Rapport du préfet de la région de Marseille, 16 juillet 1942
Légende :
Rapport spécial du préfet régional sur les manifestations du 14 juillet 1942, rédigé le 16 juillet 1942
Special report by the regional prefect on the protests of July 14th, 1942, written on July 16th, 1942
Genre : Image
Type : Rapport préfectoral
Source : © AD des Bouches-du-Rhône Droits réservés
Détails techniques :
Document dactylographié de douze pages (voir album).
Date document : 16 juillet 1942
Lieu : France - Provence-Alpes-Côte-d'Azur - Bouches-du-Rhône - Marseille
Analyse média
Le préfet de la région de Marseille, qui est également préfet des Bouches-du-Rhône, transmet régulièrement des rapports de synthèse au ministre de l'Intérieur, élaborés à partir des rapports des préfets départementaux et des divers services dont celui des renseignements généraux. Il lui fait parvenir également des rapports spéciaux sur tel ou tel événement important. C’est un rapport spécial de ce type, écrit par le préfet régional alors en fonction, Joseph Rivalland, ancien secrétaire général à la Police, qui est reproduit ici. Il détaille, en douze pages, les préparatifs et les appels à la manifestation, le dispositif prévu pour le service d’ordre et décrit le déroulement de la manifestation, la répression et l’action de la police.
Le préfet régional signale les appels à manifester de la « Radio-anglaise » et les « nombreux tracts » distribués depuis le 10 juillet. Il explique la participation importante à la manifestation, dont il décrit tout le déroulement, en grande partie, par l’efficacité de la propagande de la Résistance et de Radio-Londres. Mais jouent aussi le mécontentement croissant à propos du ravitaillement, l’inquiétude devant les discours et agissements des SOL et les envois d’ouvriers en Allemagne.
Le service d’ordre mobilisé sur place est important (1 845 hommes) mais, dit-il, insuffisant. Il tient en réserve 750 hommes du service d’ordre légionnaire (SOL, noyau dur de la Légion française des combattants) et demande aux militants du Parti populaire français (PPF) de se tenir prêts, mais de ne pas bouger sans ordre formel. Selon le préfet, ce dispositif a surtout comme objectif de tenir à l’écart SOL et PPF pour éviter des affrontements avec les manifestants, qui se produisent tout de même, rue Pavillon, mais de manière limitée.
L’intérêt de ce rapport est de montrer l’importance de la mobilisation populaire : des milliers de personnes ont participé, d’une manière ou d’une autre, aux manifestations. Mais, il met aussi en évidence les tensions qui peuvent exister entre les autorités régionales et les collaborationnistes. La préoccupation du préfet est d’éviter des incidents violents qui pourraient prolonger l’agitation, ce qui explique, sans doute, la modération des forces de police. Mais celle-ci n’empêche pas la répression, le jour même avec plus de cent arrestations ou au cours des jours suivants : de nombreux résistants, connus ou repérés à cette occasion, seront interpellés, incarcérés ou assignés à résidence.
The regional prefect of Marseille, who is also the prefect of the department of Bouches-du-Rhône, regularly passes on reports to the Minister of the Interior (ministre de l’Intérieur) compiled from information provided in the reports of departmental prefects and other intelligence agencies. The regional prefect then sends special reports of any significant events to the Minister of the Interior. Written by the regional prefect of the period, Joseph Rivalland, former Secretary General of the Police, this particular report, reproduced above, falls within the category of special reports. It details, in twelve pages, both the preparations and appeals for the July 14th protests, as well as the intended presence of the police forces. It also describes the sequence of events of the protests, including police activity.
Rivalland stresses the appeals for protest broadcasted via “English-Radio” (BBC) and the “many leaflets” distributed since the 10th of July. He attributes the significant amount of participation in the protests, of which he describes in greater detail, to the effectiveness of Radio-Londres and the Resistance’s propaganda. However, he also contemplates the growing dissatisfaction felt towards food provisions, the words and actions of SOL, and the number of laborers being sent to Germany.
The number of active and mobilized policemen is sizeable (1,845 men), but he states it is not sufficient. He mentions that there are 750 additional members of the SOL (Service d’ordre legionnaire) on reserve (forming the core of the Légion française des combattants). He also asks that the militants of the PPF (Parti populaire français) remain prepared, but not to mobilize without formal orders. According to the prefect, the primary objective of these measures is to maintain a distance between the SOL and the PPF so as to avoid confrontations with the protestors. Nonetheless, some confrontations occured, but to a limited degree.
The intention of this rapport is to illustrate the scale of this wave of social mobilization, as evidenced by the thousands of people who participated, in one way or another, in these protests. However, it also illustrates the tensions that can arise between local authorities and complicit pro-Nazi political organizations. Rivalland’s primary concern is to avoid violent run-ins that could prolong social unrest, which explains the restraint demonstrated by the police force under his authority. However, this restraint will not put a stop to police suppression. That same day (July 16th), more than a hundred arrests would occur. Additionally, over the course of the following days, many resistance fighters, known or identified, would be interrogated, incarcerated, or placed under house arrest.
Robert Mencherini
Traduction : Sawnie Smith
Contexte historique
À Marseille, le rassemblement est fixé au monument des Mobiles, en haut de la Canebière à 18 h 30. Mais, dès le matin, une soixantaine de porteurs de cocardes tricolores sont arrêtés au carrefour Canebière-Belsunce.
Vers 17 h 45, aux abords de l’église des Réformés, on dénombre « 15 000 ou 20 000 badauds, un noyau de manifestants résolus et 1 500 à 2 000 sympathisants ». Le cortège descend la Canebière jusqu’au Vieux-Port. On crie : « A bas Laval ! », « Vive de Gaulle ! », on demande « du pain sans ticket », mais aussi, quai de Rive-neuve, à l’approche du fort Saint-Nicolas, « Ouvrez les prisons ! ».
Un manifestant, employé à la SNCF, arrêté rue Saint-Savournin, près de la Canebière, essaie de se justifier : « J’ai vu un certain nombre de manifestants chantant la Marseillaise. J’ai entendu crier “Vive de Gaulle. A bas Laval ! ”. Je me suis joint à ces manifestants sans penser à mal. J’ai crié, je le reconnais “Laval au poteau, c’est de Gaulle qu’il nous faut !” C’est à ce moment que j’ai été interpellé ». L’inspecteur qui l’a appréhendé vers 19 heures 30 s’est trouvé face à un « cortège de manifestants de tous âges qui, drapeau en tête, se dirigeaient vers la place Jean-Jaurès » : il les a appelés, sans succès, à se disperser.
Vers 19 heures, le cortège remonte la Canebière et arrive, à proximité de l’Office de placement allemand, mais est repoussé. Un noyau important de manifestants se dirige alors vers la rue Pavillon et tente d’investir le siège du PPF. Des membres du parti collaborationniste tirent dans la foule. Deux femmes, Émilienne Trouillard et Louise Krebs, sont assassinées et six hommes blessés.
In Marseille, the crowd of protestors gathered at 6:30 p.m. near the monument des Mobiles, located on the city’s main street Canebière. However, as soon as that morning, around sixty individuals sporting the tricolored cockade were arrested at the intersection of Canebière and Belsunce.
At around 5:45 p.m., near the église des Réformés, it is estimated that there were “15,000 to 20,000 onlookers, a core of determined protestors and 1,500 to 2,000 sympathizers”. The procession walked down Canebière until they reached Vieux-Port. They cried “Down with Laval! Long live de Gaulle!”. They demanded “bread without food ration stamps”. And upon approaching the fort Saint-Nicolas, near the quai de Rive-neuve, the crowd cried “Open the prisons!”.
A protestor and employee of French railway company, SNCF, who was arrested on rue Saint-Savournin near Canebière, attempted to explain his actions “I saw several protestors singing the Marseillaise. I heard their cries “Long live de Gaulle. Down with Laval!” and I joined them. I did not mean any harm. I admit that I shouted “Death to Laval! It is de Gaulle that we need!” And it was at this moment that I was apprehended”. The detective who arrested this man at around 7:30 p.m. was confronted with a “procession of protestors of all ages led by a flag and making their ways towards the place Jean-Jaurès”. He called for them, unsuccessfully, to disperse.
At around 7:00 p.m., the procession made its way back to Canebière, in close proximity to the German employment office (Office de placement allemand), and was subsequently pushed back. A sizeable group of protestors then headed towards the rue Pavillon in an attempt to surround the headquarters of the PPF (Parti populaire français). Members of the PPF opened fire on the crowd. Two women, Émilienne Trouillard and Louise Krebs, were killed and six men were injured.
Robert Mencherini, « Le 14 juillet 1942 : l'unité, "la fierté, l'espoir et la fureur"», in Résistance et Occupation, 1940-1944. Midi Rouge, ombres et lumières. Histoire politique et sociale de Marseille et des Bouches-du-Rhône, 1930-1950, tome 3, Paris, Editions Syllepse, 2011, p. 214-217.
Traduction : Sawnie Smith.
Deuxième page du rapport du préfet de la région de Marseille rédigé le 16 juillet 1942
Archives départementales des Bouches-du-Rhône
Rapport préfectoral Marseille 16/07/1942 page 3Troisième page du rapport du préfet de la région de Marseille rédigé le 16 juillet 1942
Archives départementales des Bouches-du-Rhône
Rapport préfectoral Marseille 16/07/1942 page 4Quatrième page du rapport du préfet de la région de Marseille rédigé le 16 juillet 1942
Archives départementales des Bouches-du-Rhône
Rapport préfectoral Marseille 16/07/1942 page 5Cinquième page du rapport du préfet de la région de Marseille rédigé le 16 juillet 1942
Archives départementales des Bouches-du-Rhône
Rapport préfectoral Marseille 16/07/1942 page 6Sixième page du rapport du préfet de la région de Marseille rédigé le 16 juillet 1942
Archives départementales des Bouches-du-Rhône
Rapport préfectoral Marseille 16/07/1942 page 7Septième page du rapport du préfet de la région de Marseille rédigé le 16 juillet 1942
Archives départementales des Bouches-du-Rhône
Rapport préfectoral Marseille 16/07/1942 page 8Huitième page du rapport du préfet de la région de Marseille rédigé le 16 juillet 1942
Archives départementales des Bouches-du-Rhône
Rapport préfectoral Marseille 16/07/1942 page 9Neuvième page du rapport du préfet de la région de Marseille rédigé le 16 juillet 1942
Archives départementales des Bouches-du-Rhône
Rapport préfectoral Marseille 16/07/1942 page 10Dixième page du rapport du préfet de la région de Marseille rédigé le 16 juillet 1942
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Rapport préfectoral Marseille 16/07/1942 page 11Onzième page du rapport du préfet de la région de Marseille rédigé le 16 juillet 1942
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Rapport préfectoral Marseille 16/07/1942 page 12Douzième page du rapport du préfet de la région de Marseille rédigé le 16 juillet 1942
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