La protection des prises de parole : témoignage de Rol-Tanguy
Légende :
Témoignage recueilli par Philippe Ragueneau.
Genre : Film
Type : Témoignage filmé
Source : © Musée de la Libération de Paris – musée du général Leclerc – musée Jean Moulin Droits réservés
Détails techniques :
Durée de l'extrait : 0:0:1:13s
Date document : 1993-1993
Lieu : France - Ile-de-France - Paris
Contexte historique
Les prises de parole
Parmi les faits de Résistance, on ne doit pas minimiser les prises de parole en public destinées à désapprouver l'état de fait. Compte tenu des risques encourus, ces interventions plus ou moins spontanées à l'encontre des forces de l'ordre allemandes ou françaises, ou adressées aux civils que l'on espère faire réagir, ressortent incontestablement du domaine de la Résistance. On peut ainsi distinguer deux cibles principales : les autorités et les populations civiles. Aux premières, on témoigne son refus, sa haine, son rejet. Aux secondes, on délivre un message de propagande en faveur de l'action contre l'occupant. Dans le premier cas de figure, il s'agit souvent de manifestations d'individus ou de groupes d'individus, inorganisés, qui se terminent la plupart du temps par leur arrestation. On pourrait ainsi citer le cas de cette femme à Neuilly qui fut arrêtée le 14 juillet 1941 après avoir traité un Allemand de "sale boche" (AN, AJ 40 877) ou encore cette altercation dans un café du boulevard Saint-Michel le 2 octobre 1940 entre, d'une part, un étudiant rejoint par d'autres consommateurs, et, d'autre part, des militaires allemands. Ces réactions, même préméditées, constituent la forme de résistance la plus basique qui soit. Elle est l'expression simple et courageuse, car risquée, du refus de la présence allemande et de la collaboration policière. Ainsi lorsque deux policiers demandent à Alice Notseck le 14 avril 1941, sur ce même boulevard Saint-Michel, de retirer la croix de Lorraine qu'elle arbore ostensiblement, cette femme de 40 ans s'y refuse catégoriquement en criant en direction des passants : "Je suis française, je suis arrêtée par des salauds de français, vous faîtes un beau métier mais les comptes se régleront après et nous saurons reconnaître les salauds qui rampent devant les boches" (PP, rapport des RG semaine du 29 octobre au 4 novembre 1940). "Boche", vocable injurieux à l'utilisation si récurrente où se conjuguent rancoeur et colère, le tout sur fond d'un sentiment d'impuissance exaspérant. Ainsi n'est-il n'est pas étonnant de voir évoquée dans un rapport de gendarmerie daté du 23 août 1940 la plainte du lieutenant de la Kommandantur de Lagny au sujet de l'emploi trop fréquent de ce mot par les habitants de la région. Dans le cas précis d'Alice Notseck, on voit comment l'expression d'un refus peut se muer en article de propagande laissant par là-même deviner une certaine préméditation, sinon une vraie préparation. On entre alors dans une autre catégorie d'interventions orales, celle consistant à provoquer une prise de conscience des auditeurs. Dans la perspective d'atteindre un public aussi large que possible, le choix du lieu devient alors essentiel. On peut citer à titre d'exemple les rues passantes, comme la rue Daguerre (Paris), où, le 1er août 1942, deux cents personnes (selon la police) dans une file d'attente du magasin Félix Potin purent entendre les appels à se révolter d'Elisabeth Ricol ou encore les salles de cinéma dont les scènes furent fréquemment investies au printemps 1944 par des individus invitant les spectateurs à résister ou à exécuter des miliciens. L'un des objectifs de l'Organisation spéciale fut de protéger les prises de parole des militants des comités populaires du parti communiste clandestin. La libération de la parole, dans une région quadrillée par les forces allemandes assistées par la police française, constituait bien une arme redoutable pour clamer le désespoir et la révolte. De fait, son issue était souvent l'arrestation de son ou de ses auteurs, le pugilat ou, dans les cas extrêmes, la fusillade.
Source : Emmanuel Debono, "Les prises de parole" in DVD-ROM La Résistance en Ile-de-France, AERI, 2004.