« Premiers » maquisards à la grotte de Beauvoisin

Légende :

Planque dans la région des Baronnies au sud de la Drôme du département. 

Genre : Image

Type : Photo

Producteur : cliché de Bénard, instituteur à Buis-les-Baronnies

Source : © Collection Pierre Barlet Droits réservés

Détails techniques :

Photographie noir et blanc argentique.

Date document : mars 1943

Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Beauvoisin

Ajouter au bloc-notes

Analyse média

Photographie représentant quatre maquisards posant devant l’entrée de la grotte de Beauvoisin. Sur le seuil, de gauche à droite : Louis Michel (« Loulou »), Gustave Marnas, Pierre Barlet, Laporte.
Des abris naturels de ce genre, parfois artificiels comme la cabane de la colline de Montceau (Espeluche), ou construits « à chaud », servaient comme la grotte de Beauvoisin de planque provisoire aux jeunes fuyant le STO (Service du travail obligatoire).

Le cliché pris par Bénard, à l'occasion d'une visite en compagnie de Louis Borel, agriculteur à Beauvoisin, et d'Aimé Buix, secrétaire de mairie à Buis-les-Baronnies.

Les notes d'Aimé Buix et de Pierre Charransol nous donnent quelques précisions solides : le 12 mars 1943, quatre jeunes, suivis bientôt de quatre autres, "grimpent le sentier menant à la grotte de Beauvoisin", certains, "après quelques jours passés clandestinement chez Louis Borel", un paysan du village, l'un des pivots de la Résistance locale.
Les lieux sont des plus sommaires : c'est une modeste infractuosité de la montagne de Beaume noire, à 5 km à vol d'oiseau au nord-ouest de Buis-les-Baronnies. On ne peut s'y tenir debout, mais, poursuit le témoignage, nos jeunes sont à l'abri de la pluie. Ils sont ravitaillés par Louis Borel. L'isolement est tel qu'ils passent un certain temps inaperçus.

Les conditions de vie sont très dures en cette fin d'hiver. Il est impossible de faire du feu la nuit sans craindre d'être repérés. Le comité de Buis-les-Baronnies crée un camp à proximité. "Au problème du très petit nombre, s'ajoute celui de l'isolement ; l'armement est insignifiant ; en outre, la situation même de la grotte dite de Mandrin à Beauvoisin laisse à désirer. Une fois découverte, [elle] devient une véritable souricière, sans chemin de repli possible."

Le groupe migre donc un peu plus au nord, par le col de Posterle, dans la montagne du Linceuil, dans le camp récemment établi, le camp de la Fournache, dont il est question plus haut et que d'autres documents évoquent.

Naturellement, le lieu, pour être compris, mérite des compléments d'informations, (qu'on trouvera ailleurs) concernant les filières qui ont conduit ces jeunes dans leur entrée en clandestinité, le réseau local, autour d'Aimé Buix, Louis Borel, Gaby Reynier et d'autres, qui les ont convoyés, protégés, alimentés, soutenus au sens large du terme.

Tout cela aide à prendre conscience qu'il s'agit d'un point de départ essentiel, mais finalement d'une extrême fragilité. Les huit jeunes dont il est question ne sont restés à la grotte de Beauvoisin, finalement, que quelques jours ! Le mouvement, la capacité d'adaptation, n'étaient-ils pas les qualités de ces premières formations résistantes, qui en déterminaient en même temps les limites. On était entre la fuite, le camouflage provisoire, l'impératif de la survie, l'apport de la solidarité villageoise, la rébellion armée, et les grands idéaux de la Résistance.


Auteurs : Michel Seyve

Contexte historique

À partir du 16 février 1943, date de l'instauration du STO, "beaucoup de jeunes, entre autres des classes 1940, 1941 et 1942, frappés par cette mesure, disparaissent dans la nature et deviennent des réfractaires. Les uns trouvent gîte chez des parents ou amis, le plus souvent agriculteurs. Certains y attendront patiemment la fin de la guerre. Les autres rejoignent les maquis en formation."

L'arrivée au maquis


Pour rejoindre un maquis, il fallait au préalable connaître une filière. Ce sont souvent des personnes du pays d'origine, en liaison avec la Résistance, qui renseignaient les jeunes, les orientaient vers des personnes sûres, avec des signes de reconnaissance ou des mots de passe.
"C'est ainsi pour ma part, que le 2 juin 1943, pour me soustraire au STO, et probablement par patriotisme, je débarquais, sac tyrolien au dos, à Buis-les-Baronnies du petit train venant d'Orange. Muni du mot de passe, je me présentais [à Buis-les-Baronnies] à l'épicerie de madame Esperandieu qui m'invitait à me rendre à l'hôtel Delhomme. Au cours du repas qu'il m'offrait, cet ami hôtelier me présenta Gaby Régnier chargé de l'acheminement des maquisards au camp FTP (Franc-Tireur et partisan). À mon arrivée, après plus d'une heure de marche en montagne, je trouvais six camarades réfractaires comme moi, parmi lesquels Laporte, de Cannes, Raoul Michel dit "Loulou" et Gustave Marnas dit "Tatave". Ces camarades sont en train, tant bien que mal, avec les faibles moyens du bord de réfectionner une bergerie désaffectée qui va nous servir de refuge quelque temps. Début mars, ils s'étaient régugiés à la grotte Mandrin sur la commune de Beauvoisin d'où ils avaient dû s'enfuir au cours du mois d'avril à la suite d'une attaque (heureusement sans résultat) des GMR (Groupes mobiles de réserve).
Cette bergerie est située sur un piton au pied de la montagne du Linceuil appelée "La Fournache". Notre maquis portera son nom.
Quelques jeunes arrivèrent les jours suivants et parmi eux, un homme d'une quarantaine d'années "Jean", qui devient notre chef de camp. Homme vif, alerte et débrouillard. La vie s'organise, il faut finir d'aménager la bergerie, réfectionner la toiture qui en a grand besoin, assurer le ravitaillement, les corvées, la garde. Venant d'effectuer 32 mois d'armée (15 avril 1940 au 29 novembre 1942), je suis nommé sergent. Tout va se faire progressivement. Une équipe transporte des tuiles sur plusieurs kilomètres pour changer celles cassées. Une fois par semaine, un groupe descend à la nuit tombée (sécurité oblige) sur le petit hameau de Beauvoisin prendre livraison du "ravito" chez notre ami Borel. À l'arrivée au camp, chacun choisissait un pseudonyme. Nul ne connaissait la véritable identité de ses camarades. Ceci afin de préserver, en cas d'arrestation, la sécurité de chacun de nous et, surtout celle des familles. C'est ainsi que je pris celui de " Pavel ".
Au fil des jours, notre nombre augmente. Les conditions de confort et d'hygiène sont précaires. Il nous faut subvenir à nos besoins grandissants. En plus des corvées habituelles, nous organisons, sur les conseils de nos camarades sédentaires de Buis-les-Baronnies, des équipes qui, à tour de rôle, sont chargées de la cueillette de la 1avande sauvage qui foisonne aux abords de la Fournache. On a peine à imaginer aujourd'hui tous les problèmes qui se posèrent alors pour constituer les maquis, assurer leur subsistance.
Je dois souligner ici que ce ravitaillement, dont nous avions tant besoin, était assuré par nos amis sédentaires du Buis et des environs, avec toutes les difficultés que cela comportait. Les restrictions frappaient les Français dotés alors de cartes d'alimentation les rationnant sérieusement.
Et, du fait de l'augmentation constante des effectifs, ce ravitaillement devient vite insuffisant. Il nous faut réduire les rations. J'ai vu alors des camarades manger des sauterelles, mâcher des aiguilles de pins."


Ce témoignage de Paul Veyrand est confirmé par celui de Pierre Barlet :
"Je suis arrivé au Buis en fin d'après-midi par le petit train pris à Orange. Après avoir montré mes faux papiers d'identité à la police allemande dans le train Valence-Marseille puis, me les rendant, l'officier me dit “Raoust”. J'en tremble encore !
Sur le petit quai de la gare du Buis, un monsieur faisait les cent pas avec un mouchoir à la main, j'ai donc sorti le mien, le mot de passe était vu et compris. Je sortis de la gare en suivant ce monsieur à distance de 20 mètres jusqu'à la cour d'une école. Puis, après les mots de bienvenue, monsieur Bérard me fait monter dans son appartement où, quelques heures après mon arrivée, je fis la connaissance de monsieur Aimé Buix qui m'annonça mon départ chez le fermier Louis Borel.
Nous sommes arrivés chez ce dernier, à pied, vers minuit, Bénard se disait fatigué. Louis et sa mère mirent le couvert, une bonne soupe au lard nous fut servie, fromage et pain blanc, plus du vin pour faire glisser le tout. Un banquet ! Louis m'a montré ma chambre (la grange à fourrage !) où j'ai dormi tout habillé. De bon matin, sac au dos, avec les provisions, et deux nouveaux camarades de Portes, Loulou Michel et Marnas dit "Tatave", et notre guide, direction la grotte."


Auteurs : Michel Seyve 
Sources : Dvd-rom La Résistance dans la Drôme-Vercors, éditions AERI-AERD, février 2007.