J-M Delabre : diffusion de la presse clandestine et évolution du mvt
Légende :
Jean-Marie Delabre évoque la diffusion de la presse clandestine et l'évolution de son mouvement de Résistance
Genre : Film
Type : Témoignage filmé
Source : © AERI Droits réservés
Détails techniques :
Durée de l’extrait : 00:02:55
Tournage et montage : Nicolas Voisin
Interview réalisée par Clémence Piet et Manuel Valls-Vicente.
Date document : Mars 2009
Lieu : France - Ile-de-France - Paris - Paris
Analyse média
Retranscription :
" A ce moment-là, nous étions début 1943 et notre équipe est devenue Défense de la France. A ce moment-là, les choses ont beaucoup changé. D'abord, on avait quand même vieilli. Au lycée, on avait des contacts avec les uns les autres, pas mal de contacts avec les gens des classes préparatoires, d'abord parce qu'on avait en face de nous des gens plus mûrs et, en plus, quelques élèves qui venaient de province, pensionnaires, et qui rentraient souvent dans leur famille. C'était une bonne solution pour organiser un peu de diffusion en province.
Il y avait quelqu'un de tout à fait génial qui s'était interessé au groupe et qui avait même fabriqué des timbres à la tête de Pétain pour que cette distribution par lettre ne coûte pas trop cher. Les journaux, par paquets, étaient remis à certaines personnes et ensuite étaient diminués pour être remis à d'autres. Il y avait tout un système de distribution, d'abord des journaux à distribuer.
Quant à la distribution, elle était faite de différentes manières. D'abord, il y avait petit à petit, par les relations, par le bouche à oreille, on savait que ça intéressait x, y et z et on lui donnait. Les gens vous en demandaient un, dix, vingt... et eux-mêmes en distribuaient. C'était tout le système. Le problème, c'est que tous ces paquets de journaux, il fallait les trimballer. Un jour ou un autre, on vous donne une adresse, un endroit où il fallait aller les prendre, puisque finalement nous, les anciens des Volontaires de la liberté, on connaissait déjà un peu ça parce qu'on avait déjà fait ça un peu pour Résistance.
Moi je me souviens comme ça qu'on m'a dit un jour : "Tu vas chez le concierge de tel endroit et puis tu pends le paquet ". Il est évident que cela nous faisait trimbaler des paquets importants et souvent, on était obligé de prendre des valises pour trimbaler ça. On était conscient qu'il y avait quand même un certain risque à trimbaler ça. Il fallait faire attention à ce que la valise ne s'ouvre pas, enfin, des tas de choses, de ne pas tomber, de ne pas être interrogé pour une chose ou une autre par la police. Dans Paris, il ne faut pas oublier qu'il n'y avait pas énormément de circulation. Moi, j'étais dans Paris, j'ai toujours fait ça à pied. Aller chercher à un endroit ou à un autre, j'ai connu comme ça certaines régions de Paris que je ne connaissais pas du tout, du reste. "
Contexte historique
Jean-Marie Delabre a 14 ans en 1939 (il est né le 17 décembre 1924). Il étudie au lycée Montaigne à Paris. Lorsque la guerre est déclarée, son père est mobilisé et le reste de la famille déménage pour Caen. Puis, c'est l'exode et le départ vers le sud en juin 1940. La famille rentre finalement à Paris à l'automne, où il reprend le chemin du lycée. Durant l'année 1940-1941, grâce à l'un de ses amis, Jacques Richet, il rencontre Jacques Lusseyran et intègre le groupe de résistance des Volontaires de la liberté. Avant cette rencontre, les deux amis arrachaient dejà les affiches allemandes sur le trajet les conduisant au lycée... Ils distribuent désormais une feuille d'information, bientôt journal, appelé Le Tigre.
Au début 1943, les Volontaires de la liberté décident de fusionner avec le mouvement Défense de la France, dirigé par Philippe et Hélène Viannay. Jean-Marie est responsable de la diffusion du journal Défense de la France au lycée Louis-Le-Grand, où il poursuit ses études jusqu'en 1943. Ses sœurs, Pascale et Marileine, l'aident en distribuant des exemplaires à leurs amis. Jean-Marie participe à plusieurs opérations risquées de distribution en direct : dans le métro, à la sortie d'une messe, pour le 14 juillet 1943...
A partir du milieu de l'année 1943, il travaille également au service des faux-papiers.
Le 20 juillet 1943, Jean-Marie a rendez-vous dans la librairie de Madame Wagner "Au vœu de Louis XIII" à Paris, mais la Gestapo y a tendu une souricière. Jacqueline Pardon arrive quelques minutes après lui et est également arrêtée. Ils sont conduits au siège de la Gestapo puis sont transférés à la prison de Fresnes. Jean-Marie reste en prison jusqu'en janvier 1944. Ces six mois sont très difficiles. Un des rares réconforts est la voix de Jacqueline Pardon, qui crie les nouvelles diffusées de cellule en cellule. Un jour de janvier 1944, on vient le chercher dans sa cellule : c'est le départ pour le camp de Royallieu à Compiègne, puis pour l'Allemagne, où il passera son vingtième anniversaire.
A Buchenwald, Jean-Marie, avec ses amis Jacques Lusseyran et Jean-Claude Comert, est tout d'abord mis en quarantaine. Il part ensuite pour le camp de Mauthausen, puis avec le commando de l'usine Steyr.
Les conditions de vie y sont désastreuses. Son travail consiste à creuser des galeries. L'usine Steyr est régulièrement bombardée par les Alliés et les déportés réparent les dégâts. Jean-Marie est blessé par un éclat de bombe. Envoyé au Revier, l'infirmerie du camp, il parvient à y rester travailler pour aider l'équipe de soin. Cette place est moins difficile physiquement, mais Jean-Marie ne peut que constater le nombre de corps envoyés au four crématoire.
Au début du mois de mai 1945, on commence à entendre les bruits des canons au loin, puis la Croix-Rouge arrive et annonce l'arrivée des Américains. Ce sera le 5 mai 1945. Ce jour là, son camarade Raymond prend la route pour la France, seul, avant d'être rapatrié. Il sera un des rares déportés de ce convoi à s'évader alors. Jean-Marie, blessé au pied par sa chaussure, renonce à ce voyage. Il est rapatrié 15 jours plus tard et conduit jusqu'à l'hôtel Lutétia.
Le retour à une vie normale est difficile : il est extrêmement fatigué et il a du mal à se concentrer. Il abandonne donc ses études de Droit. Philippe Viannay le prend sous son aile, comme beaucoup d'autres jeunes résistants déportés. Jean-Marie travaille au journal France-Soir, puis dans le commerce international de céréales.
Une fois à la retraite, il s'engage dans de nombreuses associations, relatives à la Résistance, mais aussi de solidarité. Il est Officier de la Légion d'honneur.
DVD-ROM « Valeurs de la Résistance, valeurs des jeunes aujourd’hui », AERI, 2012.