Bois Lucien
Légende :
Lucien Bois, Lulu, adolescent résistant, a été dénoncé et a dû gagner le maquis ; il est à Valence peu après la guerre
Genre : Image
Producteur : Inconnu
Source :
Détails techniques :
Photo argentique
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Valence-sur-Rhône
Analyse média
Lucien Bois marche dans les rues de Valence, en 1945 ou 1946. La Seconde Guerre mondiale vient de s’achever. Il a 19 ou 20 ans et travaille probablement en usine, à la MGM (boulonnerie calibrée) au chef-lieu du département. Le photographe l’a saisi sur le vif ; est-ce l’œuvre d’un professionnel prenant les passants, comme il en existait à l’époque ? L’expression du visage signifierait plutôt la surprise. Lucien Bois semble porter les habits de tous les jours plutôt que la tenue de ville : blouson, chandail à col ras, pantalon golf fréquent à ce moment-là. Ses vêtements, comme ceux des gens, en second plan, plus loin dans la rue, indiqueraient la mi-saison. Ses chaussures montantes, fortes et lacées avec soin, confirment cette impression et font également penser au travail où il se rendait peut-être, dans cette période dominée par des préoccupations de reconstruction et de relance économique.
Lucien, comme Odette Bois son épouse et l’ensemble de la famille, sont très attentifs à la photo. Les clichés sont archivés avec amour dans une boîte importante, aux côtés des mèches de cheveux des enfants. Des pochettes en feutrine conservent des pellicules ou des clichés particulièrement précieux. L’un des fils est photographe professionnel ; il est établi à Montélimar même.
Les souvenirs d’Odette se sont construits au fil des sorties avec Lulu – on l’appelait ainsi, même au maquis – dans le Vercors, à Vassieux ou à la grotte de la Luire, sur d’autres lieux qu’il a connus au cours de sa période de résistant, en particulier en 1944. Le récit a sa part dans cette mémoire : « il m’a beaucoup raconté ! …Comme mon père, sur la guerre de 1914-1918… », précise-elle. Et puis, les réunions d’Anciens de la 6e compagnie du 2e bataillon FFI de la Drôme, Drôme centre, à laquelle le jeune homme a appartenu, étaient une mine mémorielle dans laquelle elle a été immergée à de nombreuses reprises : même si des faits identiques revenaient fréquemment dans les échanges, ils constituent un fonds de souvenirs non négligeable, complétant les autres… Mais il n’est pas très facile pour elle de revenir sur ce passé.
« Au cours de ces rencontres, ils ressassaient les mêmes événements à l’infini ; certains avaient tendance à se mettre en avant un peu trop ! Cependant Lucien a eu le mérite de me faire comprendre des moments forts de leur vie et de leurs combats de maquisards.
Il a ainsi été marqué par les déplacements de son groupe résistant. Sans arrêt, ils bougeaient. La moto était le seul véhicule pour se déplacer ; bien sûr seulement pour les missions importantes. Ils devaient monter toujours plus haut pour se cacher. Lucien m’a souvent parlé de ce qu’il voyait au cours de ces marches, en particulier des parachutages sur le Vercors, de Beaufort-sur-Gervanne qui tour à tour a été bombardé et incendié.
La faim, au maquis, et les difficultés d’approvisionnement extrêmes qui l’accompagnaient, l’ont terriblement fait souffrir. Bien sûr, il y avait l’aide des paysans ; mais eux-mêmes étaient pressurés par les réquisitions et parfois n’avaient plus rien !
Des maquisards de Romans leur avaient obtenu un contingent de pognes un jour. Mais hélas ! Les pognes ne nourrissaient pas, c’étaient un dessert qui ne pouvait remplacer des aliments solides… Elles ont été toutefois appréciées. »
Pouvons-nous dire que la chaleur qui régnait dans son groupe a permis à Lucien Bois de supporter la faim, la peur, la séparation d’avec la famille et le village ? Ce serait certainement l’avis d’Odette, qui poursuit : « Il a retrouvé au camp, à ses côtés, des copains d’école d’Étoile, dont certains appartenaient à des familles nombreuses de la commune ; d’autres également. Il parlait fréquemment de André Marquet par exemple, de Daspres, de Gensel, bien sûr de Micoud, l’auteur du livre. C’était là vraiment une bonne camaraderie, qui permettait de dominer le poids de la dénonciation dont il avait été victime et les tourments imposés par la vie clandestine et la lutte armée.
Quant à la « mémoire », qui a suivi la guerre, elle s’est traduite, entre autres, par les journées de retrouvailles déjà évoquées, mais aussi par des visites sur les lieux parcourus en 1943 et 1944 ou dans les lieux martyrs. Combien de fois sommes-nous allés à la grotte de la Luire où des vestiges de sacs, de béquilles, etc. étaient encore sur le site ? À Vassieux, un jour, nous avons conduit nos petites-filles à une séance de cinéma ; elles pleuraient après le film sur les événements du Vercors en 1944, tant elles avaient vécu intensément la projection… Lucien, par contre, ne comprenait pas que l’on vende, à l’occasion de certaines visites, des insignes et autres objets évoquant les luttes d’autrefois. Il désapprouvait que l’on profite de la souffrance passée des gens, voire de leur mort lors de la guerre, « pour ramasser du pognon », comme il disait.
Malgré l’émotion de mes petites-filles devant les scènes du film – cela m’a bouleversée de les observer réagir de la sorte – il me semble qu’il n’est pas toujours facile d’évoquer ces événements devant des jeunes afin qu’ils en tirent quelque profit », insiste Odette Bois, pensant à sa propre famille et aux enfants de sa connaissance.
Odette Bois évoque aussi parfois quelques épisodes qu’a retenus Lucien Micoud dans son ouvrage, Nous étions cent cinquante maquisards De la bataille de Gigors à la libération de Valence.
Claude Seyve, Michel Seyve
Contexte historique
Né le 28 décembre 1926, Lucien Bois (Lulu) était dans sa seizième année lorsqu’il se lia au mouvement de la Résistance, dans sa commune. « À Étoile – comme à Crest – les différentes organisations de la Résistance ne pouvaient s’ignorer, gars de la section Laurent et membres de la compagnie du docteur Planas (Le Sanglier) », écrit Lucien Micoud dans son livre. Mais la Milice avait ses propres canaux d’information…
« Lulu a été dénoncé, indique Odette Bois, et l’on est venu pour l’arrêter. Il a pu descendre par le chéneau de la maison familiale d’Étoile et s’échapper. Il a fui.
Curieusement, un motocycliste inconnu qu’il croisa peu après sur la route, dans la campagne, s’est arrêté. Ils ont parlé. En fait, c’était mon frère [son futur beau-frère] ; il était agent de liaison au maquis »…
C’est ainsi que Lucien Bois dut se cacher et poursuivre sa vie de résistant dans la clandestinité ; il n’avait pas encore atteint ses 17 ans puisqu’il était de la fin de l’année. Il était à proximité du Vercors à l’époque de l’attaque allemande le 21 juillet 1944 ; il participait à la libération de Valence le mois suivant avec la 6e compagnie du 2e bataillon FFI de la Drôme – Drôme Centre.
Lucien Micoud apporte quelques compléments à ces faits, permettant de mieux comprendre des engagements précoces comme celui-ci. Il évoque, entre autres, l’activité de P. Laurent, originaire d’Étoile comme L. Bois : après la défaite de 1940, il « rassemble bientôt autour de lui de jeunes hommes de sa génération (…) mais également des garçons plus jeunes, dont plusieurs appartenaient au Mouvement Compagnon*, comme Lulu Bois (…) qui feront partie de l’encadrement de la future section Laurent, à base essentiellement étoilienne. »
Durant l’hiver 1943-1944, sont effectuées « plusieurs reconnaissances aux alentours de Gigors, futur secteur d’activité de la 6e compagnie ». Le sous-titre situe l’action de cette formation dans « les marches du Vercors »… Pierre de Saint-Prix, le préfacier, préfet de la Drôme à la Libération, présente l’ouvrage comme « le livre de bord de Lucien Micoud ». « Au cours de cette longue période de plus de quatre années, écrit l’ancien maquisard, il ne sera pas toujours possible de préciser les dates et de reconstituer l’exacte succession des événements »… Retenons d’abord le chapitre VII, La bataille de Gigors, le 27 juillet ; elle est marquante, semble-t-il, pour l’unité. En exergue : « 27 juillet 1944. Si chacun de ceux qui ont pris part aux combats de la 6e compagnie n’en retenaient qu’une date, ce serait assurément celle du 27 juillet 1944. (…) ». L’auteur s’efforce d’évoquer les combats de la compagnie confrontée ce jour-là à « l’arrivée d’importantes formations allemandes ».
En outre, au chapitre VIII, le lendemain de ce jour de tous les dangers, le 28, ce sont les retombées de la bataille, le qui-vive et les accrochages persistants, se ravitailler, soigner les blessés et panser les plaies… Et l’on rencontre Lucien Bois. « Lulu Bois, quant à lui, se cassait le bras le jour même du combat du Chaffal en tombant d’un cerisier (…) et se retrouvait aussi au Plan-de-Baix. Deux médecins israélites devaient procéder à la réduction de la fracture (sans anesthésie…) sur une table de bistrot. Des bandes, trempant dans une mixture bizarre, allaient servir à maintenir le bras en place. Lulu, qui souffrait le martyre, se soulageait en hurlant des injures et en traitant ses bourreaux de "sales juifs". Descendu par la suite à l’hôpital de Crest, (…) on dut lui recasser le bras en vue d’une nouvelle opération. (…) (L. Bois rejoindra sa formation) par la suite à Montmeyran. » Il participa aux mouvements de sa compagnie jusqu’à la prise de Valence.
La Drôme libérée le 1er septembre 1944, la guerre devait se poursuivre encore plus de huit mois ; mais la question de continuer le combat ne se posait même pas à Lucien Bois : il était dans sa dix-septième année et n’aurait pu être incorporé… Dans l’immédiat après guerre, il entra d’abord comme ouvrier à la MGM à Valence ainsi que nous l’avons déjà noté ; mais il optait bientôt pour une nouvelle voie et intégrait l’Éducation nationale comme laborantin. Après plusieurs concours, il devenait technicien de laboratoire, en sciences naturelles d’abord, en physique ensuite, en poste au Lycée Alain Borne à Montélimar. Il se maria avec Odette Pelissier en 1950 ; ils eurent trois enfants. Il fut régulièrement moniteur de colonie sanitaire à la Chapelle-en-Vercors et pratiqua le basket avec passion. La brève période de son engagement résistant lors de son adolescence a fortement marqué sa personnalité ; il fréquentait assidûment les rencontres des anciens de la compagnie Brentrup. Son nom est dans « la liste des résistants et de tous ceux qui ont joué un rôle dans cette période », publiée dans le DVDRom la Résistance dans la Drôme – le Vercors, 2007, avec les mentions suivantes : « Lucien Bois (14 ans en 1940). Organisation : Compagnie Brentrup. Né à Étoile. Participe aux combats de Vaunaveys le 20 juillet et de Gigors le 27 juillet 1944. Entré à l’infirmerie de Plan-de-Baix le 8 août jusqu’au 2 septembre 1944. »
*Le mouvement des compagnons a été fondé le 26 juillet 1940 ; il fut un temps un espoir pour les jeunes désemparés après la défaite. Toutefois, la guerre avançant, « leur esprit de résistance apparaissait par trop flagrant » : le gouvernement de Vichy l’a dissout au début de 1944.
Claude Seyve, Michel Seyve Sources : Lucien Micoud, Nous étions cent cinquante maquisards… De la bataille de Gigors à la libération de Valence Nos combats aux marches du Vercors, préface de Pierre de Saint-Prix, 1982, 205 p, Nouvelle édition revue et corrigée. DVDRom la Résistance dans la Drôme – le Vercors, AERD, 2007. Témoignage, Odette Bois