Premier rassemblement des anciens d’Eysses au mur des fusillés

Légende :

5 août 1945.

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © Dépôt MRN, fonds Amicale d'Eysses Droits réservés

Détails techniques :

Photographie argentique en noir et blanc.

Date document : 4 et 5 août 1945

Lieu : France - Nouvelle-Aquitaine (Aquitaine) - Lot-et-Garonne - Villeneuve-sur-Lot

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Analyse média

Cette photographie a été prise le 5 août 1944, dans la cour des fusillés de la centrale d’Eysses, lors d’un moment de recueillement face aux poteaux où furent exécutés douze résistants le 23 février 1944. Les poteaux sont ornés d’un ruban tricolore. Certains anciens d’Eysses ont revêtu pour cette occasion leur tenue de déporté. La tête baissée de l’homme portant un calot sur la tête montre l’intensité de l’émotion qui les submerge.


Auteur : Fabrice Bourrée

Contexte historique

Les 4 et 5 août 1945, l’Amicale des anciens détenus patriotes de la centrale d’Eysses tient sa première assemblée générale à Villeneuve-sur-Lot dans la salle du théâtre Georges Leygues. C’est la première fois depuis leur retour de déportation que les anciens d’Eysses se rassemblent et les retrouvailles sont intenses. Cette assemblée générale est placée sous le signe de l’union comme le souligne Marcel Rivière dans l’éditorial du n°2 du bulletin d’information et de liaison de l’amicale (novembre 1945) : « Se retrouver et se compter pour s’unir : tel était le but de ce premier congrès. (…) Pouvait-on ne pas s’unir autour de ce monument élevé dans le cimetière à la mémoire de treize des nôtres ; pouvait-on ne pas s’aimer devant ces douze poteaux où douze de nos camarades acceptèrent la mort au nom d’un amour qui est le nôtre : l’amour de la liberté et de la patrie ». Et il conclut son édito par un bilan humain de ce congrès : « Qu’avons-nous donc vu ? Simplement des hommes, des vrais qui, de toutes conditions, de toutes formations, de toutes confessions, de toutes philosophies, savent pourtant s’aimer, se souvenir et vouloir. Le souvenir de nos morts, vouloir les venger, vouloir une France libre, forte et heureuse. »

Selon ce même bulletin, 5.000 personnes dont 483 déportés assistent à ce premier congrès des anciens d’Eysses et aux cérémonies. Le congrès se tient dans la salle du théâtre du Villeneuve. Voici un extrait du discours d’ouverture prononcé par Stéphane Fuchs : « Pendant ces années de captivité, nous nous sommes enrichis, nous nous sommes forgés une âme commune. Une âme commune, ce n’est pas la négation des personnalités, ni des idées propres, ni des conceptions philosophiques ou religieuses. Non, loin de là, c’est seulement la prise de conscience totale de la solidarité qui doit lier tous les Français, du grand amour qui doit les unir : l’amour de la France. Unité et amour, il n’en faut pas plus pour mener la France vers un avenir digne d’elle. Une âme commune c’est aussi la solidarité de tous les hommes qui, aux quatre coins de la terre, doivent participer tous ensemble à l’élévation de la destinée humaine. Lentement, progressivement, nous avons réussi à nous donner à tous cette conscience, et lorsque nous nous sommes quittés, brutalement livrés à la plus odieuse des déportations, chacun de nous a pu sentir qu’il emportait avec lui un peu de cet esprit d’Eysses qui a pu être pour beaucoup l’arme la plus solide non seulement pour résister, mais même pour lutter. Et maintenant, nous voilà disséminés dans tous les coins de France. Nous voilà libres. Maintenant commence notre mission. Oui, unis comme à Eysses dans une France que, nous devons le dire, nous n’avons pas retrouvée telle que nous l’avions rêvée derrière nos barreaux où là-bas en terre d’exil. Mais qu’importe. Sans doute qu’elle nous attendait pour prendre son vrai visage, pour devenir dans le monde et face au monde, la Démocratie qui marche à la tête du progrès social dans l’honneur et dans la paix. »

Après ce discours interviennent Pierre Doize qui présente les tâches qui incombent au comité directeur de l’amicale, Raymond Prunières qui retrace la vie du collectif d’Eysses, et Victor Michaut intervient sur les devoirs de l’amicale : « action revendicative et entr’aide matérielle et morale, recueil des œuvres artistiques et littéraires des anciens détenus, perpétuer le souvenir de nos glorieux morts (cérémonies, monument aux fusillés et morts en déportation), sollicitude envers les familles des disparus, lutte pour le châtiment des traîtres et en premier lieu, pour l’exécution du sinistre Schivo et de ses complices. » 

Lors de ce congrès, l’amicale élit son comité directeur présidé par Stéphane Fuchs et composé de trente-quatre membres dont cinq vice-présidents : Victor Michaut, Pierre Doize, Toussaint Raffini, Daniel Renoult (qui représente les internés administratifs), la mère de Jean Chauvet et d’un secrétaire général, Raymond Prunières. Sous la présidence de Stéphane Fuchs - le seul des deux délégués des détenus encore en vie -, on retrouve à la direction de l’amicale, ceux qui occupaient un poste dirigeant au sein du Comité directeur du Front national créé dans la centrale ; ils représentent la diversité des courants : Paul Weil, Jacques Kahn, Raymond Jacquet, Michel Poulet, Claude Lévy, Henri Entine, Georges Charpak, Georges Ambre, Edouard Aubert, Georges Dunoir, Henri Turrel etc. Le Comité directeur compte également un secrétaire, délégué à Eysses, Edgard Franchot, un délégué pour les Espagnols ainsi que pour toute amicale régionale de plus de vingt membres. Un Comité d’honneur associe les familles des fusillés et morts au combat, un membre de chaque famille des anciens d’Eysses morts en Allemagne, mais aussi les résistants leur ayant apporté une aide active dans et à l’extérieur de la prison : les villeneuvois Gérard Bouvart et Roger Maurance, cinq surveillants résistants et l’économe M. Fougeroux.

Les congressistes sont ensuite accueillis place de la Mairie où des allocutions sont prononcées par le maire de Villeneuve, le sous-préfet et le président du comité départemental de libération. A l’issue, les participants sont rassemblés pour un grand banquet (700 couverts selon le bulletin de l’amicale) sous la halle de Villeneuve.

Après le repas et le dépôt de gerbes au monument aux morts municipal, un cortège traversa la ville pour se rendre au cimetière Sainte-Catherine puis au mur des fusillés de la centrale d’Eysses. Lors de cette première cérémonie devant les poteaux d’exécution de leurs camarades, après avoir entendu les discours de Poulet et de Jean Coin, les déportés adoptèrent le serment « Unis comme à Eysses » :

Martyrs d’Eysses, en ce lieu où vous êtes tombés,
Devant nos berceaux et devant vos tombes,
Nous faisons le serment de rester unis,
UNIS COMME A EYSSES,
Unis comme nous l’étions dans la journée du 10 décembre 1943,
 Unis comme nous l’étions le 19 février,
Unis comme vous l’étiez, face à la mort.
Martyrs d’Eysses, nos compagnons, nous le jurons.
Nous faisons le serment d’accomplir votre mission.
Nous ferons tous ensemble, avec tous ceux qui ont souffert, avec tout notre peuple, la France que
vous vouliez, pour laquelle vous êtes morts.
Nous lui donnerons sa place dans le monde, nous le jurons.  


Auteur : Fabrice Bourrée
Sources : Unis comme à Eysses, n°2, novembre 1945. Documentation Corinne Jaladieu.