Szlama Rumel
Légende :
Szlama Rumel est un des nombreux Juifs raflés dans la Drôme et déportés vers les camps de la mort.
Genre : Image
Type : Photo
Source : © Collection privée Droits réservés
Détails techniques :
Photographie argentique noir et blanc.
Date document : Sans date
Lieu : France - Auvergne-Rhône-Alpes (Rhône-Alpes) - Drôme - Crest
Analyse média
Portrait de Szlama Rumel, Juif polonais, raflé le 25 février 1943 dans le camp du GTE (Groupe de travailleurs étrangers) de Crest, et déporté à 45 ans au camp d'extermination de Maïdanek en Pologne par le convoi n°50 du 4 mars 1943.
Auteurs : Robert Serre
Contexte historique
L'opposition italienne à la déportation des Juifs ou à l'internement d'étrangers par le gouvernement de Vichy est à souligner. Les Italiens, vers la fin du régime mussolinien, obtiennent que le Duce résiste à l'exigence allemande d'imposer des mesures antisémites aux Juifs italiens en France ainsi qu'aux autres israélites qui se trouvent en France en zone d'occupation italienne. Certes Mussolini emboîte le pas à Hitler, mais l'antisémitisme des Italiens ne va pas jusqu'à prôner la persécution. En outre, il y a chez eux le souci constant de montrer qu'ils conservent leur souveraineté et ne sont pas inféodés aux Allemands.
Malgré les surenchères de la Milice française, qui pousse à l'application des mesures antisémites en obligeant, le 11 février 1943, les services de la préfecture à fournir d'urgence la liste nominative de tous les Juifs résidant dans le département, cette attitude italienne reste ferme durant sa période de présence :
Le 14 janvier 1943, le comte Ciano empêche d'exécuter les instructions de Vichy visant à envoyer les Juifs des Alpes-Maritimes dans l'Ardèche ou la Drôme, où la Gestapo pourrait mettre la main sur eux avec le concours efficace de la police de Vichy...
Trois semaines plus tard, les autorités italiennes et consulaires turques, roumaines et suisses s'opposent à l'arrestation de vingt-cinq israélites étrangers et seize travailleurs israélites étrangers qu'on voulait envoyer à Gurs. Le commandement a même précisé qu'il était décidé à employer la force s'il « est nécessaire », « contre quiconque ». De même les Italiens s'opposent au départ des Américains et Anglais sur Lyon. Cette intervention sera efficace puisque le 8 mars « tous les sujets britanniques et américains mis dans un camp de concentration à Montélimar, dans une ancienne tannerie, ont été libérés sur intervention du colonel italien commandant la région ».
Dans la région de Grenoble, l'armée italienne établit des barrages pour empêcher le départ de Juifs d'Annecy, les troupes italiennes encerclent les casernes et obligent les gendarmes à les relâcher.
Le commandement suprême italien marque donc nettement son opposition aux arrestations et déportations de Juifs pris dans le territoire qu'il contrôle comme le confirme une lettre envoyée le 2 mars 1943 à l'amiral Platon, secrétaire d'État à Vichy, par le général de brigade italien assurant la liaison avec Vichy : « Le commandement suprême italien affirme à nouveau en principe que les arrestations et les internements de sujets juifs [...] sur le territoire occupé par les Italiens [...] relève de la compétence exclusive des autorités italiennes ».
Cet obstacle amène des autorités de Vichy à dissimuler aux Italiens des opérations contre les Juifs. Ce sera le cas de la rafle du 25 février 1943 dans le camp du GTE de Crest, qui conduira à la déportation des 4 et 6 mars suivants. En représailles à l'exécution de deux officiers tués à Paris, les Allemands exigent de la police française qu'elle leur livre 2 000 Juifs. Le 25 février 1943, Texier, chef très zélé du GTE de Crest, saisit l’occasion : il fait arrêter douze travailleurs juifs du camp. « Ces otages avaient été offerts par le commandant qui cherchait à se faire bien voir de l'occupant », écrit Nicolas Rappaport dans son rapport sur le GTE de Crest. Comment se fait-il qu'une telle opération à Crest n'ait pas suscité l'opposition des occupants italiens ? Le rapport de Charles Marak nous en donne la raison : « Au mois de février 1943, Texier a fait un autre ramassage de TE en cachette des autorités d'occupation italiennes qui s'opposaient à tout départ de TE de la Drôme. Douze TE ont été ramassés chez leurs employeurs entre 6 et 8 heures du soir, amenés au groupe pour être visités [fouillés] et dans la nuit, en grand secret, transportés en car dans l'Ardèche pour rejoindre un transport de déportés. Les employeurs de ces déportés n'ayant pas eu le temps de régler ces travailleurs au moment du ramassage ont versé ensuite ces salaires à Texier qui n'a pas fait parvenir ces sommes aux femmes des intéressés ».
La mention « transférés à Gurs » est portée sur leur fiche, mais il suffisait de leur faire traverser discrètement le Rhône pour qu’ils se retrouvent dans l’Ardèche voisine, sous occupation allemande.
Le destin de ce groupe d'hommes, c'est le camp d'extermination, en l'occurrence celui de Maïdanek en Pologne. Pour onze d'entre eux, il n'y a pas de doute. Ils partent par le convoi n°50 du 4 mars 1943 qui compte 1 003 déportés. Les Tchèques Sigismond Bock, 22 ans, qui avait été à Allex et La Répara, et Hermann Simon, 38 ans, qui avait travaillé à Vaunaveys, puis Lens-Lestang, le Hongrois Viteslav Fredrik Kohn, 53 ans, les Russes Marc Brodsky, 51 ans et son frère Joseph Brodsky, 53 ans, pris dans l'Ardèche ainsi que l'Autrichien Oswald Fleichner, 50 ans, les Allemands Albert Horn et Armand Ginsberger, 38 ans, qui avait été à Allex et Aouste, les Polonais Jehuda Gol(d)berg, 32 ans, Moïse Likfermann, 37 ans, qui étaient au chantier d'Aouste, Szlama Rumel, 45 ans, et Ozias Schops, 44 ans, placé à Montélimar.
Un douzième, Abraham Boleslavski, qui était placé à Montélimar, échappe à ce convoi, mais sera déporté à Auschwitz en 1944. Trois autres, Abraham Grynberg, Max Lewin et Henri Lieber, semblent être partis vers Maïdanek dans le convoi n° 51 du 6 mars. Le Tchèque nommé Fried pour lequel il nous manque des éléments, mais qui est cité par Louis Manicek dans les huit Tchèques (sur neuf déportés) morts dans les camps de concentration, pourrait figurer dans notre tableau et nous amènerait au total de seize travailleurs étrangers indiqué par le préfet. On dépasse le nombre de douze donné par Marak dans son rapport, ce qui s'explique par le fait que certains, après avoir été détenus à Crest, avaient été mutés (Oswald Fleichner et les frères Brodsky sont répertoriés dans le Mémorial de l'Ardèche).
Cette opposition italienne cesse évidemment en septembre 1943, après la chute de Mussolini et le retrait de l'Italie de l'Axe (3 septembre 1943 : capitulation italienne, le maréchal Badoglio signe l'armistice avec Eisenhower). Les Allemands assurant l'occupation de la Drôme y appliquent toute leur politique et leurs complices français ne subissent plus aucun empêchement.
Auteurs : Robert Serre
Sources : Vincent Giraudier, Hervé Mauran, Jean Sauvageon, Robert Serre, Des indésirables, les camps d’internement et de travail dans l’Ardèche et la Drôme durant la Seconde Guerre mondiale, éd. Peuple Libre et Notre Temps, Valence 1999. Robert Serre, De la Drôme aux camps de la mort, Valence, Peuple Libre/Notre Temps, 2006.