Témoignage sur l'insurrection, 9 septembre 1943, Ajaccio

Légende :

Cours Napoléon à Ajaccio, le 9 septembre 1943, juché sur le toit d'une ambulance, Maurice Choury, main levée, proclame, au nom du Front national corse, le ralliement de la Résistance corse à la France combattante et lance l'appel à l'insurrection contre les Allemands

Genre : Image

Type : Photographie

Source : © Musée A. Bandera d'Ajaccio Droits réservés

Détails techniques :

Photographie analogique en noir et blanc.

Date document : 9 septembre 1943

Lieu : France - Corse - Corse du Sud - Ajaccio

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Contexte historique

(1)

Maurice Choury m'avait fait le récit de ces heures décisives : «  Ce mois d'août 1943 (…) où la guérilla s'intensifie, notamment dans le Sartenais et la Casinca, est aussi un mois de pertes civiles pour la Résistance corse. (…) Si prés de la Libération dont on voit poindre l'aube, c'est un vrai crève-cœur de voir disparaître ainsi les plus valeureux de nos compagnons (…)

Quand la prodigieuse nouvelle de la capitulation italienne éclate dans la soirée du 8 septembre 1943, je suis le seul membre du Comité départemental présent à Ajaccio. Colonna d'Istria et Vittori sont « à la grotte », en Casinca, Giovoni est à Alger, Maillot est à Lava (…) Je suis donc personnellement investi d'un mandat. Mais que les responsabilités sont donc lourdes à prendre au moment décisif ! Bien sûr je crois à ma vertu de l'audace et de surprise pour renverser le régime de Vichy et bousculer les Hitlériens. Mais le sang va couler. C'est là que j'ai la révélation qu'un acte historique ne peut être le fait d'une volonté unique, que l'homme d'action est le produit des circonstances, des événements, de la volonté du grand nombre. (…)

Une première manifestation armée soutient une délégation qui va tâter les intentions de la préfecture. Le préfet (…) obéira aux ordres du gouvernement légitime (…) nous sortons de là pour appeler la population à une grande manifestation pour le lendemain à 10 heures. Nous allons mettre la nuit à profit pour compléter l'armement de nos troupes.

Je rédige l'ordre d'attaque (…) et je signe, au nom des cinq membres : Le Comité départemental du Front national. 

Tant qu'ils vivront les Ajacciens se souviendront du délire patriotique que la ville a vécu le 9 septembre 1943. Le souvenir que j'en garde : un kaléidoscope de visages rayonnants de bonheur, de drapeaux brandis (...), l'enthousiasme déchaîné de toute la jeunesse (…) et en vérité ce n’est pas moi, juché sur une voiture et pressé de toutes parts, qui devant la Mairie lance l'appel au combat, c'est comme si par ma bouche s'exprimait le vœu unanime de l'énorme masse populaire: « Patriotes de Corse, aux armes contre Hitler ! Soldats italiens, avec nous contre l'ennemi de l'Europe ! »

La foule acclame avec transport nos propositions insurrectionnelles. Le torrent humain roule jusqu'à la préfecture où, cette fois, les réticences du préfet tombent. (…)

L'hebdomadaire hitlérien Signal a présenté en France occupée cette journée du 9 septembre à Ajaccio comme un affreux bain de sang. Baptisé pour la circonstance Schouritz  et présenté comme un sadique juif polonais, j'avais parait-il ce jour là étranglé de mes mains plus de 300 personnes ! Dois-je rappeler que l'unanimité patriotique fut telle au cours de cette inoubliable journée que pas une goutte de sang n'y fut versée ? »

 

(2)

Le 9 septembre 1943, premier jour de l'insurrection, le contraste de situations entre Ajaccio et Bastia est saisissant. Voici le témoignage écrit de Jean Bessière, alias "Pinard", commerçant ajaccien, membre du Front national dont le magasin, après avoir été la boîte aux lettres de Combat était devenue celle du Front national :
" Le soir du 8 septembre, déjà, il y avait réunion du comité cantonal quand la radio annonça l'armistice entre Italiens et Alliés. Sur le cours Napoléon quelle n'est pas ma stupéfaction de voir les soldats italiens gesticuler en même temps qu'ils hurlent "la pace", "la pace" Immédiatement les dispositions prévues dès le 26 août sont mises à exécution : réunion place des Palmiers et manifestation immédiate ; le cortège composé de 200 personnes environ s'ébranle en ordre. Il remonte l'avenue du Premier Consul... Nous nous trouvons entre la caserne et les jardins de la préfecture [ ... ], nous apercevons, venant vers nous, mitraillette au poing, une trentaine de carabiniers italiens. Un groupe d'officiers italiens parmi lesquels se trouvent un commandant et un capitaine qui se sont fait remarquer pendant la fusillade du 17 juin* s'interposent, révolver au poing. Le commandant s'adresse à nous : l'Italie n'est pas battue, les nouvelles répandues sont des mensonges de la radio de Londres... Nous continuons d'avancer. Le commandant s'adresse à ses soldats et leur dit : "Ce sont des jeunes, laissons-les manifester, ensuite ils rentreront tranquillement chez eux".

La manifestation marque des arrêts devant le n° 50 du cours Napoléon, là où Giusti et Mondoloni ont été tués le 17 juin, puis à l'endroit où une patrouille italienne avait abattu le cheminot Frediani. Rendez-vous est pris pour le lendemain 9 septembre pour la distribution des armes. Le 9 septembre, une ambulance réquisitionnée "sera notre char de victoire". Une manifestation se rend devant la mairie. La liste des membres désignés pour constituer un nouveau conseil municipal est lue et saluée par les acclamations de la foule, nom après nom. " Je me trouve juché sur le toit de la voiture avec Choury, Pagès et Borgomano. La population tout entière est avec nous. C'est du délire. Les chants succèdent aux chants. La Marseillaise, le Chant du départ, l'Internationale, l'Ajaccienne, sont chantés sans arrêt par une foule en délire. Nous atteignons la préfecture. Le cortège s'arrête. Choury va lire le manifeste...". C'est alors la mainmise sur la préfecture au nom du comité départemental du Front national, sans qu'aucune résistance ne soit opposée.

 

* Il s'agit de la fusillade de la Brasserie nouvelle à Ajaccio, survenue le 17 juin 1943


(1) Paul Silvani, ... Et la Corse fut libérée, Editions la Marge, Ajaccio, 1993.
(2) Hélène Chaubin, in CD-ROM La Résistance en Corse, AERI, 2007.