée totale du 33 tours : face A : 00 :12 :40s - face B : 00 :15 :56s.

Date document : 1962

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot

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Analyse média

Ce disque 33 tours a été réalisé à partir de la bande enregistrée, mise gracieusement à disposition de l’Amicale des anciens d’Eysses, après avoir été diffusée par Europe 1 dans l’émission « La Marche du Siècle ». Les textes sont de Claude Dufresne et le récitant est Julien Bertheau. Les témoignages ont été recueillis à l’occasion d’une cérémonie sur les lieux par Jean-Pierre Chapel.

Le 18 mai 1944, 36 détenus sont livrés aux Allemands ; puis le reste du bataillon d’Eysses le 30 mai suivant. Parqués dans la cour d’honneur de la centrale, les résistants vont être dirigés sur Compiègne et de là vers l’Allemagne.

Certains d’entre eux, dont Victor Michaut qui témoigne ici, sont déportés dans le tristement célèbre train de la mort parti du camp de Royallieu le 2 juillet 1944. Partis à 2000, 983 morts seront dénombrés à l’arrivée à Dachau.

Retranscription :
Narrateur : "Le 18 mai, 36 soldats du bataillon d’Eysses sont livrés aux nazis et le 30 mai tout le reste du bataillon à son tour va suivre. Parqués dans la cour, les hommes du bataillon d’Eysses vont être embarqués vers Compiègne ? De là, ils seront enfermés dans des wagons à bestiaux et dirigés sur l’Allemagne. Ce sera le convoi de la mort dont Victor Michaut faisait partie."
Victor Michaut : "Le convoi qu’on appelle convoi de la mort est parti le 2 juillet 1944 de Compiègne, par une journée torride, et ça a naturellement joué un rôle. Toujours est-il que nous sommes partis à un peu plus de 2000 et quand on est arrivé à Dachau au bout de 3 jours, on a ramené 983 morts, étouffés, fous, rendus fous par les conditions dans lesquelles on se trouvait, par l’asphyxie, étranglés (quelques-uns s’étaient étranglés mutuellement mais c’était le résultat de la folie). On a même vu un médecin qui soignait les autres camarades, qui relevait les déportés exténués, et qui au bout d’un moment à force d’aller et venir dans le wagon, était lui-même sombrant dans la folie, et se mettait non plus à soigner mais à tuer."  
Narrateur : "A Dachau, les survivants d’Eysses vont connaître le sort de millions de déportés de cette guerre hors de la mesure de l’Histoire, de cette guerre faite au genre humain. Mais aux heures les plus sombres, l’espérance restera collée à leurs cœurs. C’est que même au milieu de l’enfer concentrationnaire, ils conserveront ce bien inestimable, leur unité, leur commune volonté de lutter ensemble jusqu’au bout. Ce fut le dernier miracle d’Eysses."


Auteur : Fabrice Bourrée

Contexte historique

L’écho national de la mutinerie armée engagée le 19 février 1944 par les 1200 détenus politiques d’Eysses afin de tenter une évasion collective ne peut que renforcer la certitude de la part des Allemands que le régime de Vichy est incapable de garder ses terroristes. La décision officielle de livraison systématique aux nazis des prisonniers politiques sous autorité française date du 31 mars 1944, elle est signée du directeur de l’administration pénitentiaire André Baillet. Loin d’opposer une quelconque résistance à la demande des nazis, le régime de Vichy est responsable d’une livraison qu’il contribue pleinement à organiser.

D’après les pièces du procès Baillet, c’est l’ensemble des prisonniers politiques alors détenus dans les prisons françaises - prévenus et condamnés - qui est livré aux nazis entre février et juillet 1944. S’ajoutent quelques condamnés de droit commun. Les détenus politiques déjà condamnés (2445 au total) sont les plus nombreux. Presque la moitié provient de la centrale d’Eysses, les autres étant groupés dans trois autres prisons : Blois, Châlons-sur-Marne et Rennes pour les femmes. La seconde catégorie concerne les prévenus politiques en attente de jugement pour activité terroriste, communiste ou subversive, 1598 au total. C’est une logique militaire qui conduit à éliminer tous les combattants potentiels et explique la livraison des simples prévenus. Celle-ci est accélérée après le débarquement, dans un contexte qui nécessite d’urgence de la main d’œuvre pour soutenir l’ultime effort de guerre du Reich. L’Etat français demande à ses fonctionnaires de se rendre complices de remises illégales de détenus, violant ainsi les principes élémentaires du droit pénal. A Eysses, la quasi totalité des détenus politiques est livrée aux Allemands, seuls quinze détenus politiques demeurent à l’infirmerie, exemptés par le médecin pénitentiaire comme grands malades.

Le 30 mai 1944, la division SS Das Reich (qui s’illustrera quelques jours plus tard à Oradour-sur-Glane) investit la prison et prend possession des détenus conduits avec une extrême brutalité jusqu’à la gare de Penne d’Agenais d’où ils sont conduits à Compiègne. La quasi totalité des hommes arrivés à Compiègne le 3 juin 1944 quittent la France dans le transport du 18 juin 1944 à destination du KL Dachau. Les Eyssois transférés à Blois ainsi que leurs camarades restés à l'infirmerie du camp de Compiègne sont intégrés au transport suivant, celui du 2 juillet 1944, surnommé le « train de la mort ». Les 56 prisonniers de la centrale d'Eysses forment un groupe singulier au sein de ce convoi. Au moment du départ pour l'Allemagne, les anciens d'Eysses parviennent à rester groupés (une trentaine dans un wagon, une vingtaine dans un autre). Ils organisent la répartition des vivres et de l'eau, se préoccupent de l'hygiène, grâce notamment à l'autorité des deux médecins du groupe, Paul Weil et Stéphane Fuchs. Enfin, ils réussissent à imposer la discipline entre les déportés. Seuls 4 anciens d'Eysses décèdent lors de ce tragique transport. La solidarité entre les Eyssois a sans nul doute joué et elle explique, en partie, une relative sous-mortalité à l'intérieur de ce groupe. Au total, ce sont environ 400 détenus d’Eysses, soit 27% des déportés de la centrale, qui meurent dans les camps nazis.


Sources : Corinne Jaladieu, La prison politique sous Vichy, L’Harmattan, 2007. Amicale des anciens d’Eysses, Eysses contre Vichy 1940-…, Tiresias, 1992. Arnaud Boulligny et Thibault Letertre, « Le train de la mort parti de Compiègne le 2 juillet 1944 » in Livre-Mémorial des déportés de France arrêtés par mesure de répression, Tiresias, 2004.