Débarquement en Provence et libération du Midi de la France (INA)
Légende :
Débarquement en Provence et libération du Midi de la France (INA)
Genre : Image
Type : Reportage
Producteur : Office Français d'Informations Cinématographiques
Source : © INA Droits réservés
Détails techniques :
Office Français d'Informations Cinématographiques - 01/01/1944 - 16 min. 12 s. - document muet.
Date document : 1er janvier 1944
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur
Analyse média
Ce long documentaire entend survoler l'histoire de la région, de son occupation à partir de novembre 1942 jusqu'à sa libération en août 1944. Composé de fragments de reportage d'origine différente, il est malheureusement muet. Il n'en reste pas moins intéressant à plusieurs niveaux, d'abord en donnant à voir quelques pans de la réalité du moment, ensuite en fournissant une première représentation imagée et synthétique des évènements historiques que la Provence vient de vivre intensément et, parfois, de subir. On peut décomposer cette représentation en trois séquences (chacune étant combinée avec des éléments divers) qui suivent les étapes classiques de l'Occupation, du Débarquement et de la Libération.
1 - La première séquence rappelle quelques temps forts de l'Occupation allemande (l'occupation italienne est ignorée). Il s'agit d'abord de l'occupation de Marseille à partir des vues emblématiques du Vieux Port (et de son pont transbordeur que l'Occupant fera sauter à l'explosif au moment de la Libération) et de la destruction du quartier populaire qui jouxtait son quai nord en janvier-février 1943. Cette vue de Marseille sous la botte - le panneau "Passage interdit pour raisons militaires", les soldats vus au travers d'une fenêtre munie de barreaux - est complétée par l'image du l'Hôtel de Noailles, le grand hôtel de la Canebière, transformé pour l'heure en QG de l'Occupant et par une évocation rapide de la mise en défense du littoral (le Mur de la Méditerranée) afin d'empêcher un débarquement. Le document passe ensuite à Toulon avec les bâtiments sabordés dans la rade le 27 novembre 1942, lorsque les Allemands ont tenté de s'emparer par surprise de la flotte de la Méditerranée qui, fidèle à Vichy, s'y était laissée enfermée, mais qui, conformément aux ordres, a refusé de tomber entre leurs mains. On remarquera l'inscription "Ici juifs" qui signale la persécution dont cette partie de la population est victime. Ce choix - d'autres auraient pu être faits (le départ des requis en Allemagne, les souffrances quotidiennes d'une population affamée, etc.) - montre bien la sensibilité que, dès le moment, l'on a sur cette question. La suite de la séquence est consacrée aux bombardements alliés sur la région, qui commencent à la fin de l'été 1943 et s'accélèrent au printemps 1944, visant en particulier les voies de communications, les gares, les installations militaires. En provoquant la mort de milliers de citadins habitant les villes de la région, ils ont été la principale cause de mortalité non naturelle dans la population, sans pour autant la retourner contre les Alliés. Ces bombardements permettent de faire la transition avec la séquence consacrée au Débarquement, puisque celui-ci a été précédé, à partir du 11 août, par des opérations aériennes systématiques sur le littoral. C'est ce que l'on voit juste avant de passer à la flotte alliée - environ 2 000 bâtiments - en train de canonner les défenses côtières.
2 - Le Débarquement en Méditerranée - opération Dragoon - a lieu sur les plages du Var entre les îles d'Hyères et l'Estérel, le 15 août 1944 à partir de 8 heures du matin. L'opération est presque essentiellement américaine, relevant de la 7e Armée du général Patch, lui-même supervisé par le général Maitland Wilson, commandant suprême du théâtre méditerranéen. Elle a été précédée par des opérations commandos, conduites par des groupes français, dans la nuit aux deux bouts de la zone (la pointe de l'Esquillon à l'Est et le Cap Nègre à l'Ouest). Après le bombardement de la côte commencé une heure auparavant (16 000 obus et 800 tommes de bombes), les hommes de trois divisions américaines - la 3e, la 45e et la 36e - ont débarqué respectivement à Cavalaire et Ramatuelle (Pampelonne), Sainte-Maxime (La Nartelle) et Saint-Raphaël (le Dramont, après avoir essuyé un échec à Fréjus-Plage). L'opération est un succès complet, la résistance rencontrée et les pertes sont sans commune mesure avec ce que les troupes ont connu le 6 juin précédent en Normandie. Le principal des pertes vient des troupes aéroportées, parachutées ou déposées par des planeurs (plus de 400), que l'on voit écrasés un peu plus loin. Ces troupes (1st Airborne Task Force), commandées par le général Frederick, ont été larguées au petit matin de l'autre côté des Maures, non loin de la RN7, dans le secteur du Muy. Dès le soir du 15, la jonction a été faite avec les troupes débarquées. C'est le lendemain, 16 août, au soir, que les hommes du général de Lattre de Tassigny, chef de l'Armée B, ont commencé à débarquer à Cavalaire (plage de Pardigon, comme on peut s'en rendre compte) ou au fond du golfe de Saint-Tropez, à La Foux (Cogolin), alors que les Américains avancent vers le Gapeau (où les français doivent les relayer pour entreprendre la bataille de Toulon) ou en direction de Brignoles et Draguignan, la préfecture. Les divisions de de Lattre ont des origines diverses. La 1e DFL (Division française libre) est l'unité gaulliste par excellence puisque composée d'hommes qui se sont engagés souvent très tôt dans la France libre (légionnaires, bataillon du Pacifique, etc.), c'est pourquoi c'est à eux qu'est revenu l'honneur de poser le pied les premiers sur le sol de France. Les autres divisions - 3e DIA (Division d'infanterie algérienne) et 9e DIC (Division d'infanterie coloniale) - viennent de l'armée coloniale, l'Armée d'Afrique, fidèle à Vichy jusqu'en novembre 1942 et ralliée ensuite au général Giraud. Elles sont composées en grande partie de Nord-Africains, tirailleurs algériens ou, comme on le voit ici, goumiers marocains, mais aussi d'Africains (tirailleurs sénégalais). De Lattre a installé son PC à Cogolin, tandis que Patch se trouve à Saint-Tropez. C'est là que le 17 août, sur la place des Lices, les deux officiers, en compagnie de Maitland Wilson, rendent hommage aux combattants de la Résistance - organisés ici dans un groupement appelé Brigade des Maures, couvrant le secteur allant du Lavandou à Sainte-Maxime - très bien implantés et qui ont participé très activement aux combats. Patch décore de la Silver Star leur chef, l'architecte Marc Raynaud (qui porte une minerve, et qui va être nommé sous-préfet de Toulon) et cite à l'ordre de l'armée américaine sept FFI (la ville de Saint-Tropez sera décorée de la croix de guerre en 1948). À côté de Raynaud, se trouvent plusieurs des éléments notoires de la Résistance locale, en particulier celui qui en a été l'âme, Jean Despas, et une courageuse jeune femme, la fille du peintre Marko Celebonovitch, lui-même chef des FTP locaux.
3 - Les FFI (Forces françaises de l'intérieur) sont également bien présents dans les combats de la Libération y compris dans les villes que l'Armée B va délivrer après de très durs affrontements, les plus durs de toute la campagne de Provence. On les voit à Toulon où la bataille a duré du 21 au 28 août. FFI et FTP étaient présents durant tout ce temps, en particulier au centre, le long du boulevard de Strasbourg. Les combats pour Toulon ont été meurtriers, près de 2 700 hommes ont été mis hors de combat (tués ou blessés), le plus dur se déroulant à Hyères (Golf Hôtel), autour et dans l'arsenal. Le rôle de la Résistance est aussi politique et policier. Il est évoqué avec la Maison d'arrêt où sont conduits les collaborateurs arrêtés. C'est la seule évocation d'une épuration qui se fait au milieu de foules survoltées, exaspérées par les souffrances subies les mois précédents. La violence de l'épuration (qui n'est pas montrée ici où l'on ne voit ni lynchages, ni femmes tondues et promenées dans les rues) est le revers de l'enthousiasme général, de la liesse de la liberté retrouvée, qui, elle, est montrée. La violence s'exerce aussi parfois contre les très nombreux prisonniers allemands - 17 000 dans la seule région toulonnaise - ou sous uniforme allemand conduits vers les dépôts où ils vont rester plusieurs mois. La population, qui aspirait depuis longtemps à cette libération, est sous le coup de la douleur et de la peur. Beaucoup ont dû quitter leur maison pour se réfugier dans les bois ou les grottes en attendant la fin des combats. Les autorités allemandes auraient voulu faire évacuer Toulon pour transformer le camp en "poche" comme sur l'Atlantique, d'où l'itinéraire pour les réfugiés que l'on entrevoit.
Le documentaire revient ensuite sur les combats de la libération. Il s'attarde un peu sur les tanks Sherman du sous-groupement Letang (Duquesne, Desaix, Sainte-Odile). Cette formation appartient au Combat Command 1 du colonel Sudre, unité française dépendant de la 1e DB, qui a débarqué à Sainte-Maxime au soir du 15 pour filer vers le centre Var avant de recevoir l'ordre de participer à la prise de Marseille. Ces chars se trouvent sans doute à Aubagne où commence la bataille pour Marseille qui va être évoquée plus loin et qui se déroule en même temps que celle de Toulon grâce à l'initiative du général de Montsabert qui a forcé la main de De Lattre. Pendant ce temps, les troupes américaines délivrent l'intérieur de la Provence et foncent vers la vallée du Rhône. À la fin du mois, seule la frontière alpine leur échappe (Briançon, Mercantour). Elles ne s'attendaient pas à rencontrer une telle aide de la part de la population et à une telle présence de la Résistance. Tous les témoignages de chefs américains sont unanimes. À Marseille comme à Toulon ou dans l'arrière-pays, les FFI sont présents. L'origine de ces FFI est composite, certains viennent du maquis et se joignent aux unités débarquées, d'autres appartiennent aux groupes urbains, ce sont parfois des gendarmes - on en remarque un -, des marins pompiers ou des policiers. Plusieurs groupes tentent de contrôler les FFI. Parmi eux, on compte de nombreux FTP (Francs tireurs et partisans), élément armé à direction communiste. Un exemple de la concurrence entre ces groupes est donné par Aix-en-Provence, libérée le 21 août au moment de l'arrivée des Américains, mais où les FTP ont pris possession de la mairie.
Le reportage se termine par le grand défilé du 29 août, en présence des plus hautes autorités militaires et politiques, qui marque la libération de Marseille. On ne manquera pas de remarquer combien il insiste sur la participation des femmes aux combats de la libération (on les voit dans le défilé et en armes), ce qui n'est pas anodin. Il y a bien volonté - une volonté que l'on trouve aussi dans la presse - de donner toute leur place à celles qui, enfin, se sont vues reconnues la citoyenneté politique.
Auteur : Jean-Marie Guillon
Bibliographie :
Antoine Champeaux et Paul Gaujac dir., Le débarquement de Provence, Paris, Lavauzelle, 2008.
Arthur Layton Funk, Les Alliés et la Résistance, un combat côte à côte pour libérer le Sud-Est de la France, Aix-en-Provence, Édisud, 2001.
Paul Gaujac, La guerre en Provence 1944-1945, une bataille méconnue, Lyon, PUL, 1998.
Jean de Lattre de Tassigny, Histoire de la Première Armée française, Paris, Plon, 1950.