Edouard Depreux

Légende :

Edouard Depreux, membre de Libération-Nord

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © Office universitaire de recherche socialiste (OURS) Droits réservés

Détails techniques :

Photographie analogique en noir et blanc extraite du DVD-ROM La Résistance en Île-de-France, AERI, 2004.

Lieu : France - Ile-de-France

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Contexte historique

Edouard Depreux naît dans une famille bourgeoise d'industriels du Nord, à Viesly le 31 octobre 1898. Élevé par son père "dans le culte de la République", il vient étudier en khâgne, puis à la Sorbonne. Mobilisé comme officier le 16 avril 1917, il revient du conflit porteur de la Croix de guerre, mais avec une très forte conviction pacifiste. "La haine de la guerre" a été pour lui l'un des facteurs déclenchant l'adhésion au socialisme,  rappelle-t-il dans la préface de son autobiographie.

Depreux, qui a emménagé en 1913, à Sceaux, s'inscrit à la Ligue des Droits de l'Homme en 1920, et concourt bientôt à la reconstruction de la SFIO aux côtés de Jean Longuet. Ce dernier, petit-fils de Karl Marx et élu de Chatenay-Malabry, animateur du courant socialiste-pacifiste durant le conflit, est son premier mentor politique, autant que professionnel. Licencié en philosophie et en droit, titulaire d'un diplôme d'Études supérieures d'histoire, Depreux s'est en effet inscrit au barreau de Paris où il plaide à la Cour d'Appel. Avec Longuet, il participe durant vingt ans à toutes les batailles politiques du sud du département de la Seine et assure la tâche de rédacteur en chef de son journal de secteur, La République sociale. Il anime aussi le groupe d'avocats socialistes et défend les nationalistes marocains et algériens, comme Messali Hadj.

Les succès électoraux viennent avec le Front populaire : Depreux est élu conseiller municipal de Sceaux en 1935, puis succède à Longuet décédé en décembre 1938 comme conseiller général. La même année, il est le chef du cabinet du garde des Sceaux, Vincent Auriol. Membre de la direction de la fédération socialiste de la Seine depuis 1934, de la direction nationale de la SFIO depuis 1938, il apparaît à la veille de la guerre comme un des dauphins du secrétaire général du parti, Paul Faure. Il signe les motions paulfauristes et collabore régulièrement aux publications de la tendance, Le Socialiste, puis Le Pays socialiste, par la liberté et par la paix, y exprimant jusqu'en mai 1940 son pacifisme viscéral et son anticommunisme, non moins ardent. Partisan d'une politique de conciliation vis-à-vis des dictatures, il approuve les accords de Munich et croit voir ses conceptions confirmées par le pacte germano-soviétique.

Depreux est horrifié par la déclaration de guerre en septembre 1939, pensant que sa génération a échoué. Mobilisé comme "capitaine-défenseur" (à la justice militaire), à la demande de Paul Faure, il devient sous le pseudonyme de Troisixe correspondant de guerre du Pays socialiste. Il s'y prononce encore pour une conférence de la paix.

L'offensive allemande dans les Ardennes oblige Depreux à quitter Vouziers pour Albi, où il est démobilisé le 5 juillet 1940. La défaite et l'Occupation lui sont immédiatement intolérables. Il écrivait à ce sujet dans ses mémoires : "Je crois pouvoir dire que si j'ai tout naturellement opté pour la Résistance, ce n'est pas parce que j'étais d'une part socialiste, et d'autre part hostile à l'occupant, c'est parce qu'étant socialiste, j'étais partisan de l'indépendance de toutes les nations et par conséquent de la mienne" (Souvenirs…, p. 147).

À Albi, il s'entretient avec le député de la circonscription, Augustin Malroux, autre paulfauriste, qui refuse le 10 juillet de voter les pleins pouvoirs au gouvernement du maréchal Pétain. Ils conviennent qu'il n'y avait pas de "honte d'avoir espéré jusqu'au bout le maintien de la paix" (Souvenirs…, p. 136), mais qu'il ne faut pas accepter la défaite. Cette conversion peut sembler tardive. Jusqu'où peut-on être pacifiste lorsque l'on est socialiste ? Cette question, qui a hanté les socialistes durant la décennie, n'a que des réponses individuelles, tous ne franchissent pas ce pas. Si des hommes comme Pierre Brossolette et André Philip, eux aussi très engagés dans le pacifisme, l'ont devancé dans la voie de la conversion à une politique de fermeté, la plupart des amis paulfauristes de Depreux acceptent la défaite, adoptent une attitude attentiste, voire dérivent vers la collaboration.

Auriol et Dormoy, qu'il a rencontrés avant leur arrestation dans la zone libre se portant garant de ses positions patriotiques et de son esprit résistant, Henri Ribière, ancien membre du cabinet Dormoy, le contacte. Il le recrutera plus tard pour Libération-Nord en septembre, peu après son retour à Paris (24 juillet). Puis, les pionniers de la construction du Comité d'action socialiste (CAS), chargent deux de leurs plus jeunes membres, Gérard Jaquet et Robert Verdier, de prendre contact avec lui. L'enjeu est double pour les initiateurs du CAS. Il s'agit d'une part de nouer des contacts avec des responsables de l'ancienne direction fédérale paulfauriste pour élargir le noyau initial de cadres, jusqu'alors dominé par les anciens partisans de Léon Blum et de la Bataille socialiste. D'autre part, avec Depreux, ils ont la possibilité de reconstruire un noyau militant dans le secteur de la banlieue Sud. Le conseiller général de Châtenay-Malabry accepte, "sans l'ombre d'une hésitation" selon les témoins, et amène effectivement au CAS des cadres paulfauristes, comme Gaston Allemane qui a été le dernier secrétaire de la Fédération de la Seine-Paris, et certains de ses partisans du secteur sud de la Seine, comme Marcel Bonnet de Cachan. Socialiste, il donne un caractère essentiellement idéologique à sa résistance, sous le premier pseudonyme de "destin du parti".

Par son vieil ami Léon Nordmann, comme lui avocat à la Cour et membre du petit groupe des avocats socialistes actifs avant le conflit, Depreux est aussi associé à l'action du réseau dit du Musée de l'homme. Comme avocat, il représente encore la sœur de Marx Dormoy, assassiné par des membres de la Cagoule à Montélimar, en juillet 1941.

Ses camarades résistants suivent avec soin et avec quelques inquiétudes -on en trouve des traces dans la correspondance d'Auriol- l'évolution de ses rapports avec Paul Faure et les siens. Depreux, attaché à eux par des liens sentimentaux profonds rompt définitivement lorsqu'ils acceptent la politique de présence avec l'expérience Flandin. Alors que Paul Faure et d'autres entrent dans le Conseil national de Vichy, Depreux, lui, à l'inverse, demande à ses camarades résistants de pouvoir démissionner de son mandat de conseiller général de la Seine et de secrétaire de l'Assemblée départementale. Il manifeste, selon Priou-Valjean, une véritable répulsion envers une institution qui décerne des louanges au maréchal Pétain. Ses camarades le lui interdisent, estimant qu'il peut rendre des services à ce poste. Mais, le 7 décembre 1941, la signature apocryphe de Depreux est apposée dans les rues du département en bas d'une affiche condamnant les attentats contre l'armée allemande et le 11 décembre 1941, Depreux refuse sa nomination par le préfet à la présidence de la Commission administrative départementale (CAD) de la Seine, mise en place par les autorités vichystes pour remplacer le conseil général. Il adresse au préfet une lettre où il écrit notamment : "Je tiens à vous indiquer immédiatement et en toute loyauté que je ne puis accepter ce poste ; ma conscience me dicte  impérieusement : pas cela ou pas toi". Publiée dans la presse, cette lettre, exceptionnelle dans le contexte et dans le cadre de la censure qui sévit, a un immense retentissement ; d'autant que Gaston Allemane, lui aussi nommé à la CAD, en fait autant. Mais, surtout, et ceci Depreux ne semble pas l'avoir totalement mesuré, ce refus discrédite la politique d'ouverture de Vichy envers les socialistes attentistes et discrédite surtout ces derniers qui ont recommandé Depreux et Allemane. C'est ce qu'indiquent clairement divers documents de police. Dans le rapport de semaine suivant sa démission, on peut lire :

"La démission de MM. Depreux et Allemane de la commission administrative départementale a provoqué un certain étonnement dans les milieux socialistes de la capitale. On sait en effet que P. Faure s'était efforcé d'obtenir pour les membres de sa tendance une certaine représentation, tant au CM [Conseil municipal], qu'à la CAD On pensait donc que les nominations de Depreux et Allemane avaient été faites en plein accord avec le secrétaire général de la SFIO et les intéressés…Leur démission place Paul Faure dans une situation difficile…".

La presse collaborationniste s'indigne et s'émeut, l'expérience ne sera pas renouvelée avec d'autres.

Depreux s'est trop mis en avant - son ami Priou-Valjean évoquait un courage "qui confinait fréquemment à la témérité" et inquiétait ses amis de Libération-Nord - il est brièvement arrêté en avril 1942, son cabinet et son domicile subissent une perquisition en août. Il quitte alors Paris pour la Savoie, en profitant pour faire une tournée des responsables socialistes ou proches de la zone Sud, emprisonnés ou en résidence forcée, dont Léon Blum et Léon Jouhaux. De retour à Paris, en juillet 1943, il reprend ses activités clandestines. Secrétaire de la fédération socialiste de la Seine, il se dissimule sous des pseudonymes féminins, Brigitte et Marie-Laure, et développe Libération-Nord dans la banlieue Sud. Le 8 mai 1944, chez Marcel Bonnet où il se rendait chaque jour rue Thénard à proximité de la Sorbonne, il est arrêté. Edmond Grasset, secrétaire de la fédération clandestine de Charente-Maritime, est abattu et Depreux s'évade en profitant de la confusion. Bonnet et sa fille sont arrêtés et déportés ; elle reviendra seule, très affaiblie par les tortures. À Alger, en octobre 1943, les autorités envisagent de le nommer commissaire régional de la République dans la région de Toulouse.

Depreux connaît à la Libération une carrière fulgurante : membre du Comité parisien de Libération, il est nommé puis élu maire de Sceaux de 1944 à 1959, député à l'Assemblée consultative provisoire puis, d'octobre 1945 à 1958, aux deux Constituantes et enfin à l'Assemblée nationale. Par ailleurs, membre du Comité directeur de la SFIO, il préside le groupe parlementaire à plusieurs reprises (1946 puis 1954-1956), puis est appelé comme ministre de l'Intérieur (gouvernements Bidault, Blum et Ramadier, de juin 1946 à novembre 1947) puis à l'Éducation nationale (gouvernement Teitgen en 1948). Incarnation de la discipline socialiste durant longtemps, il vote la mort dans l'âme pour la Communauté européenne de défense, puis se montre hostile à la politique algérienne de Guy Mollet et Robert Lacoste. Mais il refuse le retour au pouvoir du général de Gaulle en juin 1958 et rompt avec la SFIO en septembre suivant. Il constitue et dirige alors le Parti socialiste autonome, puis le Parti socialiste unifié en avril 1960. En 1967, il laisse la direction du PSU à Michel Rocard et se consacre à la rédaction de ses mémoires. Il décède dans la nuit du 16 au 17 octobre 1981.



Gilles Morin, " Edouard Depreux " in DVD-ROM La Résistance en Île-de-France, AERI, 2004.